(Ottawa) Ni la vice-première ministre Chrystia Freeland, ni le ministre de la Protection civile, Bill Blair, n’ont reçu de demande des forces de l’ordre d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin au « convoi de la liberté » en février. Leurs témoignages contredisent celui du ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, et corroborent ceux des corps policiers.

Les conservateurs réclament sa démission pour avoir « trompé les Canadiens ». Il avait déclaré en avril que la police avait demandé au gouvernement d’invoquer cette loi. Il témoignait alors devant un comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat qui doit déterminer si le gouvernement avait raison de se doter de pouvoirs extraordinaires pour mettre fin aux manifestations. Il affirme plutôt aujourd’hui qu’il a consulté les forces policières.

La Loi sur les mesures d’urgence n’avait jamais été invoquée depuis son adoption en 1988 pour remplacer la Loi sur les mesures de guerre. Le sénateur conservateur Claude Carignan a posé la question à Mme Freeland, puis à M. Blair. Les deux ministres ont livré de longs témoignages mardi soir devant ce comité.

« Avez-vous invoqué la Loi sur les mesures d’urgence sur les conseils des forces de l’ordre », a demandé le sénateur québécois à la vice-première ministre.

« Je n’ai pas personnellement reçu un tel conseil », a-t-elle admis.

Elle a par la suite indiqué ne pas se souvenir d’avoir discuté d’une demande des forces de l’ordre avec le ministre de la Sécurité publique, en réponse aux questions du sénateur. « Personnellement, je ne me rappelle pas une telle discussion », a-t-elle dit.

« Est-ce que vous avez été témoin de conseils [des forces de l’ordre] pour demander la Loi sur les mesures d’urgence, a demandé à nouveau le sénateur Carignan à M. Blair.

« Non monsieur, franchement j’aurais été assez surpris si la police avait réellement fait une telle recommandation politique ou demandé un tel pouvoir législatif, a-t-il répondu. Mes conversations avec les forces de l’ordre – et j’en ai eu un bon nombre directement avec elles – étaient de poser des questions sur les défis auxquels ils étaient confrontés. »

Des centaines de camions ont paralysé le centre-ville d’Ottawa durant trois semaines en janvier et février, forçant la fermeture de plusieurs commerces et du centre commercial Rideau. D’autres avaient bloqué le pont Ambassador à Windsor en Ontario de même que les postes frontaliers de Coutts en Alberta et d’Emerson au Manitoba.

Les forces policières ont rapidement été dépassées par l’ampleur de ces manifestations contre la vaccination obligatoire et les autres mesures sanitaires pour lutter contre la pandémie de COVID-19. La décision d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence était une « décision collective », a indiqué Mme Freeland.

« On a fait la bonne chose », a-t-elle affirmé.

Son témoignage a donné lieu à plusieurs échanges musclés. Des élus conservateurs, bloquistes et néo-démocrates se sont impatientés face à ses réponses évasives. À l’inverse, ils ont félicité son collègue Bill Blair pour son ouverture.

Mme Freeland a évité de répondre à plusieurs questions portant sur les discussions qui ont mené au recours à la Loi sur les mesures d’urgence, soulignant qu’elle témoignait en tant que ministre des Finances même si elle porte également le chapeau de vice-première ministre.

Ni elle ni le ministre Blair n’ont accepté de fournir de notes prises lors des séances d’informations auxquelles ils ont assisté. « Je ne prends pas de notes dans ces réunions », a indiqué le ministre de la Protection civile en prenant soin de préciser qu’elles étaient confidentielles. Ses employés ne prennent pas de notes, a-t-il ajouté suscitant l’incrédulité du député néo-démocrate Matthew Green.

Les partis d’opposition veulent que le gouvernement lève le secret du Cabinet pour accéder aux documents qui pourraient permettre de comprendre pourquoi le gouvernement a estimé que la Loi sur les mesures d’urgence était la seule façon de mettre fin aux manifestations.

Le sénateur Carignan a fait valoir que la décision avait été prise quelques heures après que les forces policières eurent réussi à dégager le pont Ambassador, ce qui soulève un doute sur le recours historique à cette législation. « Le blocage de ce pont a pris sept jours à démanteler et il y avait des preuves que les manifestants voulaient y retourner », a souligné Bill Blair.

Les blocages et les manifestations ont coûté des millions à l’économie canadienne, a insisté la ministre des Finances.

La déclaration d’urgence a été en vigueur du 14 au 23 février. Elle a permis, entre autres, aux institutions financières de geler les comptes bancaires des manifestants sans contrôle judiciaire et aux policiers de réquisitionner des camions-remorques pour déloger les camions des rues du centre-ville d’Ottawa.