(Ottawa) Largement incomprise par le grand public, la taxe sur le carbone domine les débats à Ottawa depuis trois semaines. D’un côté, les conservateurs réclament des exemptions pour aider les ménages à faire face à la crise du coût de la vie. De l’autre, les libéraux les accusent de ne pas vouloir lutter contre les changements climatiques. Voici comment fonctionne cette tarification.

Qu’est-ce que la taxe sur le carbone ?

C’est un prix sur la pollution instauré par le gouvernement fédéral en 2018. Il fait partie des politiques mises en place pour atteindre sa cible de réduction des gaz à effet de serre (GES) en vertu de l’Accord de Paris sur le climat. Ottawa veut réduire les émissions de 40 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030, une réduction de plus de 200 mégatonnes d’équivalent CO2. « La taxe représente la valeur courante des dommages d’une autre tonne de CO2 dans l’atmosphère », explique la professeure d’économie à l’Université Carleton Maya Papineau. Le prix pour 2023 est fixé à 65 $ la tonne, ce qui revient à 14 cents par litre d’essence dans les provinces où cette taxe s’applique. Il augmentera de 15 $ par année pour atteindre 170 $ la tonne en 2030. Il s’agit d’une approche sensée, selon le commissaire à l’environnement et au développement durable, Jerry DeMarco.

L’objectif est d’inciter les gens à adopter des modes de transport ou de chauffage moins polluants. Il est toutefois difficile d’isoler l’impact de cette taxe parce qu’elle agit simultanément avec d’autres mesures.

Le ministère de l’Environnement et du Changement climatique estime que l’ensemble de la tarification sur le carbone, incluant celle qui est aussi imposée à l’industrie, est responsable du cinquième, voire du tiers des réductions des émissions de GES.

Consultez la « Mise à jour de L’approche pancanadienne pour une tarification de la pollution par le carbone 2023-2030 »

À qui s’applique-t-elle ?

La taxe sur le carbone est imposée dans huit des dix provinces canadiennes et deux des trois territoires. La Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre‑Neuve-et-Labrador y sont soumises depuis le 1er juillet 2023. Elle s’applique là où les exigences minimales du gouvernement fédéral pour réduire les émissions de GES ne sont pas respectées. En contrepartie, les contribuables qui paient cette taxe lorsqu’ils font le plein d’essence, par exemple, reçoivent quatre chèques par année pour compenser. Le montant varie par province. C’est en Alberta qu’il est le plus élevé ; une famille de quatre recevra en tout 1544 $ en 2023-2024. Les résidants des communautés rurales reçoivent un supplément de 10 %, qui doublera à 20 % dès le mois d’avril. Ce sont donc 304 millions de dollars supplémentaires qui leur seront versés en 2024-2025, selon le directeur parlementaire du budget.

Consultez le document « Montants des paiements de l’Incitatif à agir pour le climat pour 2023-2024 »

Pourquoi ne s’applique-t-elle pas à toutes les provinces et tous les territoires ?

Les exceptions sont le Québec, la Colombie-Britannique et les Territoires du Nord-Ouest, où la tarification sur le carbone est jugée suffisante. La Colombie-Britannique et les Territoires du Nord-Ouest ont leur propre taxe, tandis que le Québec a son marché du carbone conjointement avec la Californie.

Le gouvernement québécois émet un plafond d’émissions chaque année, et les entreprises achètent des droits de polluer. En 2023, ils se sont vendus 40 $ la tonne, ce qui a généré des revenus de 322 millions.

Les Québécois ne reçoivent pas de chèques puisque les sommes sont versées dans le Fonds d’électrification et de changements climatiques. Le marché du carbone actuel ajoute 9,7 cents le litre d’essence, selon le ministère québécois de l’Environnement. Or, qu’il frôle 10 ou 15 cents, le prix du carbone est insuffisant pour inciter les gens à changer de comportement, selon le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau. « Personne ne change de voiture parce que l’essence a augmenté de 15 cents », constate-t-il. Le directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal, Normand Mousseau, abonde dans le même sens. « Les citoyens sont beaucoup moins sensibles au prix de l’énergie, fait-il remarquer. Ils vont s’acheter de gros véhicules. »

Consultez « Les systèmes de tarification de la pollution par le carbone au Canada »

Est-ce qu’il y a des exemptions ?

Oui, les agriculteurs et les pêcheurs peuvent obtenir un certificat d’exemption pour éviter de payer la taxe sur le carbone. Cette exemption s’applique à l’essence et au diesel utilisés pour la machinerie agricole et les navires de pêche. Les agriculteurs ont également droit à un crédit d’impôt remboursable pour le gaz naturel et le propane utilisés sur leurs fermes. Face à la grogne populaire, le premier ministre Justin Trudeau a accordé récemment une nouvelle exemption temporaire de trois ans pour le chauffage résidentiel au mazout afin d’aider les gens à faire face à la hausse du coût de la vie. En contrepartie, il fait passer le montant du financement fédéral pour l’achat d’une thermopompe de 10 000 $ à 15 000 $. Cette suspension de la taxe carbone a soulevé la colère des conservateurs et de certaines provinces, comme l’Alberta et la Saskatchewan, parce qu’elle touche davantage les provinces de l’Atlantique, où près de 30 % des ménages se chauffent au mazout.

Est-ce qu’elle cause l’inflation ?

C’est ce que soutiennent les conservateurs, qui ont lancé une campagne de publicité pour qu’une exemption soit également accordée à tous les types de chauffage, incluant le gaz naturel, afin d’aider les ménages aux prises avec la hausse du coût de la vie. Une majorité de citoyens au pays appuient une telle politique, selon un récent sondage de la firme Abacus.

Si vous donnez une exemption sur le gaz naturel utilisé pour chauffer plus de 50 % des maisons au pays, c’est signer l’arrêt de mort de la taxe sur le carbone. Cela aurait un effet domino.

Maya Papineau, professeure d’économie à l’Université Carleton

Or, la taxe sur le carbone contribue seulement à 0,1 % de l’inflation annuellement, selon les projections de la Banque du Canada. « L’inflation est surtout causée par le prix des carburants, et ce prix a beaucoup augmenté pas tant à cause de la taxe sur le carbone, mais à cause des marges de profit des raffineries et du prix du pétrole brut qui est très élevé », souligne M. Pineau. Les conservateurs mettent également de la pression sur le Sénat pour que soit adopté le projet de loi C-234 qui exempterait les agriculteurs de la taxe sur le gaz naturel et le propane, même s’ils bénéficient déjà d’un crédit d’impôt remboursable.

Est-ce qu’il y a une deuxième taxe sur le carbone ?

C’est ce qu’affirment les conservateurs. Il ne s’agit pas réellement d’une taxe, mais de l’impact que le Règlement sur les combustibles propres aura sur le portefeuille des automobilistes. Il est entré en vigueur en juillet et exige des raffineries qu’elles réduisent graduellement les émissions de GES dans leur carburant de 15 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2016, soit 26 millions de tonnes d’équivalent CO2. Le directeur parlementaire du budget estime que cette politique ajoutera alors 17 cents le litre d’essence. Le règlement fédéral s’applique au Québec, qui a déjà adopté la même norme, confirment les ministères de l’Environnement fédéral et québécois. Les producteurs et importateurs de combustible à faible intensité de carbone pourront donc recevoir un incitatif par l’entremise des deux règlements.