(Québec) « Je ne fais pas de politique, mais j’aime ça leur parler et les aider. »

Assis dans un café du quartier Sillery à Québec, Patrick Taillon, professeur de droit et spécialiste de la Constitution à l’Université Laval, reconnaît les liens parfois serrés qui l’unissent à la politique québécoise.

Au cours des dernières décennies, cet ancien président du Comité national des jeunes du Parti québécois (CNJPQ), qui a brièvement succédé en 2003 au flamboyant et actuel député Pascal Bérubé dans ce siège, a pris un pas de recul. Mais à constater les mandats qu’il enchaîne pour le gouvernement caquiste de François Legault, tout comme les appels « de tous les partis » qu’il reçoit pour réfléchir aux enjeux de l’heure, son influence reste bien concrète.

Patrick Taillon se prononce sur un large éventail de sujets. À Québec, les idées du constitutionnaliste qui dit rarement non à une entrevue – il est cité régulièrement par les grands quotidiens et participe à la balado de son ami chroniqueur Antoine Robitaille sur QUB radio – dépassent la sphère médiatique.

Depuis l’arrivée au pouvoir en 2018 de la Coalition avenir Québec (CAQ) avec sa signature « autonomiste », en opposition à la souveraineté ou au fédéralisme, M. Taillon – ou la nature de ses intérêts de recherche – a gravité dans l’ombre de réflexions qui ont mené à des politiques nationalistes marquantes, lui qui se dit en faveur de tout ce qui fait sortir le Québec du statu quo.

  • Affirmer dans la Constitution que les Québécois forment une nation francophone ;
  • Mettre fin à l’obligation pour les députés de l’Assemblée nationale de prêter serment au roi d’Angleterre ;
  • Utiliser la clause dérogatoire pour protéger le modèle québécois de la laïcité contre des contestations en vertu des chartes des droits et libertés…

Pour chacun de ces exemples, son rôle a varié, nuance-t-il. Et jamais n’a-t-il tenu le crayon des décideurs à leur place, n’étant ni un élu ni un employé du gouvernement.

Dans certains cas, comme pour la réforme de la loi 101 en 2022, dans laquelle Simon Jolin-Barrette a modifié la Loi constitutionnelle de 1867 pour y affirmer que les Québécois forment une nation dont la seule langue officielle est le français, il a été consulté en amont du dépôt du projet de loi. Il se souvient d’une jeune ministre qui voulait tout comprendre et qui posait beaucoup de questions. Ce qui a été retenu n’était pas son idée, mais il lui a expliqué la route à prendre.

À d’autres occasions, il a aussi obtenu des mandats du ministère de la Justice, qui l’a notamment sollicité afin de produire un rapport d’expertise, qui a été déposé au tribunal, dans le cadre des contestations de la loi 21 sur la laïcité. Son travail consistait à faire l’étude de lois équivalentes qui restreignent la liberté d’exprimer des convictions religieuses et de rappeler comment la Cour européenne des droits de l’homme avait réagi.

Constitutionnaliste et nationaliste

De façon plus formelle, on a également lu au cours de l’hiver les recommandations de Patrick Taillon – formulées avec l’ex-ministre Louise Beaudoin, le haut fonctionnaire Clément Duhaime et sa collègue à l’Université Laval Véronique Guèvremont – dans un costaud rapport pour assurer la « découvrabilité » (le nouveau mot tendance dans les arts) des contenus québécois en ligne sur les Netflix, Disney+ et autres géants étrangers numériques.

Le comité, créé par le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, a notamment recommandé que le gouvernement dépose un projet de loi pour garantir « le droit fondamental à l’accès et à la découvrabilité des contenus culturels » francophones en modifiant la Charte québécoise des droits et libertés de la personne pour y ajouter des « droits culturels pleinement opposables et justiciables devant les tribunaux ». Les observateurs ne l’avaient pas vu venir.

Ayant grandi en banlieue de Montréal à une époque où la télévision régnait encore dans les salons comme un puissant vecteur de la culture québécoise, M. Taillon s’inquiète de la perte d’un socle commun au Québec.

« Avec la post-vérité, avec les médias qui s’effritent et les habitudes de consommation culturelles qui changent, le défi de demain est de continuer à être capable de former [un tout] », explique le professeur de 46 ans qui demande qu’on l’appelle tout simplement Patrick, un homme affable et allergique à l’image de l’universitaire qui regarde de haut ceux qui ne détiennent pas ses connaissances.

Puis, parce qu’il ne chôme pas, il étudie ces jours-ci les questions découlant du clivant débat visant l’identité de genre et les enjeux concernant les personnes trans et non binaires au sein d’un « comité des sages » nommé par la ministre de la Famille, Suzanne Roy. Le mandat touche de nombreux secteurs : éducation, santé, sécurité publique, sports, famille…

Finalement, avec tous ces mandats et les sollicitations des médias et des politiciens, « êtes-vous rendu un influenceur ? », lui demande-t-on. La question le fait rire.

« Mettons ! »