(Ottawa) Même s’il peine déjà à gérer l’afflux de demandes de prestations d’assurance-emploi et que l’hiver est une période de pointe, le fédéral vient d’amputer d’une journée la semaine de travail de 750 agents au Québec.

Depuis lundi, Robert* ne travaille plus 37,5 heures par semaine, mais bien 30 heures par semaine, en vertu d’une décision des gestionnaires de Service Canada. Dans un courriel envoyé le 5 janvier dernier à plusieurs centaines d’employés, que La Presse a obtenu, on cite « l’atteinte de l’équilibre budgétaire » comme motif.

« Afin de revenir au niveau de référence budgétaire planifié, tous les employés […] occupant un poste d’agent de services au paiement […] verront leur horaire passer de temps plein à temps partiel (30 h/semaine) entre le 19 janvier et le 23 janvier 2023 et cela peu importe le statut », y lit-on.

« Pour le moment, nous prévoyons que ces horaires seront effectifs jusqu’à la fin mars 2023 », concluent les gestionnaires dans la directive. Celle-ci a évidemment semé la consternation chez les employés visés, indique Robert, à qui La Presse a accepté de donner un prénom fictif afin de lui éviter des représailles professionnelles.

Personne ne comprend. Déjà, les prestataires qui appellent attendent 30, 45 minutes, parfois une heure ou plus. Inévitablement, la qualité du service va être réduite. Non seulement leurs dossiers traînent des semaines, des mois, mais là, en plus, on ajoute un délai d’attente supplémentaire.

Robert*, employé de Service Canada

Les prestataires vont donc « encore payer la note », mais pas uniquement eux, ajoute Robert. « C’est un jour de salaire en moins, ça a un impact sur les cotisations aux fonds de pension, les assurances, etc. Il y a même certains ménages dont les deux salaires sont touchés », expose-t-il.

« Un marasme »

La députée bloquiste Louise Chabot, qui talonne sans relâche le gouvernement Trudeau sur le dossier de l’assurance-emploi, est consternée. « Je n’en reviens tout simplement pas. C’est impensable que le gouvernement agisse comme ça à Service Canada, qui est déjà un service totalement contre-productif pour les citoyens », laisse-t-elle tomber.

L’élue ne manque pas de rappeler que Service Canada a cafouillé dans le dossier des passeports le printemps dernier, alors que la hausse des demandes était prévisible à l’approche de l’été. Ici aussi, elle voit se dessiner un chaos, car « les demandes d’assurance-emploi sont plus fortes en janvier à cause de l’emploi saisonnier ».

Le Parti conservateur et le NPD n’ont pas répondu à nos demandes d’entrevue.

En revanche, le Conseil national des chômeurs et des chômeuses ne s’est pas fait prier pour faire part de son mécontentement.

Ça n’a pas de bon sens. Tout ça pour arriver à boucler un budget pour le 31 mars ? C’est du calcul à la petite semaine.

Pierre Céré, porte-parole du Conseil national des chômeurs et des chômeuses

« On est dans un marasme administratif comme on n’en a presque jamais vu dans l’histoire de l’assurance-emploi. Est-ce qu’ils le savent vraiment en haut qu’il y a ce marasme-là ? Je ne sais pas, mais je sais que du plancher jusqu’à certains niveaux, ils le savent », affirme le défenseur des droits des travailleurs.

Une « mesure très temporaire »

Sous-ministre adjoint de la région du Québec pour Service Canada, Michel Laviolette sait que la colère couve chez les quelque 750 employés qui sont visés. « J’ai beaucoup d’empathie quant à l’impact de cette décision sur nos employés », assure-t-il dans une entrevue par visioconférence.

S’il a dû agir de la sorte, c’est parce que l’embauche a été « assez agressive » au Québec au début de l’exercice financier 2022 et que les départs à la retraite n’ont pas été aussi nombreux que prévu. Et il assure que cette « mesure très temporaire » ayant pour but la rétention du talent ne pénalisera pas les prestataires de services.

« Les agents affectés au traitement de l’assurance-emploi ne sont aucunement affectés, alors on ne s’attend pas à avoir un grand impact pour le service aux citoyens », dit-il en plaidant que le choc sera notamment absorbé par les agents téléphoniques répartis à travers le pays, car il s’agit d’un numéro de téléphone unique.

« Même là, il manque de monde, témoigne cependant Robert. Et c’est ça qu’ils nous disent de dire aux prestataires : qu’on est désolés, qu’on manque de personnel, que les délais sont plus longs qu’à l’habitude, que ça suit son cours, qu’il ne faut pas s’inquiéter… »

Promesses d’argent

Dans la mise à jour budgétaire de l’automne dernier, le gouvernement Trudeau a proposé un versement de 1 milliard à Service Canada « pour accélérer le traitement des demandes de prestations de l’assurance-emploi et de la Sécurité de la vieillesse tout en réduisant l’arriéré des demandes de prestations d’assurance-emploi ».

Il faudra voir si ces sommes figureront dans le prochain budget, au printemps.

*Prénom fictif

En savoir plus
  • 38 minutes
    Temps d’attente moyen pour parler à un agent de l’assurance-emploi, le lundi 16 janvier.
    SOURCE : MINISTÈRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL DU CANADA
  • 76,7 %
    Entre le 1er avril et le 31 décembre 2022, Service Canada a traité 76,7 % des demandes d’assurance-emploi dans un délai de 28 jours.
    SOURCE : MINISTÈRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL DU CANADA