Les autorités douanières américaines montrent les dents face aux traversées irrégulières à leur frontière nord. Des centaines des migrants interceptés en provenance du Canada sont désormais envoyés dans le sud des États-Unis pour être rapatriés dans leur pays d’origine. Un retour à la case départ pour nombre d’entre eux.

À la fin d’avril, la section du secteur de Swanton, qui borde la frontière sud du Québec, de la U. S. Customs and Border Protection a annoncé le renforcement de sa « procédure de rapatriement accéléré des personnes ayant franchi illégalement la frontière nord des États-Unis ».

Ce renforcement survient à la suite de la modification de l’entente sur les tiers pays sûrs et de la fermeture du chemin Roxham, le 25 mars dernier.

Ainsi, depuis la mi-mars, 204 personnes ont été « rapidement rapatriées dans leur pays d’origine » après être entrées aux États-Unis depuis le Canada de façon irrégulière, explique-t-on. Ce modus operandi s’apparente aux façons de faire à la frontière avec le Mexique et risque de s’accentuer, estiment des expertes consultées par La Presse.

Cette opération d’expulsion s’est faite en « coopération » avec les secteurs d’El Paso et de Rio Grande Valley, deux branches de l’organisation chargées de la sécurité à la frontière sud des États-Unis, précise également la U. S. Customs and Border Protection.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER DU CHEF ROBERT GARCIA

Depuis un an, l’agence américaine des douanes rapporte 156 000 interceptions à la frontière nord, contre 2,5 millions au sud.

Il faut dire que, malgré la hausse des passages à la frontière canadienne, le gros des interceptions continue à survenir près du Mexique. Depuis un an, l’agence américaine des douanes rapporte 156 000 interceptions à la frontière nord, contre 2,5 millions au sud.

Les façons de faire au sud

Les migrants rapatriés ont été transportés par avion avant d’être remis aux responsables des secteurs bordant la frontière avec le Mexique, précise sur son compte Twitter le responsable du secteur de Swanton à la U. S. Customs and Border Protection, le chef Robert Garcia.

Cette information est loin d’être anodine, selon la professeure à l’École de criminologie de l’Université de Montréal et spécialiste des phénomènes migratoires et des politiques frontalières, Karine Côté-Boucher.

« [L’expulsion de personnes], c’est quelque chose que les Américains font depuis longtemps, pas nécessairement à la frontière canadienne, mais à la frontière mexicaine, souligne-t-elle. Ç’a été étendu depuis l’ère Trump, le recours à une procédure accélérée de renvoi. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Pas moins de 738 personnes ont été interceptées dans le secteur de Swanton après avoir traversé de façon irrégulière depuis le Canada en mars.

Ainsi, les personnes interceptées sont directement renvoyées dans leur pays, sans même avoir la possibilité de comparaître devant un juge ou de déposer une demande d’asile. « Il y a des procédures où c’est permis pour la U. S. Customs and Border Protection de renvoyer [dans leur pays] des gens interceptés dans la journée », souligne Karine Côté-Boucher.

Combien seront expulsées ?

Combien de personnes risquent de subir une telle expulsion après avoir tenté d’entrer aux États-Unis depuis le Québec ? Ce n’est pas clair, estiment les expertes consultées.

La U. S. Customs and Border Protection n’avait toujours pas répondu à nos questions avant de publier.

Pas moins de 738 personnes ont été interceptées dans le secteur de Swanton après avoir traversé de façon irrégulière depuis le Canada en mars, indiquent toutefois les données de l’organisation disponibles en ligne. Un nombre en augmentation constante depuis plusieurs mois, et sans commune mesure avec les années antérieures.

Or, toutes ces personnes n’ont pas nécessairement été expulsées, indique la professeure adjointe au département de science politique de l’Université de Montréal et spécialiste des politiques publiques sur l’immigration, Catherine Xhardez.

Les mineurs non accompagnés, par exemple, ne sont pas automatiquement renvoyés.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER DU CCHEF ROBERT GARCIA

Sept citoyens mexicains entrés de façon irrégulière aux États-Unis depuis le Canada ont été interceptés par les agents douaniers du secteur de Swanton de la U. S. Customs and Border Protection près de Mooers, dans l’État de New York, le 9 mars dernier.

Un lien avec la fermeture du chemin Roxham ?

Ce durcissement de ton de la part des autorités américaines a-t-il un lien avec la fermeture récente du chemin Roxham découlant de la renégociation de l’entente sur les tiers pays sûrs ? Karine Côté-Boucher croit que oui.

Cette nouvelle version de l’entente prévoit que toute personne tentant d’entrer au Canada de façon irrégulière depuis les États-Unis y sera refoulée, et vice versa. Or, si les migrants réussissent à traverser malgré tout, ils se trouvent en situation irrégulière et sont donc à risque d’être renvoyés dans leur pays s’ils sont interceptés.

Si le nombre de personnes traversant du Canada aux États-Unis de façon irrégulière reste somme toute négligeable en comparaison aux millions de réfugiés en mouvement à travers le monde, son augmentation dans les dernières années est à l’origine d’un changement de discours au sud de la frontière, explique Karine Côté-Boucher.

« Que vous viviez dans une ville frontalière ou n’importe où ailleurs dans notre grand pays, nous partageons tous les impacts négatifs réels et potentiels des activités transfrontalières illicites si elles ne sont pas contrôlées », martèle d’ailleurs le chef Robert Garcia dans un communiqué de la U. S. Customs and Border Protection.

Les expertes consultées soulignent que le sort réservé aux personnes interceptées à la frontière nord des États-Unis était plutôt flou auparavant.

« Il n’y avait pas vraiment de surveillance à la frontière nord, à part pour la drogue et les armes à feu. [L’immigration irrégulière], ce n’était pas vraiment un enjeu, du moins pas un enjeu politique », rappelle la professeure Karine Côté-Boucher.

Le durcissement du discours des Américains est donc directement lié à l’inquiétude grandissante des Américains vis-à-vis des migrants irréguliers à la frontière nord, tout comme l’a été la renégociation de l’entente sur les tiers pays sûrs, croit-elle.

Qui plus est, cette nouvelle posture vise à dissuader d’autres migrants potentiels de tenter leur chance, une façon de faire bien connue des autorités douanières américaines, ajoute sa collègue Catherine Xhardez. « Ça peut représenter un gros risque pour ces personnes, surtout si elles sont déjà dans un autre pays que le leur et sans statut », dit-elle.

Or, le flot de migrants irréguliers voulant traverser aux États-Unis depuis le Canada n’ira pas en diminuant, assure Karine Côté-Boucher, en prenant pour exemple la frontière sud des États-Unis. « On a militarisé cette frontière, on y a mis énormément de mécanismes de surveillance, et pourtant, 2,7 millions de personnes l’ont traversée cette année. »