Comme l’été dernier, 13 de nos journalistes se relaient quotidiennement pendant un mois pour faire progresser une intrigue lancée par Stéphane Laporte. Un exercice ludique inspiré des cadavres exquis des surréalistes. Cette année, notre polar nous ramène en 1976… au moment où tout bascule pour le jeune enquêteur Baptiste Bombardier. Bonne lecture !

La Ford Torino filait à toute allure. Une pluie fine faisait luire la 15 Nord. Installée au volant, Carmen mit les essuie-glaces en marche.

— Y’é pesant, le gros crisse, dit-elle.

— Je pense que je me suis coincé le dos, ajouta Anita.

Les deux femmes avaient eu un mal fou à mettre le corps de Normand Rouleau dans le coffre arrière. Elles y étaient finalement parvenues après de multiples manœuvres.

— Non, mais à quoi il a pensé, ce niaiseux, lâcha Anita. Embarquer Taillibert là-dedans !

— T’inquiète pas, dit Carmen. Quand Taillibert va s’apercevoir que Rouleau a disparu de la carte, il va se tenir tranquille. De toute façon, c’était prévu qu’on le fasse disparaître. C’est fait maintenant. Ça va, toi ? Pas trop sonnée ?

— Ça va, répondit Anita. Ça s’est fait doucement. Il a juste eu le temps de réaliser ce qui se passait. Il a tenté de me dire quelque chose et j’ai tiré. Paf ! Juste au bon endroit. C’est drôle à dire, Carmen, mais j’ai aimé ça. On dirait que j’y prends goût. Chaque fois, je me sens un peu plus légère. C’est comme si à chaque balle que je tirais, une partie du poids que je traîne depuis toujours disparaissait…

Carmen regarda son amie. Elle posa sa main sur sa cuisse. Anita esquissa un sourire.

La voiture longea l’aéroport de Mirabel. Après des années de construction, le mastodonte était maintenant prêt à accueillir les milliers d’athlètes. Les visiteurs qui allaient bientôt converger vers Montréal ne se douteraient pas que ce projet ambitieux était à l’origine d’innombrables expropriations qui ont brisé la vie de pauvres cultivateurs.

Carmen prit ensuite la sortie vers Saint-Canut et Saint-Colomban. Elle connaissait le chemin par cœur. Le pays de Cordélia Viau, jugée et pendue comme une sorcière, est celui qui l’avait vue grandir. La maison de sa défunte tante Joséphine, où elle se dirigeait, n’était aujourd’hui qu’une ruine plantée au milieu d’arpents de terre en friche.

Un lieu sinistre, mais très utile. L’endroit parfait pour cacher un cadavre.

La voiture traversa Saint-Canut. La petite ville dormait. Carmen emprunta le rang Alfred qui longe la rivière du Nord, puis le petit chemin qui mène à la maison de pierres. Elle éteignit les phares de la voiture. Doucement, elle gara la voiture le plus près possible de la trappe menant à la cave.

— Prends la lampe de poche, dit Carmen à Anita.

Les deux femmes sortirent le corps de Normand Rouleau du coffre en tirant sur la couverture dans laquelle il était enroulé. Le cadavre bascula sur le sol. Anita n’eut aucun mal à soulever la trappe. Une odeur répugnante s’échappa de la cave. Anita et Carmen eurent un haut-le-cœur.

— OK, un dernier coup, dit Carmen.

Elles tirèrent le corps de Rouleau sur quelques pieds. Elles firent d’abord entrer les jambes de Rouleau dans la trappe, puis le mirent en position assise en soulevant son tronc.

— T’es prête ? lança Anita.

Carmen et Anita poussèrent Rouleau vers la cave. Le corps tomba violemment dans le petit escalier de bois et atterrit sur le sol couvert de terre.

Carmen braqua le faisceau de la lampe de poche sur le corps de Normand Rouleau.

— Une pourriture qui rejoint une autre pourriture, dit Anita.

À côté du cadavre de Rouleau se trouvait celui de Gérald Bling.

Anita cracha sur les deux corps avant de refermer la trappe doucement.

— OK, on retourne en ville, lança-t-elle. On a un plan à revoir. Et une Coupe Stanley à cacher.

Les premiers rayons du soleil se levaient sur la métropole. Anita et Carmen aperçurent au loin la silhouette de l’oratoire Saint-Joseph. À CJMS, un animateur offrait les premières manchettes du jour.

« Bonne nouvelle pour une résidante de Hamilton, en Ontario. La dame est l’heureuse gagnante d’un des gros lots de Loto olympique. Elle empoche donc 1 million de dollars. Mais ce ne n’est pas tout, comme c’est son mari, propriétaire d’une épicerie, qui lui a vendu le billet, le couple aura droit à plus. »

— Qu’ils aillent chier, laissa tomber Carmen.

* * *

Baptiste Bombardier entendit lui aussi l’histoire de la gagnante de la Loterie olympique à la radio. En fait, il n’y prêta pas beaucoup attention. L’enquêteur était perdu dans ses pensées. Allongé sur son divan, il fixait son plafond. Comme il n’arrivait pas à dormir, il était sorti du lit.

Cette affaire l’obsédait. Alors qu’il croyait avoir affaire à une histoire de corruption et de règlements de comptes, voilà qu’un groupe de terroristes était aussi de la partie.

Il n’y a pas de doute, ce dossier était le plus gros défi de sa jeune carrière. Il sentait bien que tout se jouait pour lui en ce moment. Ses patrons, Cavalier et Gravel, mettaient beaucoup de pression sur ses épaules. Sans doute que les directeurs, eux-mêmes, en recevaient de Jean Drapeau.

Car la dernière chose que le bouillant et orgueilleux maire voulait, c’était de se retrouver dans la tribune d’honneur du Stade olympique alors que des morts mystérieuses se multipliaient dans sa ville.

Baptiste Bombardier pensa à Manon Ryan, la cheffe du renseignement. Sans doute que cette femme pouvait l’aider. BB admirait son cran. Il avait vu comment elle avait bravé la tempête au moment de gravir les échelons au sein du SPCUM. Des collègues lui avaient raconté comment elle avait été humiliée et rabaissée par des enquêteurs envieux.

Oui, Manon était sans doute sa meilleure alliée pour faire avancer cette affaire. Il avait la nette impression qu’il pouvait lui faire confiance.

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Ceci est une œuvre de fiction. Le récit emprunte le nom de personnages réels, mais tous les éléments rapportés dans ce polar sont le fruit de l’imagination débordante de nos chroniqueurs et journalistes.