Accorder des diplômes d’études professionnelles à 30 000 élèves au cours des trois prochaines années nécessitera des centaines d’enseignants qui ne sont pas encore formés, dénonce la Fédération autonome de l’enseignement (FAE).

Des enseignants profiteront ce mardi d’une conférence du ministre de l’Éduction, Bernard Drainville, devant des employeurs à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) pour aller lui proposer des solutions concrètes en réponse à ce problème.

Les employeurs réunis à la conférence de la CCMM veulent une main-d’œuvre qualifiée, et le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a promis de leur en fournir. Or, pour réussir ce tour de force dans un contexte qui s’est complexifié, la FAE veut participer aux discussions pour qu’on entende ses solutions.

Car les enseignants qui sont sur terrain voient déjà les obstacles que devra surmonter le ministre Bernard Drainville, explique en entrevue Mélanie Hubert, présidente de la FAE, qui représente plus de 60 000 enseignants du préscolaire, du primaire, du secondaire, de la formation professionnelle et de l’éducation des adultes.

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Mélanie Hubert, présidente de la FAE

On veut dire aux employeurs d’être prudents avec les formations écourtées. Il ne faut pas miser sur des solutions à court terme et rapides, mais voir ce qui va être plus payant à long terme.

Mélanie Hubert, présidente de la FAE

Mme Hubert cite en exemple les nouveaux préposés aux bénéficiaires formés à la hâte pendant la pandémie pour travailler dans les CHSLD et qui ne sont pas qualifiés pour œuvrer à domicile et dans les hôpitaux.

La présidente soulève aussi le cercle vicieux de sortir des professionnels de leur milieu de travail pour les transformer en enseignants qui forment de la main-d’œuvre tout en contribuant du même coup à alimenter la pénurie de main-d’œuvre.

Les enseignants des DEP n’ont pas de bac

Le ministre de l’Éduction a suggéré de ramener la formation universitaire rapide en pédagogie pour ceux qui possèdent déjà un baccalauréat dans un autre domaine. Cependant, cette option n’est pas envisageable pour les futurs enseignants à la formation professionnelle, qui détiennent pour la plupart un diplôme d’études professionnelles (DEP) ou une attestation de spécialisation professionnelle (ASP). Actuellement, les enseignants non légalement qualifiés sont engagés s’ils s’inscrivent au programme de baccalauréat – 4 ans, 120 crédits –, terminé souvent en 10 ans.

« Ces études universitaires sont réalisées à temps partiel les soirs et les fins de semaine. Or, en décembre dernier, le ministre Drainville a déclaré que les enseignants de la formation professionnelle devront faire preuve de flexibilité et enseigner justement les soirs et les fins de semaine. Comment vont-ils réussir à conjuguer les deux ? Ce sera quasi impossible ! Sans compter que plusieurs enseignants ont eux-mêmes des enfants ou des parents âgés dont ils doivent s’occuper », observe la présidente.

Le choc du salaire

Éric Girard raconte qu’il a eu tout un choc quand il a décidé de faire le saut de la plomberie à l’enseignement en 2010.

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Éric Girard, enseignant à l’école des métiers de la construction de Montréal

Je ne m’attendais pas à ce que mon salaire soit aussi bas comparativement à ce que je faisais sur un chantier depuis 13 ans. J’ai eu une baisse de 35 000 $. Je ne m’attendais pas non plus à devoir faire des études universitaires.

Éric Girard

Le contexte du marché de l’emploi était différent, explique l’enseignant en plomberie à l’École des métiers de la construction de Montréal. Il venait de perdre son poste à la raffinerie Shell Canada, dans l’est de Montréal, qui changeait de vocation. La possibilité de ne plus travailler à l’extérieur au froid et d’avoir des horaires réguliers l’a convaincu de s’embarquer dans un baccalauréat qu’il n’a pas encore terminé après plus de 10 ans.

« Je me suis découvert une passion pour l’enseignement, les cours à l’université m’ont beaucoup aidé à enseigner, mais si c’était à refaire aujourd’hui, je changerais d’option et je me trouverais un poste de gérant de projet. »

Un diplômé universitaire en enseignement commence à l’échelon salarial 3, tandis que le professionnel avec un DEP aura ses années d’expérience comptabilisées pour déterminer l’échelon de départ. Si l’enseignant a travaillé 10 ans comme plombier, on lui donnera le salaire équivalant à l’échelon 10.

La FAE estime qu’il faudra convaincre plus de 30 000 élèves de s’inscrire à une formation, si l’on veut obtenir au bout du compte ce nombre de diplômés, car le taux de diplomation est d’environ 53 %.