La vague Omicron est derrière nous, les frontières sont rouvertes et les compagnies aériennes rebâtissent leurs réseaux. Si l’engouement pour les escapades ne se dément pas, on ne voyage pas encore comme on le faisait avant que la COVID-19 ne fasse son apparition. Mieux vaut s’armer de patience.

Des journées plus difficiles à l’horizon

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Aire des arrivées à l’aéroport Montréal-Trudeau

Files d’attente interminables à l’aéroport, avions immobilisés pendant des heures sur le tarmac parce qu’il n’y a pas assez de place dans les aérogares et vols annulés faute d’équipage disponible : c’est ce qui pourrait vous attendre selon l’endroit où vous voyagez. Si l’industrie redécolle après deux années turbulentes, la machine est encore loin d’être bien huilée.

Les critiques et les images ont circulé sur les réseaux sociaux. À Toronto (Pearson) et à Vancouver, les voyageurs ont eu un avant-goût de ce qui les attend à l’été, autant au départ qu’à l’arrivée. L’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA) – l’agence fédérale qui assure la sécurité dans les aéroports – est incapable de trouver suffisamment d’agents pour effectuer les vérifications auprès des voyageurs alors que des mesures sanitaires sont toujours en place.

Cette situation ne se réglera pas du jour au lendemain. La main-d’œuvre est rare et chaque nouvel employé doit être formé et obtenir une attestation de sécurité. Ce processus s’échelonne sur plusieurs semaines. Tous les grands aéroports sont vulnérables, y compris celui de Montréal-Trudeau.

On doit voir le voyage en 2022 différemment d’en 2019. Nous ne sommes pas à l’abri de délais d’attente comme à Toronto ces dernières semaines. Ça se peut que l’on ait des journées plus difficiles cet été.

Anne-Sophie Hamel-Longtin, directrice aux affaires publiques d’Aéroports de Montréal (ADM)

D’après l’Agence des services frontaliers du Canada, 460 000 voyageurs sont entrés au Canada par la voie des airs entre le 25 avril et le 1er mai, ce qui représente environ 67 % du volume enregistré en 2019, avant la pandémie. La situation risque donc de se complexifier davantage avec un volume qui est appelé à croître.

Montréal-Trudeau dit avoir échappé, pour l’instant, aux scénarios cauchemardesques observés à Pearson et à Vancouver. À l’extérieur des périodes de pointe – le matin pour les vols vers les États-Unis et la fin de l’après-midi pour les départs à destination de l’Europe –, la situation est stable, selon Mme Hamel-Longtin.

PHOTO NATHAN DENETTE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L’aérogare déborde à l’aéroport Pearson de Toronto 
parce qu’il manque de personnel, le 12 mai.

À l’arrivée, les mesures sanitaires en place, comme les dépistages aléatoires et la vérification des informations de voyage qui doivent être inscrites dans l’application ArriveCan, sont toujours en place. Cela alourdit la tâche des agents des services frontaliers, ce qui allonge l’attente. Après avoir tenu les voyageurs responsables des retards plus tôt ce mois-ci, le ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, a fini par reconnaître le problème.

Lisez l’article « Les délais d’attente ne sont pas dus à une pénurie de personnel, selon Alghabra »

Robert Kokonis, président de la société de conseil Air Trav, voit les choses d’un autre œil.

L’ACSTA [Administration canadienne de la sûreté du transport aérien] savait que les compagnies aériennes ajoutaient de la capacité et elle n’est pas adéquatement préparée. À l’Agence, il n’y a aucune reddition de comptes. Elle n’a pas d’indicateurs de performance à respecter. La formation est inadéquate.

Robert Kokonis, président de la société de conseil Air Trav

Dans un courriel, l’ACSTA s’est défendue, affirmant qu’elle comptait quelque 1000 agents de moins par rapport à son niveau prépandémique. Dans le contexte actuel, il est recommandé d’arriver au moins deux heures à l’avance à l’aéroport, même pour un vol interne, suggère-t-elle.

Pression sur la reprise

Aux prises avec leurs propres enjeux de main-d’œuvre, les compagnies aériennes, qui tentent de tourner la page pour de bon sur la pandémie, croisent les doigts. Elles espèrent que cela ne freinera pas la reprise.

« C’est assurément un risque », reconnaît la présidente et cheffe de la direction de Transat A.T., Annick Guérard, en entrevue avec La Presse.

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Annick Guérard, présidente et cheffe de la direction de Transat A.T.

L’aviation, c’est un écosystème où tout le monde travaille ensemble. Il y a beaucoup d’intervenants. Avec les enjeux de main-d’œuvre, cela rend les choses plus complexes, ce qu’on n’avait pas du tout avant la pandémie.

