Comme l’été dernier, 13 de nos journalistes se relaient quotidiennement pendant un mois pour faire progresser une intrigue. Un exercice ludique inspiré des cadavres exquis des surréalistes. Cette année, Stéphane Laporte lance le polar estival en nous ramenant en 1976… au moment où tout bascule pour le jeune enquêteur Baptiste Bombardier. Bonne lecture !

Mama,
Just killed a man
Put a gun against his head, pulled my trigger
Now he’s dead
Mama, life had just begun
But now I’ve gone and thrown it all away…

Mai 1976. Le nouveau succès du groupe Queen retentit de la Pontiac Astre jaune qui roule, à fond la caisse, sur le boulevard Dorchester. À son bord, quelqu’un qui s’y connaît en meurtre, le jeune enquêteur Baptiste Bombardier. Il a placé sa sirène sur son toit. Qui flashe et qui hurle. Pourtant, il ne fonce pas vers une scène de crime. Pas du tout. Il fait juste du bruit. Toute la métropole fait du bruit. C’est la fête ! Le Canadien de Montréal vient de remporter la Coupe Stanley. Il était temps, ça faisait deux ans qu’il ne l’avait pas gagnée. Le Tricolore a détrôné les méchants Flyers de Philadelphie. Et Bombardier s’en va rejoindre ses confrères, à la Taverne Magnan, pour fêter l’évènement.

Il a mis ses plus beaux habits : son veston en velours rouge, son pantalon mauve à pattes d’éléphant serré, ses souliers Patof bruns, en cuir pétant, et sa chemise bleu poudre à long col, ouvrant sur son chest légèrement poilu, mettant en valeur son pendentif BB doré, ses initiales. Le tout couronné par une coupe afro à la Boule Noire, dans son cas, Boule Blonde. Encore BB. On s’en sort pas. Dommage que les consœurs n’aient pas le droit d’entrer à la taverne, il ferait fureur. Paraît qu’un jour, ça va changer.

Tous les boys sont là. Ça crie, ça rit, ça chante. Ça demande au boss d’être en fonction pour le défilé. Le plus proche possible de Lafleur et de la Coupe Stanley. Une belle soirée.

Six drafts et 600 jokes plates plus tard, faut penser à aller se coucher, il est bientôt 3 h, et on travaille demain. Ou plutôt, dans six heures. Potvin s’empare des clés du char de BB, qui s’étonne : « Qu’est-ce que tu fais là ?

— Pars pas tout de suite, prends-en une dernière pour la route. Je t’offre une Brador !

— Une plus-que-bière, ça se refuse pas. »

La dernière calée, Bombardier prend la direction de la maison. Lui, le maniaque de CHOM-FM, met sa radio au AM. Tout d’un coup qu’il s’est passé quelque chose durant la nuit, et que Claude Poirier est déjà sur les lieux. D’ailleurs, comment il fait pour être toujours sur les lieux avant eux ?

Qui est la belle inconnue ?

La femme en bleue seule à sa table…

C’est pas Poirier au AM. C’est Louvain. Le chanteur préféré de sa mère. Il vient de sortir une nouvelle toune. Un tango. Ça pognera jamais. Back to CHOM. Du Led Zep, ça tient réveillé. Il tourne sur Viau. BB habite à côté du Stade olympique, en construction depuis trois ans. Si la scie du voisin vous tape sur les nerfs quand il rénove sa terrasse, imaginez quand le voisin est le chantier du Stade olympique. L’enfer ! Heureusement, il sera terminé bientôt, les Jeux débutent dans exactement deux mois. Un dernier coup à donner. Quoique c’est mieux d’être un méchant coup, parce que pour l’instant, ça ressemble plus à Beyrouth qu’à la maquette de Taillibert. Même que la grosse grue est toujours là, à la place du mât.

Bombardier la regarde. Elle bouge. Ce n’est pas le vent. On dirait qu’il y a deux personnes en train de s’y battre. Ça ne se peut pas ! Il n’est pas si chaud que ça. Il pèse sur le gaz. Se rapproche. C’est bien ça. Il y a un combat sur la grue. Comme dans les films de James Bond. Bombardier se stationne juste à côté. Il va aller les rejoindre. Bombardier a du Roger Moore dans le nez. Il se met à courir. Ça court mal avec des souliers Patof. Soudain, il entend une détonation. Et l’une des deux personnes tombe de la grue. Une chute olympique. Plus vite, plus haut, plus mort. BB ne sait plus où se pitcher. Rejoindre la victime écrasée au sol, ou tenter de maîtriser l’assassin ? Il choisit l’assassin. L’autre, après une chute de 100 m, ne doit pas avoir grand-chose à réanimer. Il commence à escalader la grue. Il entend un bruit. Non, ce n’est pas un autre coup de feu. C’est son pantalon qui vient de craquer. Il l’a pris vraiment trop serré. Encore un gros son. De plus en plus présent. C’est un hélicoptère. Le meurtrier s’y accroche, puis s’envole. Bombardier le regarde, impuissant. Le derrière à l’air. N’est pas James Bond qui veut.

Il va au moins aller constater le décès. Il entre dans l’enceinte du stade. Au même moment, un poids lourd roulant à toute vitesse manque de l’écraser. Et quitte l’anneau. BB arpente la surface. Cherche où aurait bien pu tomber le corps. Il ne trouve rien. Aucune trace. Il retourne à son Astre jaune, appeler du renfort avec son CB.

En les attendant, il enlève ses souliers Patof, il a trop mal aux pieds. Quinze minutes plus tard, le renfort arrive. C’est l’équipe de Potvin : « Pis, elle est où, ta victime ?

— Je sais pas. Ils ont dû la mettre dans le camion qui a failli me tuer.

— Viens au poste, on va prendre ta déposition.

— OK, mais partez pas tout de suite. Avant, cherchez des indices, encerclez la scène du crime.

— Encercler la scène du crime !? Y a pas assez de ruban jaune à Montréal pour encercler le Stade olympique. Tu sais même pas où il est tombé.

— Faut au moins arrêter le chantier.

— Pour faire quoi ? Trouver une goutte de sang dans une mer de béton ? Des plans pour retarder les Jeux.

— Potvin, y a eu un crime ici ! On dirait que tu me crois pas.

— C’est vrai que la Brador, c’est pas mal fort !

— C’est pas une histoire de gars paqueté !

— Patof, prends tes souliers et embarque avec nous, tu vas tout nous raconter depuis le début. »

Cette enquête est loin d’être réglée. Comme la dette olympique.

Chapitre 2 - La nuit de tous les dangers – Yves Boisvert

Replongez dans l’ambiance de l'époque en écoutant Bohemian Rhapsody de Queen, le choix musical de Stéphane Laporte, et découvrez notre liste de lecture de classiques que Baptiste Bombardier aurait sans doute fait jouer à fond la caisse dans sa Pontiac Astre jaune !

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Ceci est une œuvre de fiction. Tous les éléments rapportés dans ce polar sont le fruit de l’imagination débordante de nos chroniqueurs et journalistes.