Comme l’été dernier, 13 de nos journalistes se relaient quotidiennement pendant un mois pour faire progresser une intrigue lancée par Stéphane Laporte. Un exercice ludique inspiré des cadavres exquis des surréalistes. Cette année, notre polar nous ramène en 1976… au moment où tout bascule pour le jeune enquêteur Baptiste Bombardier. Bonne lecture !

À ce stade-ci du récit, il ne convient pas de relater par le menu la nuit absurde vécue par Kim Yaroshevskaïa, Louisette Dussault et Guy Sanche, tous trois convoqués d’urgence par les services secrets au quartier général de la GRC, à Westmount. Qu’il suffise de dire que les trois comédiens s’étaient fait ordonner de se présenter avec les costumes des personnages qu’ils incarnaient pour le plus grand plaisir des enfants. C’est ainsi que toute la nuit, la robe rose de Franfeluche, la feutrine verte de la Souris verte et l’attirail de Bobino se retrouvèrent sous scellés dans la chambre forte à côté de contenants de haschisch, d’héroïne, de cocaïne, de vin frelaté, de fromage au lait cru et d’un ours polaire empaillé.

Les comédiens furent ensuite envoyés sans la moindre explication dans une suite du Ritz-Carlton, incommunicado, sous la surveillance de deux taupins dont on ne pouvait soupçonner qu’ils étaient des « polices montées », sauf peut-être à cette âcre odeur d’écurie qui émanait du plus roux des deux.

La police fédérale ne faisait plus confiance à la « police de Drapeau », et avait pris ses décisions pour protéger la sécurité nationale. Rien de rien ne devait filtrer.

Il ne sert absolument à rien non plus de mentionner que celui des deux gendarmes qui ne sentait pas le cheval avait une ressemblance troublante avec Larry Robinson, qui festoyait avec 17 membres de l’équipe de hockey dans une autre suite du même Ritz. Ni comment Yvon Lambert le confondit avec son fameux coéquipier en l’apercevant dans le corridor, l’entraîna de force dans la suite des joueurs de hockey même s’il répétait « ch’t’une police, tabarnak ! », ce qui faisait hurler de rire les autres joueurs. Sous la contrainte, le gendarme-Robinson étonna tout le monde en chantant La p’tite jument presque sans accent. Mentionnons pour l’anecdote que quand le vrai Robinson entra dans la pièce, Yvan Cournoyer s’évanouit, le .38 chargé à bloc du flic tomba de sa veste et tous les autres joueurs se tournèrent joyeusement vers Guy Lapointe, premier suspect pour ce genre blague douteuse.

« T’es donc fou, Pointu ! », dit Jacques Coco Lemaire.

Mieux vaut se transporter dans l’arrière-boutique de cette disco de la rue Ontario, où l’autre Coco, Duncan Archibald, vient de faire son apparition, torse nu sous une veste en paillettes, une bouteille de Dom Pérignon dans chaque main.

« Veux-tu ben me dire quesse tu fais ici ? cria Carmen.

– Sex, baby, I’m here for sex ! hurla-t-il en déshabillant du regard le jeune policier. C’est qui, ce beau garçon-là ? Pourquoi tu l’as attaché ? Wuuuuu ! Somethin’ kinky is goin’ on, I think... »

Avant même que Carmen n’ouvre la bouche, Bombardier profita de la distraction pour se déprendre d’un geste brusque. Il sauta sur Carmen, qui tomba sur Coco. Les deux bouteilles s’envolèrent comme les quilles d’un jongleur. La première finit son vol en se fracassant sur le crâne de Carmen, qui perdit connaissance. Sans savoir pourquoi, Bombardier étira le bras pour attraper la deuxième.

Étendu tout du long sur le roi du jet-set montréalais, Bombardier resta interdit pendant une seconde. Il sentit quelque chose de dur contre sa cuisse. Il remit, un peu gêné, la bouteille à Coco.

« Vous m’avez sauvé la vie, lui dit-il, ému.

— Toi, mon chéri, tu as sauvé mon champagne, I’m so grateful, kiss me, kiss me, kiss me love », dit-il avant de frencher goulûment le policier, qui se laissa faire, soit par effet de surprise, soit par curiosité, soit parce qu’il estimait que sa vie valait bien un french, soit encore parce que, comme les gars disaient au poste, « on est en 1976, déniaise » !

Il chassa les autres interrogations qui se pressaient dans son esprit, s’excusa de devoir s’en aller et courut au téléphone le plus proche, après avoir pris soin d’attacher sa cousine-terroriste.

* * *

Au même moment, dans la nuit des Laurentides, une jeune reporter s’éloignait d’une maison abandonnée, suivie par un architecte français fulminant. Ils marchaient dans un rang mal éclairé.

« Ah, vous en avez mis, du temps ! Ah, elle est belle, votre police ! Ah, les enfoirés ! Ah, on ne m’y reprendra plus !

– Monsieur Taillibert, ça fait quatre fois que je vous dis que je suis pas policière ! rétorque la jeune femme, en ouvrant la portière de sa Renault 12.

– Me faire ça à moi ? Ils n’en ont pas eu assez de défaire mon œuvre, mon stade, de bousiller mes plans, ils ont voulu m’humilier ! Ça ne se passera pas comme ça, ma p’tite dame, je vous en passe un papier ! J’avais averti le maire Drapeau, c’est la faute des ingénieurs ! Incompétence ! Corruption ! Médiocrité, partout je ne vois que ça, alors que moi. Moua… »

Liliane Jasmin était une jeune femme bien élevée, mais comme elle se plaisait souvent à le répéter : « Y a tout de ben même des ostie de limites à toute, dans’ vie ». Elle fixa l’architecte et du haut de ses cinq pieds, hurla vers lui :

« Ta yeuuuuuuule ! »

L’écho lui renvoya sa voix plusieurs fois. Le grand homme se tut et se contenta de grommeler avec le plus de dignité possible jusqu’à ce qu’ils parviennent chez Louise Simoneau.

Elle vint répondre en robe de chambre.

« Qui c’est l’insignifiant qui vient me déranger en pleine nuit, non mais ça s’peut-tu ? ? ? »

Son chien sortit en jappant et mordit l’architecte au mollet.

Pendant que la jeune journaliste survoltée expliquait ce qu’elle avait découvert au téléphone, Madame Louise désinfectait à regret la blessure de Taillibert avec un single malt 12 ans, avant de lui appliquer un pansement. Le Français répétait sans cesse : « Ah, ça, c’est le bouquet ! Ça, c’est le bouquet ! » Madame Louise était hilare, jusqu’à ce que Taillbert ose parler du « sale clébard de mes deux » qui l’avait mordu.

« Vous êtes ben mieux de surveiller votre langage, mon p’tit monsieur, parce que des Françâs comme vous, y en mange deux au déjeuner, c’tu clair ? »

À la lumière des évènements, Taillibert conclut qu’il valait mieux ne pas pousser sa luck.

Lisez les autres chapitres du polar estival

Replongez dans l’ambiance de l’époque en écoutant Quand on aime on a toujours vingt ans de Jean-Pierre Ferland, le choix musical d’Yves Boisvert, et découvrez notre liste de lecture de classiques que Baptiste Bombardier aurait sans doute fait jouer à fond la caisse dans sa Pontiac Astre jaune !

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Ceci est une œuvre de fiction. Le récit emprunte le nom de personnages réels, mais tous les éléments rapportés dans ce polar sont le fruit de l’imagination débordante de nos chroniqueurs et journalistes.