Comme l’été dernier, 13 de nos journalistes se relaient quotidiennement pendant un mois pour faire progresser une intrigue lancée par Stéphane Laporte. Un exercice ludique inspiré des cadavres exquis des surréalistes. Cette année, notre polar nous ramène en 1976… au moment où tout bascule pour le jeune enquêteur Baptiste Bombardier. Bonne lecture !

Paul Cavalier poussa la porte du Lime Light et grimpa quatre à quatre l’escalier menant à la discothèque. À l’intérieur, il fut happé par une odeur de cigarettes, de parfum Opium de Saint Laurent et de la sueur des danseurs qui s’en donnaient à cœur joie sur Fantasy d’Earth, Wind and Fire.

Son regard balaya plusieurs fois l’immense salle et ses nombreux bars. Il était minuit trente. L’endroit était déjà bien rempli pour un mercredi soir.

Il repéra Bernard Comeau. Débarrassé de sa cravate, le bouillant chef de cabinet de Robert Bourassa était assis au bar central. Cavalier alla directement vers lui.

– Qu’est-ce que tu fais là ? demanda Comeau.

– Je suis venu te voir. Il faut que je te parle. C’est urgent.

Cavalier n’était pas d’humeur à danser, encore moins à draguer les jolies filles.

– Mais comment t’as su que j’étais ici ? s’exclama Comeau, qui n’en était visiblement pas à son premier scotch.

– Chaque fois que le premier ministre est à Montréal, c’est ton spot de fin de soirée. Je sais ça.

– Tu veux boire quelque chose ? ajouta Comeau, surpris par l’apparition du chef de la police de Montréal. La belle Jojo va s’occuper de toi.

Johanne Boulanger, barmaid étoile du Lime Light, s’approcha des deux hommes.

– Une 50 pour moi, siffla Cavalier.

Le patron du SPCUM sortit un bout de papier plié en deux. Il le glissa vers Comeau. Ce dernier se mit à le lire. Cavalier lui laissa quelques secondes.

– Deux Peach Margarita, un Porn Star Martini, un Godfather et un Black Russian, cria un serveur pressé à Johanne.

Le regard de Paul Cavalier fut attiré par un groupe très bruyant installé dans la « section VIP ». C’était en fait un grand sofa en forme de L entouré de balustrades. On mettait cette zone à la disposition des personnalités locales afin qu’elles puissent être bien en vue. Cavalier reconnut Danièle Ouimet, Céline Lomez, Alain Montpetit et le coiffeur Alvaro entourés d’une bande de wanna be bien fringués et coiffés.

Il ne manquait que Coco Duncan pour compléter le tableau, pensa Cavalier.

– C’est quoi, cette affaire-là ? dit Comeau qui venait de terminer la lecture du manifeste et de ses demandes. Ils veulent que Fernand Lalonde aille démissionner en direct à la télévision habillé en Souris verte ? Ils sont malades dans la tête ! Non, mais tu le vois avec la jupette, les collants et les grosses oreilles à côté de Bernard Derome ? On peut envoyer Oswald Parent et Gérard D. Lévesque déguisés en Grujot et Délicat tant qu’à y être ! Sacrament !

– Calme-toi ! dit Cavalier.

– Le premier ministre essaye de sortir Drapeau du trou et laisse-moi te dire qu’il paye pour ça. Lévesque regarde ça en se frottant les mains. Trudeau traite le premier ministre de mangeux de hot-dog et nous force à négocier. Et pendant ce temps-là, y a une bande de p’tits morveux qui veut faire une édition spéciale de La boîte à surprise au Téléjournal. Ça va pas ben, notre affaire, ça va pas ben…

– Écoute, on a un plan, dit Cavalier à Comeau, pensant stopper son envolée. C’est pour ça que je suis venu te rencontrer…

– C’est toé qui vas m’écouter. Jusque-là, on vous a crus quand tu nous as dit qu’on était en face d’une bande de plaisantins. On a vraiment pensé que le coup de la Coupe Stanley, c’était une joke. L’article d’Auger n’a pas réussi à convaincre le public que c’était vraiment sérieux. Mais là, il ne manquera pas son coup. Toé pis ta gang, vous êtes en train de perdre le contrôle !

Bernard, tu viens de le dire : le gouvernement est sur une pente raide. Montréal va être le centre d’attraction de toute la planète. C’est vrai que ce sont des p’tits morveux, mais ils nous font chier quand même. On les a eus avec la Coupe. Ils se sont retrouvés avec 50 000 $ au lieu de 5 millions. Ils sont sans doute pompés. Mais je suis sûr qu’on peut encore neutraliser ça. Je te demande 48 heures. Toutes mes équipes sont là-dessus. Les démissions qu’ils demandent, on répond pas à ça. J’ai un plan. Quarante-huit heures et on les trouve. Fais-moi confiance.

Bernard Comeau prit une grande respiration et fixa son verre.

– Un Merry Widow, trois Paradise, deux Brador et un Sloe Gin Fizz, hurla une serveuse à Johanne.

– OK, 48 heures, pas une seconde de plus, dit Comeau. Tu règles ça sans faire de vagues. Je réunis le cabinet à la première heure demain matin pour le mettre au courant. Cavalier, écoute-moé ben, t’es mieux de ne pas me mettre dans la marde. Sinon, c’est devant Bourassa que tu vas te retrouver habillé en Fanfreluche. Compris ?

Comeau vida son verre de scotch d’une traite et quitta le Lime Light. Il emprunta l’escalier. Au rez-de-chaussée, il regarda autour de lui pour s’assurer qu’aucune connaissance ne se trouvait dans les parages. Il s’arrêta devant la porte du Jardin, l’autre discothèque du complexe de la rue Stanley. À l’entrée, un panneau indiquait « Pour hommes seulement ».

Pendant quelques secondes, le chef de cabinet fut rongé par l’envie d’y pénétrer. C’est ce qu’il avait l’habitude de faire quand il était dans la métropole. Il fit demi-tour et se dirigea plutôt vers le parking.

Resté seul au bar, Paul Cavalier songeait à son plan et à ces petites crapules, sans doute un groupe de jeunes barbus déçus de n’avoir pu participer à la crise d’Octobre. Il pensait surtout à Baptiste Bombardier qui leur servait de monnaie d’échange. Cavalier aimait ce jeune inspecteur. Dès leur première rencontre, il avait senti que ce gars avait tout ce qu’il fallait pour faire ce métier. Cavalier regrettait tout à coup d’avoir été parfois trop dur avec lui.

– Une autre bière ? demanda Johanne.

– Merci. Il faut que je file, répondit-il.

Cavalier glissa son étui de Craven A dans sa poche et quitta le Lime Light. Dehors, des clients faisaient la file pour entrer.

Au volant de sa voiture, le chef de police de Montréal conduisait comme un automate. Ses pensées le ramenaient ailleurs. Il voyait le corps de Baptiste Bombardier ensanglanté. Il imaginait l’énorme scandale de cette affaire. Il se voyait mis à l’écart, malheureux pour le reste de ses jours.

Où c’est qu’on trouve ça, un costume de Fanfreluche ? se demanda-t-il.

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Ceci est une œuvre de fiction. Le récit emprunte le nom de personnages réels, mais tous les éléments rapportés dans ce polar sont le fruit de l’imagination débordante de nos chroniqueurs et journalistes.