Le 24 mars, Ottawa et Washington se sont entendus pour colmater les brèches de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Résultat : le chemin Roxham a retrouvé son calme. Si plus de 100 migrants l’ont utilisé chaque jour pour entrer au Canada, de janvier à mars 2023, il n’y en a plus qu’un par jour – en moyenne – depuis avril. Mais cela n’a pas réduit la forte pression qu’exercent les demandeurs d’asile. Au contraire, leur nombre augmente toujours.

1. Le flux augmente

Les données disponibles, portant sur les huit premiers mois de 2023, confirment cette tendance : le Canada a accueilli 81 171 demandeurs, contre 53 450 pour la même période de 2022.

L’analyse des données mois par mois montre aussi que la fermeture du chemin Roxham n’a pas vraiment freiné le flux. Au début de 2023, en raison des quelque 4000 entrées par mois par cet accès, le total des demandes mensuelles d’asile au Canada atteignait environ les 10 000. Après une chute à 6885 en avril et à 8840 en mai, les demandes ont ensuite repris de plus belle pour atteindre un niveau record de 12 620 en août.

Résultat, la capacité d’accueil du Canada est toujours aussi sollicitée et les pressions restent fortes sur les ressources.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le YMCA de la rue Tupper, au centre-ville de Montréal, affiche complet.

Le programme d’accueil du gouvernement du Québec, le PRAIDA, dont la capacité est de 1150 places dans deux sites d’hébergement, affiche toujours complet avec un taux d’occupation de 100 %.

Du côté fédéral, au début septembre, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) louait 810 chambres dans 10 hôtels dans la région de Montréal pour loger des demandeurs d’asile.

2. Leur parcours

Si le nombre de réfugiés potentiels n’a pas baissé, ce qui a changé, ce sont les façons d’entrer au Canada. Les interceptions par la GRC, qui se faisaient presque toutes au Québec, en raison du chemin Roxham, se sont effondrées, passant de plus de 4000 par mois au début de l’année à environ 50 par mois à partir d’avril.

Cependant, les entrées par avion ont explosé, passant d’environ 1500 par mois en début d’année à 3970 en juillet et 3220 en août.

Ces demandeurs d’asile qui arrivent par avion ne sont pas des gens qui, parce que le passage terrestre n’était plus accessible, ont seulement changé de mode de transport pour tenter d’entrer au Canada : ils viennent d’autres pays. Cette filière aérienne ne remplace donc pas celle du chemin Roxham, d’autant plus qu’elle avait commencé à prendre son envol dès le début de 2022, passant de 740 en janvier de l’an dernier à 2040 en décembre.

Autrement dit, si le chemin Roxham était resté ouvert, des milliers de réfugiés l’auraient fort probablement toujours emprunté, et le Canada aurait dû accueillir 30 000 ou 40 000 réfugiés de plus cette année.

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Ousseynou NDiaye, directeur d’Un itinéraire pour tous, à Montréal-Nord

« On pensait avoir un répit, mais il n’y a rien qui a changé parce que des détenteurs de visas de touriste se transforment en demandeurs d’asile. Cette fois-ci, ce n’est pas du côté d’Haïti, mais de l’Afrique francophone », explique Ousseynou NDiaye, directeur de l’organisme Un itinéraire pour tous, situé à Montréal-Nord.

3. Leur origine

Les pays de naissance de ces nouveaux demandeurs ne sont plus les mêmes. Il y a un an, les ressortissants du Mexique, d’Haïti et de la Colombie dominaient. Maintenant, ils proviennent beaucoup d’Afrique. Selon le PRAIDA, les pays de naissance sont, par ordre d’importance, le Mexique, le Congo-Kinshasa, le Tchad et le Sénégal.

Dans le cas des Mexicains, l’arrivée en avion est facilitée par le fait qu’ils peuvent entrer au Canada sans visa. Ceux qui proviennent des pays africains sont munis de visas, contrairement à ceux qui arrivaient de façon irrégulière.

De façon générale, leur profil n’est pas le même que celui des personnes qui ont traversé les Amériques avant de mettre le pied au Canada de façon irrégulière. Il y a moins d’enfants, moins de familles, et plus de gens qui ont davantage de moyens, selon Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI).

On observe également la croissance d’une autre filière, celle de demandeurs d’asile qui ne se déclarent pas au moment de leur entrée au pays, que ce soit à pied, en avion ou en auto, auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), mais qui font leur demande à IRCC une fois sur le territoire canadien. Leur nombre est en forte augmentation. D’une moyenne de 2000 par mois en 2022, il est passé à 7985 pour le seul mois d’août.

4. Leur point de chute

La fermeture du chemin Roxham, qui était la principale porte d’entrée des demandeurs d’asile au Canada, avec 45 % du total, a eu un autre impact très important. Le Québec n’est plus leur principal point de chute.

En 2022, sur un total de 91 760 demandeurs d’asile, en incluant tous les modes d’entrée, 64 %, soit presque les deux tiers, se retrouvaient au Québec, contre 26 505 en Ontario, la deuxième destination en importance, soit 29 %.

Mais depuis avril, les choses ont changé. Pour les mois post-Roxham, d’avril à août, sur les 50 560 demandeurs d’asile au Canada, 24 185 ont fait leur demande en Ontario, soit 48 %. La province voisine devient ainsi le principal lieu d’accueil et devance le Québec qui, avec 21 105 demandeurs, ne représente plus que 42 % du total canadien.

5. Le sens des passages

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Seuls deux cônes orange montent la garde au chemin Roxham, a constaté La Presse.

La Presse est allée au chemin Roxham pour découvrir que les installations de la GRC sont désertées. Seuls deux cônes orange montent la garde sur le sentier en terre qui sépare les États-Unis du Québec.

Et surtout, il n’y a pas un chat pour garder la frontière et empêcher les migrants d’entrer illégalement au Canada. Pourquoi ? Parce que l’expression couramment utilisée, soit la fermeture du chemin Roxham, n’est pas tout à fait exacte. On n’a pas vraiment fermé le chemin, on a plutôt mis fin au statut spécial dont il jouissait. Si des migrants tentent de l’emprunter, ils ne seront plus accueillis comme avant par la GRC et l’ASFC. Ils seront arrêtés et expulsés vers les États-Unis, à moins de satisfaire à l’une des exceptions en vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Résultat, très peu de gens tentent l’aventure.

Des tentes ont déjà été démontées et les travaux de démolition du bâtiment principal vont débuter lundi.

« Nous continuons d’intercepter des migrants qui entrent au pays de manière illégale, mais sur toute l’étendue de notre territoire au Québec, précise le sergent Charles Poirier, du bureau des communications de la GRC. Nous interceptons aussi de plus en plus de migrants qui font le chemin inverse, soit du Canada vers les États-Unis. »

En effet, le nombre d’interceptions de migrants qui tentent d’entrer illégalement aux États-Unis est en augmentation. « Plus de 6100 arrestations en provenance de 76 pays différents en seulement 11 mois, soit plus que les 10 dernières années réunies », a écrit le chef de la patrouille frontalière américaine du secteur de Swanton, Robert Garcia, sur le réseau social X, au début septembre.

Consultez les données sur les demandes d’asile
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  • 32,2 %
    Taux d’approbation moyen des demandes présentées par des Mexicains à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR), depuis 2017.
    Source : gouvernement du Canada