« On est uniques. Je ne crois pas qu’il y ait un autre corps de police au monde qui remplit à la fois des mandats fédéral, provincial et municipal. Mais ça ne marche plus en 2023. Ce n’est pas efficace et on doit changer nos façons de faire. »

Le nouveau commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, Mike Duheme, a accordé à La Presse une longue et rare entrevue de fond dans nos locaux la semaine dernière.

Duheme, qui a été nommé grand patron de la GRC pour un maximum de deux ans après le départ de sa prédécesseure Brenda Lucki en mars dernier, a fait de la restructuration de la police canadienne sa priorité.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le commissaire de la GRC, Mike Duheme, lors de son passage dans les locaux de La Presse mercredi dernier

Depuis la création de la GRC en 1873, les policiers montés – comme on les appelle communément – font des enquêtes fédérales, jouent le rôle de policiers territoriaux et provinciaux sauf au Québec et en Ontario, patrouillent et répondent aux appels dans 150 villes canadiennes et surveillent les frontières.

Mais en 2023, ce modèle ne tient plus la route face aux nouvelles menaces que représente une criminalité qui a grandement évolué : ingérence étrangère, sécurité nationale, terrorisme étranger ou domestique, blanchiment d’argent international, cybercriminalité, crime organisé transnational, etc.

Le mandat premier des enquêtes fédérales de la GRC doit être de combattre ces crimes.

Mais actuellement, sur 19 000 policiers de la GRC à travers le pays, moins de 3000 sont affectés au « programme fédéral », ce que Mike Duheme appelle « le FBI du Nord », qui regroupe les enquêteurs qui combattent les crimes énumérés ci-dessus. « C’est sûr que ce n’est pas assez », déplore le commissaire.

Le manque de ressources est criant et affecte notre capacité en matière de police fédérale. Les dossiers qu’on a sont non négociables. Tous les comités parlementaires sur lesquels je suis invité, on ne parle pas de la gendarmerie. On parle d’ingérence étrangère, des frontières, de cybercriminalité, etc.

Mike Duheme, commissaire de la Gendarmerie royale du Canada

Des enquêtes qui écopent

Lorsqu’une situation hors de l’ordinaire survient au Canada, par exemple un Sommet du G7, des Jeux olympiques ou une immigration massive au chemin Roxham, les enquêteurs du « FBI du Nord » sont mis à contribution, ce qui les détourne ainsi, parfois pour une longue période, de leur véritable mandat.

Et lorsque le gouvernement demande des compressions à la GRC, ce sont encore les enquêtes fédérales qui écopent, dit Duheme, et non les services offerts aux provinces et aux villes.

« Au cours des dix dernières années, on a perdu plus de 1000 ressources, car il y avait moins d’argent. Il a fallu revoir nos choses et on a perdu beaucoup de notre expertise pour ce qui est des programmes qu’il faut maintenant rebâtir. »

Quatre quartiers généraux

Rebâtir, cela veut notamment dire remplacer les divisions actuelles que l’on retrouve dans chacune des dix provinces par quatre quartiers généraux régionaux : le Pacifique (Colombie-Britannique et Yukon), l’Ouest (Alberta, Saskatchewan et Manitoba), le Centre (Ontario) et l’Est (le Québec et les provinces atlantiques).

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Agents de la GRC surveillant l’accès à la colline du Parlement durant une fusillade à Ottawa en octobre 2014

« Actuellement, dans des provinces, nos ressources aux enquêtes ne travaillent pas sur les priorités du programme fédéral. Elles sont financées par le programme, mais sont utilisées à toutes les sauces, et travaillent sur des crimes provinciaux. Pendant ce temps, à Montréal, ils en ont plein les bottes avec l’ingérence étrangère, et les enquêteurs du programme en Ontario et en Colombie-Britannique sont aussi occupés. Donc on reprend des ressources et du financement et on les redistribue dans les centres qui en ont besoin », explique M. Duheme, qui espère avec ces changements pouvoir éviter les ponctions régulières et assurer l’intégrité du programme fédéral.

Présence dans les villes et les provinces

Et les services de gendarmerie que la GRC assure dans les villes et les provinces autres que le Québec et l’Ontario ? La GRC continuera de les offrir, affirme M. Duheme.

Même si certaines grandes villes, comme Surrey, en Colombie-Britannique, et des provinces ont choisi ou envisagent d’avoir leur propre police municipale ou provinciale, Mike Duheme croit que la GRC n’aura d’autre choix que de continuer à être présente dans certaines régions et certains territoires.

« Mais est-ce que le mieux ne serait pas que la GRC ne fasse plus du tout de police provinciale et municipale, et enquête exclusivement sur les crimes fédéraux ? », a demandé La Presse au commissaire.

« Ce sera au gouvernement de prendre position et de décider de ce que la GRC devra offrir en matière de services », a répondu M. Duheme.

Une formation adaptée

Outre dans sa structure, la GRC apporte également d’importants changements dans le recrutement et la formation, qui ont d’ailleurs déjà commencé à se faire sentir.

Depuis des lustres, toute nouvelle recrue embauchée doit d’abord passer par une formation de base de six mois à Dépôt, l’académie de la GRC, à Regina, en Saskatchewan.

« À Dépôt, ils font une excellente job pour préparer nos gens à faire de la patrouille, mais ce n’est pas "guiré" pour les enquêtes fédérales », constate M. Duheme.

Maintenant, un nouveau candidat pourra choisir – sur le site internet de la GRC – entre la gendarmerie, les enquêtes et la protection des dignitaires ; la formation de six mois n’est plus obligatoire ou est orientée différemment pour les deux dernières catégories, et les recrues ne sont plus obligées de s’expatrier – parfois durant des années – dans une autre province avant de revenir dans la leur.

Après avoir fait cette annonce, la GRC a lancé un projet pilote et créé des postes dans la section Protection des dignitaires. Elle avait déjà reçu 265 candidatures en 24 heures, et 1500 après deux semaines.

Les temps ont changé

« Avant, c’était au troisième mois de leur formation de six mois à Dépôt que les recrues savaient où elles iraient. C’est impossible, on ne peut plus faire ça aujourd’hui », explique le grand patron de la GRC.

Si tu recrutes un membre des communautés visibles, que tu l’envoies à Dépôt et ensuite dans une autre région, ça n’a pas de sens. Qu’il retourne plutôt dans sa communauté et devienne un ambassadeur. Qu’il ait une influence positive.

Mike Duheme, commissaire de la Gendarmerie royale du Canada

Pour M. Duheme, il n’est pas question de modifier les exigences de base pour entrer dans la GRC : un diplôme de 5secondaire et un permis de conduire. Mais les candidats qui ont fait des études supérieures et n’ont aucune formation policière sont les bienvenus.

« Les critères de base ne changeront pas. Si on veut embaucher des Autochtones, ce n’est pas tout le monde qui a eu la chance de faire des cours universitaires.

« Et si tu regardes le modèle du FBI aux États-Unis, ils ne recrutent pas nécessairement dans les corps policiers. Avec une nouvelle façon de faire, on peut commencer à cibler des universités ou ailleurs. C’est là qu’on s’en va », conclut M. Duheme.

Avec la collaboration de Vincent Larouche

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