Annick Guérard, présidente et cheffe de la direction de Transat A.T.

Les entreprises aériennes n’ont aucun contrôle sur ce qui se passe dans les aéroports, reconnaît Frank Naeves, vice-président des ventes pour les Amériques chez Lufthansa – qui compte exploiter 66 vols hebdomadaires vers le Canada à l’été.

PHOTO TIRÉE DE LINKEDIN

Frank Naeves, vice-président des ventes 
pour les Amériques chez Lufthansa

« C’est un défi et nous ne nous en cachons pas, explique-t-il, dans une récente entrevue. C’est une partie de l’équation qu’on ne contrôle pas. Nous discutons avec toutes les parties prenantes pour atténuer tout problème pour nos clients. »

Quand on se compare, on se console

Mince consolation pour les transporteurs canadiens : ils n’ont pas encore eu à imiter plusieurs de leurs rivaux internationaux. Aux États-Unis et en Europe, où la reprise est plus marquée, les annulations de vols se comptent par dizaines de milliers. Les transporteurs n’ont pas le personnel nécessaire sous la main.

Au sud de la frontière, par exemple, des milliers de pilotes de ligne ont accepté des départs à la retraite au début de la pandémie parce que les avions étaient cloués au sol. Il en manque plus de 10 000. Pour tenter de s’adapter, certaines compagnies optent pour des moyens plutôt inusités.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

« EasyJet prévoit par exemple supprimer six sièges de ses Airbus A319 au Royaume-Uni, souligne René Armas Maes, vice-président commercial et consultant chez Jet Link International. En réduisant le nombre de sièges de 156 à 150, l’équipage de cabine peut être réduit de quatre à trois [personnes]. »

M. Kokonis n’entrevoit pas de mesures aussi draconiennes au Canada pour la saison estivale. Les commentaires offerts par Air Canada et Transat A.T. vont en ce sens.

Le plus important transporteur au pays dit avoir les « effectifs nécessaires » pour la période estivale. Selon sa porte-parole, la « grande majorité » des pilotes a continué à travailler pendant la pandémie.

Chez Transat A.T., il y a des délais d’attente de « temps en temps » en raison de la rareté de main-d’œuvre, selon Mme Guérard. Il s’agit d’exceptions, selon la présidente du voyagiste. Il n’en reste pas moins que le recrutement demeure difficile.

« Tous les postes d’entrée, comme au centre d’appels, au comptoir à l’aéroport, on le vit, tout le monde s’arrache la main-d’œuvre, dit Mme Guérard. Ce sont des postes où nous avons besoin de beaucoup de volume. »

À son avis, la sortie de pandémie viendra renforcer l’attractivité du secteur aérien auprès des travailleurs, puisqu’il aura renoué avec la stabilité après deux années tumultueuses.

97 %

C’est la chute du volume de passagers transportés par les entreprises aériennes canadiennes au plus fort de la pandémie, en avril 2020.

Source : Statistique Canada

2023

À l’échelle mondiale, l’industrie devrait connaître une pleine reprise l’an prochain.

Source : Association du transport aérien international

Les acteurs de l’industrie

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Aux côté d’Air Canada, plus important transporteur aérien au pays, plusieurs autres acteurs se partagent le ciel.

La pandémie a été synonyme d’avions cloués au sol et de licenciements chez les grands transporteurs aériens. Cela n’a toutefois pas découragé certains plus petits acteurs désireux de prendre de l’expansion. Tour d’horizon des forces en présence de l’industrie canadienne.

Les visages connus

Air Canada

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Avec 6 % des actions de l’entreprise, Ottawa est devenu le plus important actionnaire d’Air Canada.

Le plus important transporteur aérien au pays n’a pas encore retrouvé sa taille d’antan, mais cela n’est qu’une question de temps. Au 31 mars, Air Canada comptait 29 350 employés à temps plein, soit 3950 de moins qu’avant la pandémie. Pour l’année, sa capacité devrait être à 75 % de ce qu’elle était avant la crise. À l’exception des sommes pour rembourser les passagers dont les vols ont été annulés à cause de la pandémie, l’entreprise n’a pas eu besoin de l’argent mis à sa disposition par le gouvernement fédéral. À cause de la crise sanitaire, Ottawa est devenu le plus important actionnaire d’Air Canada (6 %) en achetant pour 500 millions de dollars d’actions du transporteur.

WestJet

Propriété de la firme d’investissement torontoise Onex, WestJet a été capable d’encaisser les contrecoups de la pandémie sans obtenir l’aide du gouvernement Trudeau. Avec 9000 travailleurs, l’entreprise établie à Calgary compte 5000 employés de moins qu’avant l’arrivée de la COVID-19. Moins visible dans l’est du pays, WestJet a conclu une entente pour acheter Sunwing et Vacances Sunwing, bien implantée au Québec. La transaction, qui doit être approuvée par Ottawa, permettrait à la compagnie albertaine d’effectuer une percée dans le créneau du voyage d’agrément, un marché prisé par Transat A.T.

