Il y a de ces phrases qu’un responsable du recrutement débite avec un sourire spontané, voire victorieux. « Nous empochons toujours nos bonis, ici. On a même distribué au-delà de 100 % de la cible au cours des quatre dernières années. »

De douces paroles aux oreilles du candidat assis devant lui et qui s’interroge sur la réelle possibilité de maximiser sa rémunération tout en embrassant un nouveau défi professionnel. Toutefois, une discussion de ce type est aujourd’hui assez courante. Si elle peut faire pencher la balance dans le choix d’un candidat, il n’est pas certain que le boni reste mobilisateur une fois à l’interne. En effet, les usages et les définitions des bonis se sont multipliés à plusieurs niveaux et fonctions de l’entreprise, au point que leur utilité est parfois remise en question.

Nous sommes-nous éloignés de la définition fondamentale de la prime de rendement, tant sur le plan de son appellation courante de « boni » que de son application historiquement liée aux rendements ? Cet outil financier parfois significatif suscite-t-il encore le dépassement et la contribution supérieure à l’entreprise, à la création de valeur ? Car si la théorie existe, les différents types de programmes de bonis pullulent et les contradictions entre objectifs et incitatifs payés existent tout autant. Combien de fois avons-nous sursauté devant une grande société abondamment subventionnée qui verse des primes faramineuses à ses cadres malgré des rendements financiers tout à fait médiocres ? Combien de programmes de bonis où les liens avec les résultats de l’entreprise sont minimes, voire absents ?

À ce sujet, on a pu lire récemment qu’une grande société comme Hydro-Québec verse des primes visant la rétention d’employés. La société d’État se justifie en disant essentiellement suivre la tendance. D’autres ajoutent des critères comportementaux à leur système de bonis pour la finalisation de divers projets particuliers ou à des initiatives ESG (environnementales, sociales et de gouvernance).

Ces tentatives de modernisation, parfois aussi bien intentionnées que mal avisées, risquent paradoxalement de formaliser des comportements qui combattent la raison d’être des primes de rendement : les salariés tiennent les bonis pour acquis ou s’assurent simplement de cocher la case du comportement voulu.

Le danger est réel d’investir d’énormes sommes dans un programme se détournant des objectifs financiers tangibles de l’entreprise et suscitant des efforts de base ou des comportements additionnels sans convictions.

L’entreprise se rend coupable de confondre dangereusement salariés et mercenaires, dans la mesure où elle s’enferme dans un univers parallèle où il s’agit de payer au-delà du salaire nominal tout effort désiré qui est pourtant souvent inscrit dans les responsabilités normales du salarié. On capitule ainsi sur sa capacité à mobiliser les employés par les défis stimulants, la reconnaissance et l’épanouissement professionnel, on oublie que ces éléments sont des sources de motivation intrinsèque, compléments incontournables et inséparables des incitatifs financiers !

Évidemment, la complexité grandissante des tâches ne facilite pas les définitions simples et transparentes d’objectifs liés aux primes et bonis. L’intelligence artificielle et l’élimination de tâches humaines répétitives facilement identifiables qu’elle entraîne n’aideront pas non plus.

Néanmoins, selon mes observations dans le secteur manufacturier en particulier, l’obstacle principal de programmes incitatifs réellement mobilisateurs est ailleurs. Il réside en partie dans l’inertie d’organisations n’ayant pas révisé l’ensemble de leurs programmes de rémunération pour assurer leur compétitivité sur le marché du travail. Elles tentent alors, souvent vainement, de diminuer les exigences des bonis pour compenser un point faible (vérifié par enquête ou non), comme le salaire de base.

D’autres découpleront subtilement les exigences des bonis des objectifs financiers de l’entreprise, car ils reconnaissent que ceux-ci sont difficilement atteignables et qu’en débattre avec la haute direction serait un vain exercice. Derrière les défaillances des programmes de bonis se cache parfois l’éléphant dans la pièce.