(Québec) Si le gouvernement Legault souhaite sensibiliser les jeunes à la surabondance d’anglicismes avec sa publicité d’un faucon pèlerin « vraiment sick » aux « skills » de chasse « insane », la cible n’a probablement pas été atteinte, constatent des professeurs de français.

La vice-présidente de l’Association québécoise des professeur.e.s de français (AQPF), Alexandra Pharand, en est à sa troisième année d’enseignement. Elle enseigne cette année aux élèves de la 2e secondaire dans une école de la Rive-Sud de Montréal. Les mots en anglais qu’utilisent les jeunes lorsqu’ils se parlent entre eux, elle les entend chaque jour dans les corridors.

Une fois la cloche sonnée et ses élèves bien attentifs, Mme Pharand leur a demandé, plus tôt cette semaine, s’ils avaient vu le désormais fameux faucon gouvernemental.

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Alexandra Pharand, enseignante de français en 2e secondaire au collège Charles-Lemoyne

« Tout de suite, ils sont partis à rire. Ils ont trouvé ça drôle. Ce sont beaucoup des anglicismes employés par les ados. Il y avait dans la classe un mélange d’élèves qui trouvaient ça drôle et d’autres qui trouvaient ça malaisant », raconte la jeune enseignante à La Presse.

Au fil d’une discussion en classe, Mme Pharand a remarqué que plusieurs élèves n’avaient pas capté le message que souhaite véhiculer le gouvernement. Pourtant, il est même écrit en lettres blanches sur un fond noir : « Au Québec, le français est en déclin. Renversons la tendance. »

« Quand je leur ai demandé ce qu’ils comprenaient de la publicité, s’ils [décodaient] ce que le gouvernement souhaitait que l’on retienne comme message, rien n’allait vers l’amélioration de la langue française. Je leur demandais s’ils se sentaient sensibilisés au fait qu’ils utilisent beaucoup d’anglicismes et s’ils avaient envie d’en utiliser moins et leur réponse était unanime : “Non madame, ça ne va rien changer” », explique-t-elle.

Changer d’angle

Depuis des mois, le premier ministre François Legault et ses ministres, à commencer par celui qui est responsable de la Langue française, Jean-François Roberge, répètent qu’il faut un « réveil national » quant au déclin du français au Québec. Le plus récent recensement démontre que la proportion de personnes qui ont déclaré avoir le français comme langue maternelle est passée de 77,1 % à 74,8 % dans la province entre 2016 et 2021. La proportion de personnes dont le français est la première langue officielle parlée a également diminué, passant de 83,7 % à 82,2 % sur la même période.

Québec a promis de déposer d’ici l’automne prochain un plan d’action pour « ralentir, arrêter et inverser le déclin de la langue française ». L’AQPF rencontrera ce printemps le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, qui veut revoir l’enseignement du français au Québec.

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Le ministre responsable de la Langue française, Jean-François Roberge, en janvier dernier

Dans un premier temps, explique Alexandra Pharand, il faudrait commencer par valoriser le français dans une approche positive, qui insiste moins sur les anglicismes que sur les bénéfices associés au fait de bien parler la langue officielle du Québec.

« Il faut montrer aux élèves en quoi c’est utile de bien parler français. Ils demandent toujours à quoi ça sert. S’ils n’ont pas d’intérêt à mieux parler français, ils ne s’y intéresseront pas », affirme-t-elle.

Pour valoriser le français, c’est beaucoup plus concluant de bâtir sur le positif et de dire à l’élève en quoi ça va lui servir de bien parler français. Il faut y aller avec des exemples concrets.

Alexandra Pharand, vice-présidente de l’Association québécoise des professeur.e.s de français

Dans sa classe, plusieurs élèves cherchent par exemple des emplois à temps partiel. Mme Pharand leur parle ces jours-ci de la notion des registres de langue : le registre courant, le registre soutenu et le registre familier. On ne parle pas de la même façon que l’on s’adresse à un futur employeur ou à son ami.

« Souvent, l’approche est de parler contre l’anglais. Mais pourquoi est-ce qu’on revient toujours à l’anglais lorsqu’on parle de notre langue ? Ça serait plus gagnant de valoriser le français plutôt que de dévaloriser l’anglais et dire que c’est mal », estime l’enseignante.

Une question de génération

À 27 ans, le temps n’a pas encore commencé à creuser une distance entre Alexandra Pharand, en début de carrière, et les références culturelles des élèves à qui elle enseigne. À titre personnel, sans associer l’AQPF à sa réflexion, elle se demande si le sentiment d’urgence associé au déclin du français est quelque chose d’enraciné dans les générations précédentes.

« Le sentiment d’alarme, je l’entends chez mes parents, chez mes grands-parents et dans les médias. Mais quand je parle avec des gens de mon âge et avec des élèves, le déclin du français, je ne l’entends pas », affirme-t-elle.

Mme Pharand nuance toutefois qu’elle est profondément attachée au français. « Je ne pense pas que notre génération perçoit l’anglais comme une menace. On le voit comme un outil. Mais est-ce que je veux protéger le français et que le français garde sa place au Québec ? Absolument », dit-elle.

Mais en regardant cette publicité montrant un faucon « vraiment sick qui est reconnu pour être assez chill », c’est plutôt ce deuxième adjectif qui caractérise l’attitude de la jeune génération face au déclin du français, estime-t-elle.

« Est-ce que les élèves ont vu dans la publicité qu’ils doivent enlever des anglicismes de leur vocabulaire ? Je ne pense pas. Tout ce qu’ils ont vu, c’est un monsieur qui parle comme eux. Ils ont trouvé ça drôle et ils ont ri. Ont-ils été conscientisés ? Non », conclut Alexandra Pharand.