Comme l’été dernier, 13 de nos journalistes se relaient quotidiennement pendant un mois pour faire progresser une intrigue lancée par Stéphane Laporte. Un exercice ludique inspiré des cadavres exquis des surréalistes. Cette année, notre polar nous ramène en 1976… au moment où tout bascule pour le jeune enquêteur Baptiste Bombardier. Bonne lecture !

Carmen Courtois n’était pas peu fière de la rapidité avec laquelle elle était intervenue pour neutraliser efficacement son cousin Baptiste Bombardier, inopportun enquêteur qui était venu fouiner chez Anita et qui reposait maintenant endormi, tassé en boule sur lui-même comme un chien, sur le tapis du salon.

« Bon, qu’est-ce qu’on fait astheure ? On lui règle son compte à lui aussi, on l’amène à Saint-Canut pis on le dompe dans la trappe de la maison abandonnée avec les deux autres crottés ? », suggéra-t-elle de façon autoritaire à ses amies et complices Anita Bling et Manon Ryan, la chef du renseignement de la police de Montréal.

Manon Ryan émergeait tout juste du sous-sol. Elle s’y était installée un peu plus tôt pour organiser la suite de l’audacieuse opération de rançonnage que la cellule Nike avait lancée par les meurtres de Gérald Bling et de Robert Lépine et le kidnapping de la Coupe Stanley.

« Non, ce n’est pas une bonne idée. Le deadline est dans cinq heures. Le manifeste est clair et sans appel, ils doivent dépêcher un émissaire à 22 h pile avec les 5 millions au Stade olympique. On n’a pas de temps à perdre, il ne faut pas s’éparpiller, mais rester concentrées. Pis, encore mieux, Bombardier pourra nous servir de monnaie d’échange additionnelle si nos ordres ne sont pas suivis correctement.

« Je viens de parler à Bob et il m’a confirmé que son frère doit prendre position d’ici une heure au Stade olympique pour observer le site et s’assurer qu’on ne se fasse pas fourrer par les cochons. »

Le mot « cochon », venant de la bouche de la policière, qui était jugée par ses patrons aussi ambitieuse que douée, n’était pas anodin. En fait, elle haïssait la police et s’était fait recruter par les services de renseignement du SPCUM au lendemain de la crise d’octobre 1970 lorsque les forces de l’ordre cherchaient à éradiquer tout nouvel essaimage de mouvements séparatistes extrémistes. Ses supérieurs l’avaient facilement convaincue de travailler pour eux.

D’obédience marxiste, elle était persuadée qu’elle pourrait mieux renverser l’ordre établi en l’infiltrant pour le corrompre de l’intérieur. Elle avait passé les cinq dernières années à manger son pain noir, à subir la bêtise et le harcèlement de ses collègues, mais elle allait bientôt savourer sa victoire et la partager avec ses complices.

« T’es ben certaine qu’on peut se fier au frère de Bob Chicoine ? », redemanda Carmen, qui était inquiète depuis le premier jour où Maurice Marteau Chicoine avait été recruté pour jouer un rôle pourtant mineur au sein de la cellule Nike.

La fête en ville

Les appréhensions de Carmen Courtois n’étaient pas farfelues. Robert Bob Chicoine était un ami de longue date de Carmen et il était membre actif du local 144 des tuyauteurs et soudeurs en tuyauterie de la FTQ. Il ne faisait pas partie de la cellule Nike parce qu’il était trop occupé à gérer ses équipes qui travaillaient 24 heures sur 24 à terminer le sapré chantier olympique.

Il avait toutefois suggéré les services de son frère Maurice lorsque Carmen lui avait fait part de ses besoins pressants d’huile de bras pour réaliser son coup d’éclat.

« Il est un peu tête en l’air, mais si vous le gardez focussé, il va être capable de faire la job », avait prévenu Bob.

La veille, au lendemain du défilé de la Coupe Stanley à Montréal, Maurice Marteau Chicoine, charpentier par vocation, mais chômeur chronique par conviction, avait poursuivi les festivités en passant la soirée au 5116, un bar branché de l’avenue du Parc où on pouvait commencer à boire au rez-de-chaussée en matinée et poursuivre jusqu’à 3 h du matin dans la discothèque à l’étage.

Il avait fait un crochet par l’Idéfix, autre bar à la mode situé avenue du Mont-Royal, angle du Parc, d’où il avait été évincé à 1 h par les portiers qui n’appréciaient pas ses démonstrations insistantes et pas très subtiles de séduction active. Il sortit sur le cul avec en fond sonore la musique forte et envoûtante de Rhiannon de Fleetwood Mac.

Il avait terminé sa soirée au Buffet de Lorimier, avenue du Mont-Royal, attablé au bar en compagnie de trois poivrots. Ils étaient assis devant leur grosse bière en regardant distraitement à la télé le film Bullitt lorsque, soudainement, ils se mirent à applaudir lourdement la séquence où Ali Macgraw se faisait violemment agresser…

Il rentra penaud chez lui dans son nouveau logement de la rue Chabot. C’est d’ailleurs en raison de ce fameux logement qu’il était en retard aujourd’hui pour gagner son poste d’observation au Stade olympique.

Il avait emménagé deux semaines plus tôt, le 1er mai, dans un grand cinq et demie, situé au troisième étage d’un quintuplex, dont les fenêtres donnaient directement sur la cime des arbres du parc Chabot, en le sous-louant à une amie de sa sœur Carole. Le propriétaire avait profité du transfert de bail pour augmenter le loyer de 80 $ à 89 $ par mois, une hausse inconsidérée, scandaleuse et, de surcroît, interdite par la Régie du loyer.

Son audition à la Régie avait été justement fixée à aujourd’hui, le mercredi 19 mai, et à 16 h, il n’avait toujours pas été appelé en audition pour défendre sa cause. Finalement, il se décida et appela à la maison d’Anita Bling pour aviser Carmen qu’il ne pourrait pas être présent pour participer à l’opération Nike.

« Désolé, faut que je retourne chez nous, que je mange pis j’ai mal à tête. Trouvez-vous quelqu’un d’autre », avait-il timidement plaidé.

« Es-tu tombé sur la tête ? Ramasse-toi pis décrisse au Stade olympique. On a un cochon en otage, mais c’est toi que je vais tuer si j’ai pas de tes nouvelles dans une heure de la cabine téléphonique de la station Viau. Mon tabarnak… », déclama d’un trait Carmen avant de raccrocher, furieuse.

Blotti en position fœtale sur le tapis du salon chez Anita Bling, c’est à ce moment-là que Baptiste Bombardier reprit ses esprits et se dit qu’il devait trouver au plus sacrant un moyen de sortir de cette fâcheuse situation.

Lisez les autres chapitres du polar

Replongez dans l’ambiance des années 1970 en écoutant Rhiannon de Fleetwood Mac, le choix musical de Jean-Philippe Décarie, et découvrez notre liste de lecture de classiques que Baptiste Bombardier aurait sans doute fait jouer à fond la caisse dans sa Pontiac Astre jaune !

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Ceci est une œuvre de fiction. Le récit emprunte le nom de personnages réels, mais tous les éléments rapportés dans ce polar sont le fruit de l’imagination débordante de nos chroniqueurs et journalistes.