« Quebec can eat shit ». « No fucking way ». « Over my dead body ».

Je savais que les Terre-Neuviens en voulaient aux Québécois, mais pas à ce point. J’ai mieux compris en lisant leurs réactions virulentes à ma chronique sur le contrat au rabais de 1969 pour le barrage hydroélectrique de Churchill Falls.

Je suggérais qu’Hydro-Québec puisse racheter « Hydro-Terre-Neuve ». Ou encore qu’elle renégocie le contrat de Churchill Falls avant l’échéance de 2041 en le fusionnant avec le désastreux projet Muskrat Falls, au bénéfice des deux parties.

Les médias locaux se sont emparés de cette chronique, notamment Radio-Canada Newfoundland-Labrador, où l’on peut lire le genre de commentaires des lecteurs reproduits ci-dessus.

« Plutôt mourir que de vous laisser frogs avoir même 1 % de Muskrat Falls », m’écrit même un abonné de Twitter.

Comme vous voyez, c’est pas beau du tout.

En toute honnêteté, la plupart des commentaires sur le site de Radio-Canada sont plus polis ou nuancés. Certains intervenants sont même favorables à une renégociation. Tout de même, la côte à remonter est très abrupte.

Les deux camps sont pourtant condamnés à s’entendre. D’une part, Hydro-Québec a besoin d’énergie pour nourrir ses contrats avec les Américains et pour l’électrification des transports. Churchill Falls représente l’équivalent de 13 % de la puissance électrique du Québec, c’est énorme.

D’autre part, Terre-Neuve-et-Labrador ne pourra imposer unilatéralement ses prix à Hydro-Québec en 2041, comme certains le croient, ou encore faire cavalier seul avec les 5400 MW de puissance.

D’abord, Hydro-Québec détient une participation de 34,2 % dans Churchill Falls. Surtout, Terre-Neuve n’aura guère d’autres clients qu’Hydro-Québec, puisque l’énergie doit être transportée vers les marchés extérieurs pour être vendue, chose difficile à faire sans passer par le Québec.

De fait, le Québec a construit trois lignes de 735 kilovolts pour acheminer l’électricité de Churchill Falls sur des centaines de kilomètres vers le sud du Québec. Pour vous donner une idée, pour toute la Baie-James, il y a six lignes de ce genre.

Les deux camps ont intérêt à entamer des négociations dès aujourd’hui. Terre-Neuve est en quasi-faillite et son fiasco de Muskrat Falls pourrait bientôt faire doubler le prix de l’électricité, à 24 cents le kilowattheure.

De plus, le prix de l’énergie renouvelable chute rapidement. L’éolien est rendu à 6 cents le kilowattheure et même moins. Qui sait ce qu’il sera dans 20 ans et donc quel prix aura Terre-Neuve pour l’énergie de Churchill Falls. Quant à Hydro-Québec, elle ne peut se payer le luxe d’attendre à 2040 pour conclure une entente. L’érection d’un nouveau barrage de remplacement peut prendre de 10 à 15 ans à réaliser.

Bref, le fruit est mûr.

Du point de vue financier, il y a certainement moyen de trouver un terrain d’entente qui conviendrait aux deux parties. Hydro-Québec pourrait racheter Churchill Falls, en tout ou en partie. Le barrage pourrait valoir de 10 à 20 milliards de dollars, selon les informations, entre autres, du blogueur de Terre-Neuve Ed Hollett. La somme serait suffisante pour effacer environ la moitié de l’énorme dette de Terre-Neuve.

Plus probable serait une renégociation à long terme du contrat d’achat d’énergie de Churchill Falls, en y englobant Muskrat Falls. Un tel pacte pourrait être ajusté tous les 10 ans, en fonction de paramètres prédéfinis.

Terre-Neuve est ouverte

Le problème, il est surtout politique, comme le montrent les commentaires des Terre-Neuviens.

Certes, en réaction à ma chronique, le ministre de l’Énergie de Terre-Neuve, Andrew Parsons, a déclaré à NTV qu’il fallait garder l’esprit ouvert. « Nous gardons nos yeux ouverts et devons avoir une relation constructive [avec Hydro-Québec et le Québec]. Toute entente devrait être mutuellement bénéfique », a-t-il dit, affirmant ne pas être en discussion active avec Hydro-Québec et jugeant qu’il faudrait du temps.

Même le Parti conservateur local n’est pas fermé à un partenariat avec Hydro-Québec, l’Ontario ou une entreprise américaine, pourvu que les Terre-Neuviens en soient bénéficiaires.

François Legault est lui aussi ouvert. Au terme d’un entretien en novembre 2018 avec son homologue terre-neuvien d’alors, il avait déclaré vouloir « travailler ensemble pour l’avenir ».

Mais les politiciens ont un horizon de quatre ans, pas de 20 ans, et ils prennent des décisions en fonction de leur électorat. Il serait plutôt facile pour toute opposition de torpiller une entente, la faisant passer pour défavorable, et de s’attirer ainsi l’électorat.

Un comité d’arbitrage ?

Comment dénouer une telle impasse ? Selon moi, il pourrait être envisagé de constituer un comité d’arbitrage énergétique, auquel les parties s’en remettraient, ultimement, pour trancher un différend.

Ce comité pourrait être chapeauté par le gouvernement fédéral. Non seulement Ottawa a beaucoup d’argent en jeu, puisqu’il garantit une grande partie de la dette de Muskrat Falls, mais aussi il a intérêt à ce qu’une entente pour cette énergie verte soit scellée, dans le contexte de la réduction des gaz à effet de serre.

Le comité pourrait être formé de deux membres choisis par chacun des deux gouvernements provinciaux et d’un cinquième membre nommé par le fédéral. Ce pourrait, par exemple, être d’abord l’avocat Pierre Marc Johnson et la gestionnaire terre-neuvienne de renom Moya Greene, qui a signé le rapport marteau sur la province The Big Reset.

Le comité pourrait avaliser une entente et, dans le futur, trancher les litiges en cas de mésentente sur les ajustements tarifaires à toutes les périodes de 10 ans.

D’aucuns diront que le Québec n’acceptera jamais de se plier à un tel carcan. Mais pensons-y : ce système de règlements des différends n’est-il pas le propre des ententes économiques internationales auxquelles participe le Canada, que ce soit l’Accord Canada–États-Unis–Mexique ou celui de l’Organisation mondiale du commerce ?