Transat A.T.

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Transat A.T. a décidé de se recentrer sur ses activités aériennes pour se relancer.

Le portrait est différent du côté de l’entreprise à l’étoile bleue. La stratégie a complètement changé. Le projet de chaîne hôtelière dans les destinations soleil a été enterré. Le voyagiste a décidé de miser sur ses activités aériennes. Spécialiste du voyage d’agrément, Transat A.T. s’attend à offrir 90 % de son volume de l’été 2019. L’entreprise est plus mince. Sa flotte, constituée de 48 avions à l’hiver 2020, en compte désormais 36. L’effectif est de 4000 salariés, comparativement à 5100 avant la crise sanitaire. Le voyagiste a encore besoin d’argent, sa dette nette atteignant 1,3 milliard. Ottawa avait mis 743 millions à la disposition de l’entreprise, qui vient de lui emprunter 43 millions de plus. Transat A.T. négocie pour obtenir un autre prêt.

Sunwing

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Un changement se profile à l’horizon pour Sunwing, qui doit passer sous l’aile de WestJet.

Le printemps a été plutôt turbulent pour Sunwing, victime d’une panne informatique à la suite d’une cyberattaque chez un fournisseur. Des milliers de clients se sont retrouvés coincés dans des destinations soleil. L’entreprise de Toronto s’apprête à passer dans le giron de WestJet. Reste à voir comment elle s’intégrera aux activités de son futur propriétaire. Sunwing devrait profiter de l’engouement pour les voyages d’agrément, sa spécialité. Avec un effectif estimé à 2400 salariés, l’entreprise avait eu droit à un prêt d’urgence de 375 millions d’Ottawa pendant la pandémie. WestJet remboursera cette somme quand la transaction aura été officialisée.

Ceux qui voient plus grand

Porter

Connue pour ses vols qui atterrissent à l’aéroport Billy-Bishop, au centre-ville de Toronto, Porter caresse de grandes ambitions. L’entreprise pourrait acheter jusqu’à 80 avions de ligne Embraer E195-E2 pour augmenter sa présence avec des destinations tant au Canada qu’aux États-Unis ainsi que dans le Sud. Les plans du transporteur aérien ne sont pas encore connus, mais Montréal figure dans ses projets, à l’instar d’Ottawa, d’Halifax et de l’aéroport torontois de Pearson.

Flair

PHOTO TIRÉE DE WIKIPÉDIA

Le transporteur albertain devrait être de plus en plus visible au Québec.

Le transporteur à bas coût d’Edmonton s’est déjà posé à l’aéroport Montréal-Trudeau. Tout indique que ses avions seront de plus en plus visibles dans la province. Sa flotte de 14 appareils devrait en compter 50 d’ici 2025. Des plans d’expansion sont donc sur la table. Une ombre au tableau : Flair est sous la loupe de l’Office des transports du Canada, qui vérifie si la compagnie respecte les seuils minimaux de propriété canadienne. Sa licence d’exploitation est en jeu. Une décision est attendue d’ici juin.

Swoop

PHOTO FOURNIE PAR SWOOP

Swoop, filiale à très bas prix de WestJet

Filiale à très bas prix de WestJet, Swoop n’atterrit pas encore au Québec. Le transporteur prend toutefois de plus en plus de place dans le marché canadien. L’entreprise à petit budget prévoit desservir 33 destinations cet été, dont la moitié au Canada.

Les p’tits nouveaux

Lynx

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’ENTREPRISE

Lynx Air souhaite exploiter environ 45 avions d’ici 7 ans.

L’entreprise de Calgary est la dernière à miser sur le créneau des vols à petit budget. Ce transporteur ne dessert pas encore le Québec, mais Lynx Air souhaite exploiter environ 45 avions d’ici 7 ans. Une expansion du réseau au Canada est à prévoir si tout se déroule comme prévu. Au moment d’effectuer son vol inaugural, en avril dernier, l’entreprise de Calgary désirait exploiter 90 vols nationaux avant le mois de juin.

Canada Jetlines

Cette fois-ci semble être la bonne pour Canada Jetlines, qui a tenté de décoller à plus d’une reprise dans le passé, sans succès. Les débuts seront toutefois modestes, avec quelques appareils basés à l’aéroport Pearson, à compter de l’été. La compagnie a notamment les yeux tournés vers des destinations aux États-Unis, au Mexique ainsi que dans les Caraïbes.