La direction de Radio-Canada (CBC) a vivement déploré mercredi la décision du gouvernement russe de fermer les bureaux de la société d’État à Moscou alors qu’à Ottawa, la décision a été condamnée unanimement par la classe politique.

« C’est un jour noir. On est extrêmement déçus. Et je dirais même que nous sommes sous le choc, a déclaré la directrice générale de l’information, Luce Julien, en point de presse. De mémoire, c’est quand même la première fois qu’un gouvernement étranger ferme un de nos bureaux CBC/Radio-Canada. Pour le journalisme international, c’est une très mauvaise nouvelle. »

Ce qui fait le plus mal, dit-elle, est que la décision de la Russie survient en représailles à la décision du Canada d’interdire la diffusion de la chaîne du groupe russe RT au Canada. Or, cette décision a été prise dans plusieurs pays du monde sans que la Russie n’agisse de la même façon.

« Il est important d’affirmer haut et fort, et c’est ce qui nous attriste le plus, que le gouvernement russe semble confondre le gouvernement canadien et l’entreprise de presse indépendante qu’est CBC/Radio-Canada, poursuit Mme Julien. Nos activités journalistiques, nous pratiques journalistiques sont, depuis toujours, indépendantes des décisions du gouvernement canadien. »

Correspondante de Radio-Canada à Moscou, Tamara Alteresco abonde dans le même sens.

Il y a une guerre diplomatique [de la Russie] avec le Canada en ce moment. C’est évident ! Et le journalisme canadien indépendant en fait les frais.

Tamara Alteresco

Mme Alteresco déplore que la décision ait été annoncée en point de presse du ministère des Affaires étrangères sans un appel préalable à la société d’État. « J’ai eu depuis un appel de courtoisie du chef du département de la presse du ministère des Affaires étrangères, dit-elle. Un appel très courtois, mais assez bref, durant lequel j’ai demandé : pourquoi nous ? Car nous sommes les seuls à être concernés. »

En faisant l’annonce de cette décision, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a indiqué que la décision de fermer le bureau de Radio-Canada à Moscou inclut aussi l’annulation des accréditations et des visas des journalistes. En tout, dix employés sont touchés, soit trois Canadiens et sept employés russes. Le bureau était ouvert depuis 44 ans.

Début mars, Radio-Canada avait déjà suspendu ses reportages en Russie face à la menace de Moscou d’emprisonner des correspondants en cas de diffusion d’« informations mensongères sur l’armée », mais le bureau demeurait opérationnel avec le personnel local en place.

Luce Julien assure déjà que Radio-Canada compte ouvrir un nouveau bureau dans la région, mais n’a pas précisé dans quel pays.

Geste condamné à l’unisson à Ottawa

À Ottawa, les politiciens ont condamné à l’unisson ce tour de vis du régime Poutine, à commencer par le premier ministre Justin Trudeau.

« Ce n’est pas une grande surprise que [la liberté de la presse] est une menace pour Poutine, qui dépend de la désinformation, de la mésinformation, pour induire ses citoyens en erreur, pour essayer de justifier cette guerre illégale », a-t-il lâché avant son entrée à la période des questions.

Son vis-à-vis néo-démocrate, Jagmeet Singh, n’a pas été « étonné » non plus, mais il a tout de même exprimé son regret que Moscou ait pris « cette mauvaise décision qui va nuire aux gens dans le sens qu’ils ne pourraient pas avoir l’information venant du terrain ».

Qualifiant la situation de « déplorable » en point de presse dans le foyer des Communes, le chef bloquiste Yves-François Blanchet a fait valoir que sa « plus grande crainte » était que la guerre « se normalise, se banalise, s’inscrive dans notre quotidien et devienne de plus en plus vaguement un fait divers ».

Dans le camp conservateur – où nombreux sont les députés qui ne portent pas CBC dans leur cœur –, le député Michael Chong a argué que cette « action d’un autocrate qui a peur de la démocratie et de la presse libre » ne ferait « qu’isoler davantage la Russie sur la scène internationale ».

« Les conservateurs s’opposeront toujours aux autocrates qui oppriment leur propre peuple et qui censurent et intimident les journalistes », a-t-il tempêté dans une déclaration écrite transmise par son parti, en réitérant que la décision de débrancher RT des ondes canadiennes était la bonne.