(Saguenay) Excédés par les files interminables de la métropole, de nombreux citoyens du Grand Montréal se tournent vers le bureau de Service Canada à Chicoutimi, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, pour renouveler leurs passeports. Mais ici aussi, on peine à répondre à la demande.

Et ici aussi, une preuve d’un départ imminent est exigée. « Il faut nous montrer que vous perdez de l’argent [si vous ne pouvez pas partir], sinon, on ne pourra pas vous servir aujourd’hui », lance Denis Bélanger, employé de Service Canada, à la file encore endormie rue Racine Est.

Arrivée avant l’ouverture des locaux, à 8 h 30, La Presse a pu constater que près d’une centaine de personnes attendait déjà, parfois depuis dimanche soir, dans l’espoir d’obtenir le précieux document. Assis sur des chaises de camping, des couvertures sur les jambes, les gens semblent s’éveiller à l’approche des employés de Service Canada.

Photo David Boily, LA PRESSE

Seules les demandes des voyageurs étant à 24 heures de leur départ sont traitées dans la journée au bureau de Service Canada à Chicoutimi.

La plupart des personnes rencontrées ont préféré faire la route d’environ cinq heures depuis Montréal ou Laval plutôt que de se frotter aux files interminables où des conflits éclatent même parfois.

« J’ai appelé ma députée et elle m’a dit de venir ici, que c’était ma seule chance », raconte Andrew Hyacinthe, tout juste débarqué de Laval avec son frère et sa belle-mère. Le jeune homme ne le sait pas encore, mais il devra probablement rester plusieurs jours à Chicoutimi s’il souhaite y obtenir son passeport, car le bureau de Service Canada n’arrive plus à suivre le rythme.

Pas plus vite en région

Seules les demandes des voyageurs étant à 24 heures de leur départ y sont traitées dans la journée. Les autres sont déplacés dans une autre file destinée à ceux dont le départ est d’ici 48 heures et où les demandes de quelques personnes à peine peuvent être traitées le jour même.

Ceux dont le départ est au-delà de cette limite devront attendre, comme c’est le cas d’Andrew Hyacinthe, qui compte s’envoler pour la République dominicaine le 2 juillet prochain.

Avertis des délais par les employés de Service Canada dès l’ouverture des locaux, beaucoup d’entre eux s’en iront vaquer à leurs occupations, probablement pour revenir le lendemain.

Photo David Boily, LA PRESSE

Denis Bélanger, employé de Service Canada

Les gens ne pensent pas à ça, mais à Guy-Favreau [à Montréal], ils ont 20 comptoirs avec 20 agents, alors qu’ici, on a quatre comptoirs avec quatre agents. Donc, toutes proportions gardées, on n’est pas mieux ici.

Denis Bélanger, employé de Service Canada

Denis Bélanger est à l’emploi de Passeport Canada depuis 20 ans. Il se souvient de deux crises similaires. En 2007, les États-Unis ont commencé à exiger un passeport plutôt qu’un simple certificat de naissance pour traverser leur frontière : une vague de citoyens avait déferlé pour réclamer le précieux document.

En juillet 2013, les bureaux de Service Canada ont à nouveau été submergés par les Canadiens qui avaient attendu des mois pour renouveler leurs documents afin de goûter à la nouveauté d’un passeport valide pour une durée de 10 ans.

« C’est pas humain »

Après être allé jeter un coup d’œil au temps d’attente au centre de Service Canada de Laval, Alain Lavoie, un résidant de l’île Jésus, n’a même pas tenté sa chance. Il a tout de suite pris le chemin du Saguenay–Lac-Saint-Jean, sans se poser de questions.

C’est impossible, c’est fou, on ne peut même pas espérer. Dimanche, il y avait 200 personnes qui dormaient là depuis samedi.

Alain Lavoie, résidant de Laval

Il est arrivé à Chicoutimi il y a presque 24 heures et l’homme a finalement été reclassé dans une autre file mardi matin, alors qu’il pouvait presque sentir l’intérieur des bureaux de Service Canada tellement il était près du bout au terme d’une nuit passée sur la rue Racine Est.

Photo David Boily, LA PRESSE

Des gens, surtout de Montréal, faisaient la file mardi matin devant les bureaux de Service Canada à Chicoutimi pour obtenir leur passeport.

« C’est pas humain ce qu’ils nous font », déplore le père de deux enfants.

Même son de cloche chez Hélène Labarbe, de Sherbrooke. La mère de deux enfants s’est rendue dimanche à 17 h au centre de Service Canada dans l’arrondissement de Saint-Laurent, à Montréal, pour constater l’ampleur de la file qui l’attendait.

Elle a tout de suite pris la route pour le Saguenay, alors qu’une amie du coin lui gardait une place. À Chicoutimi mardi matin, son départ était prévu le soir même à 19 h… de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal.

Censé se rendre en voiture à DisneyWorld, en Floride, un homme de Lacolle a dû faire venir les certificats de naissance de ses enfants par messager express puisqu’il n’avait pas les originaux.

« Je devais y aller en voiture, mais comme on n’a pas de date de départ si on y va en voiture, j’ai dû acheter des billets d’avion, sinon, ils n’allaient jamais me servir », a-t-il dit.

Photo David Boily, LA PRESSE

Frédéric Pépin plaide son cas aupres d’une employée de Service Canada.

Débarqué au Saguenay lundi soir depuis Montréal, Frédéric Pépin s’attend à devoir passer la semaine à Chicoutimi, faute d’une meilleure option. Heureusement, le père de famille peut télétravailler depuis sa chaise pliante en se connectant au WiFi gratuit d’une succursale de la RBC voisine.

Ainsi donc, le bureau de Chicoutimi, qui a permis à beaucoup d’éviter les longues files depuis le début de la crise, semble avoir été bel et bien rattrapé par la vague.