Comme l’été dernier, 13 de nos journalistes se relaient quotidiennement pendant un mois pour faire progresser une intrigue lancée par Stéphane Laporte. Un exercice ludique inspiré des cadavres exquis des surréalistes. Cette année, notre polar nous ramène en 1976… au moment où tout bascule pour le jeune enquêteur Baptiste Bombardier. Bonne lecture !

« Salut, boss, c’est Auger. Tu ne me croiras pas. Je viens de parler à une de mes sources à la police. Apparemment, il y a au moins une femme derrière l’histoire de la Coupe Stanley. Peut-être même plus.

— Quoi ?

— Je te le dis.

— Ben voyons. Pourquoi elle ferait ça ? Une affaire de cash ? D’amour ? Fouille, fouille. Ça n’a juste pas de bon sens. »

Fouille, fouille, facile à dire, se dit le journaliste, sachant très bien que lorsque les policiers sont pris dans une histoire où ils n’ont pas l’air glorieux, ils n’ont pas tendance à jaser beaucoup. Ses sources étaient déjà peu loquaces. La seule personne à qui il aurait vraiment voulu parler, avec qui il aurait aimé avoir une vraie relation de confiance, c’était Manon Ryan, la cheffe du renseignement du service de police de Montréal.

Or, elle n’avait jamais voulu lui parler. Elle s’était montrée fermée comme une huître chaque fois qu’il avait essayé d’aller à la pêche aux informations. Et ce ne sont pas les beignes au miel rapportés de chez Dora, à Eastman, offerts à sa première visite au bureau de la policière, qui avaient aidé quoi que ce soit.

« Peut-être que je vais devoir appeler Liliane », se dit le spécialiste du gros fait divers. « Elle, Manon lui parle. »

Liliane Jasmin était une jeune collègue aussi affectée aux « chiens écrasés », une recrue prometteuse du journal, qui rêvait de pouvoir un jour couvrir la boxe. En attendant, elle faisait un solide boulot aux affaires criminelles, propulsée par la couverture de la Commission d’enquête sur le crime organisé et, plus précisément, le scandale de la viande avariée.

Le journaliste prit le téléphone et composa le numéro du journal.

« La Presse, bonjour », répondit une standardiste, perchée sur une plateforme surélevée accessible par quelques marches, d’où elle pouvait autant répondre aux appels des lecteurs cherchant la solution du jeu des sept différences que voir l’ensemble de la salle de rédaction, tel un chasseur de chevreuil installé dans sa cache.

« Salut, Marie-Claire. Faut que je parle à Liliane.

— Je ne la vois pas dans la salle.

— Est-elle là aujourd’hui ?

— Oui. Attends, je viens de la voir. Elle parlait au nouveau gars qui écoute les ondes radio de police, me rappelle plus son nom. Elle s’en va à son bureau. Je te la passe. »

« Liliane, c’est Michel, j’ai besoin de ton aide. Peux-tu parler à Manon Ryan ? »

Wow. Ça n’arrivait pas souvent que le super journaliste, l’as reporter, demande de l’aide à la jeune femme. Une petite fierté lui monta doucement au cœur.

« Tu veux savoir quoi ?

— Une source à la police me dit qu’il y a au moins une femme derrière la disparition de la coupe Stanley et que ça serait peut-être lié au meurtre du chantier du Stade.

— OK, je fais ce que je peux. »

Liliane raccrocha, perplexe. Cette hypothèse lui semblait bien étrange. Une nouvelle Monica la mitraille ? Mais ça ferait une maudite bonne histoire. Et si elle réussissait à trouver des informations, elle aurait sûrement son nom à côté de celui de son idole, en haut de l’article, à la une du journal. Le rêve.

Mais encore fallait-il que Manon Ryan prenne l’appel.

Après trois essais – et après avoir laissé le téléphone sonner pendant presque une minute chaque fois –, la journaliste en vint à la conclusion qu’il fallait revenir au b. a.-ba de son travail : aller sur place, aux bureaux centraux du service de police de Montréal, voir si Manon y était.

« Vous cherchez quelque chose ? lui demanda un policier à son arrivée dans l’immeuble.

— J’aimerais parler à Manon Ryan.

— Elle n’est pas ici. Tout le monde la cherche. Elle n’est pas chez elle non plus. Vous êtes qui, une amie, un membre de sa famille ? lui demanda l’agent Michel Pelchat, qui s’adonnait à passer par là, gonflé par la fierté d’avoir récupéré la coupe Stanley, mais hautement préoccupé par l’ultimatum de la cellule Nike.

— Je suis journaliste à La Presse. »

Pelchat retomba sur-le-champ de son nuage comme une tonne de briques. Quand allait-il apprendre à se taire ? Il voyait déjà la conversation avec ses patrons, découragés par son indiscrétion. « Elle n’avait vraiment pas l’air ni de Tintin ni des gars du Watergate ! » Ils finiraient par être d’accord, c’est sûr.

Ce que ses patrons ne sauraient jamais, par contre, c’est à quel point Pelchat était épris de Manon Ryan. Comment il lui avait écrit des dizaines de lettres anonymes expliquant tout son amour à cette femme exceptionnelle qui, pour lui, avait toutes les qualités du monde. La beauté, la force, le caractère. Tout ça était totalement secret. Parce que Pelchat était un timide, malgré tout. Et parce que parmi ses collègues masculins, ça aurait bien mal paru.

Liliane Jasmin rebroussa chemin, intriguée par ce qu’elle venait d’entendre et par la candeur du jeune policier.

Manon Ryan, personnage clé de la police de Montréal, introuvable... Il y avait quelque chose de louche là-dedans.

C’est alors que Liliane se rappela sa grande amie Louise, qui avait un chalet à Saint-Colomban, et lui avait raconté avoir croisé la policière dans le coin à quelques occasions, notamment au moment des funérailles de son oncle, mort le cou cassé après avoir plongé dans la rivière du Nord.

Peut-être que ça serait une bonne idée d’y aller, se dit-elle, en marchant vers le stationnement, pour prendre le volant de sa Renault 12.

Il lui restait juste à trouver une pièce de 10 cents et une cabine téléphonique pour expliquer à son collègue qu’elle partait explorer les environs de la rivière « crottin de cheval », le nom qu’elle avait toujours donné au cours d’eau tristement pollué, où plus personne n’osait se baigner, un peu comme le lac des Deux Montagnes.

Ce fut, sans conteste, le meilleur instant de flair journalistique de toute sa carrière.

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Ceci est une œuvre de fiction. Le récit emprunte le nom de personnages réels, mais tous les éléments rapportés dans ce polar sont le fruit de l’imagination débordante de nos chroniqueurs et journalistes.