(Ottawa ) Il aura fallu presque sept ans pour que les libéraux de Justin Trudeau arrivent à la même conclusion que l’ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper : les avions de chasse F-35 représentent la meilleure option pour remplacer la flotte vieillissante des CF-18.

Le gouvernement Trudeau a annoncé lundi qu’il entamerait dès cette semaine des négociations finales visant à acheter 88 avions de chasse furtifs F-35 de la société américaine Lockheed Martin. La saga entourant le remplacement des CF-18 tire donc à sa fin au moment même où le Canada fait de nouveau l’objet de pressions pour qu’il augmente ses dépenses militaires tandis que la guerre en Ukraine continue de faire rage et que les pays de l’OTAN revoient leur stratégie face à l’agression de la Russie.

Si les négociations sont fructueuses, le Canada devrait recevoir les premiers appareils en 2025, a précisé la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Filomena Tassi. Ottawa a mis de côté 19 milliards de dollars pour ce contrat, le plus important des 30 dernières années dans le cas de l’Aviation royale canadienne (ARC). Les derniers appareils devraient être livrés en 2032.

Si les négociations achoppent, le Canada pourra toujours se tourner vers la deuxième option, selon l’évaluation menée par les mandarins à Ottawa, à savoir les Gripen de la société suédoise Saab. En coulisses, l’optimisme règne pour conclure une entente formelle avec Lockheed Martin d’ici la fin de l’année, d’autant que le Canada participe au programme de développement de l’appareil ultra-sophistiqué depuis près de deux décennies.

Le Canada a en effet déjà contribué pour 613 millions US au développement du F-35 depuis 1997. Une autre contribution de plusieurs millions de dollars doit être versée au cours des prochaines semaines. Les États-Unis et de nombreux autres alliés du Canada utilisent déjà cet avion furtif.

Promesse non tenue

Aux élections fédérales de 2015, les libéraux de Justin Trudeau avaient promis de ne jamais acheter les avions F-35 qu’avait dans sa ligne de mire le gouvernement de Stephen Harper et de lancer un nouvel appel d’offres. À l’époque, le Canada comptait acheter 65 avions furtifs.

Anticipant les critiques, la ministre Tassi a affirmé que l’objectif du gouvernement Trudeau était d’abord et avant tout de s’assurer que ce coûteux contrat soit accordé à l’entreprise qui offrirait la meilleure proposition, au meilleur coût, tout en garantissant des retombées économiques maximales pour le pays.

Elle a balayé du revers de la main l’idée voulant que le contrat ait été retardé pour des raisons électoralistes, même si la démarche du gouvernement Trudeau va sans doute mener au même choix qu’avait fait l’ancien gouvernement conservateur.

« En 2016, nous voulions que des conversations aient lieu pour que tous les soumissionnaires puissent fournir leur meilleure proposition. Nous sommes ravis de pouvoir annoncer que nous passons à l’étape de la finalisation. Ce n’est pas la dernière étape. Il y a l’étape de la signature des contrats, mais c’est une étape importante », a affirmé la ministre Tassi.

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Filomena Tassi, ministre des Services publics et de l’Approvisionnement

Nous n’avons fait aucun compromis à aucune étape parce que le processus était extrêmement important. Nous voulions avoir les propositions les plus concurrentielles avec les meilleurs coûts et les meilleurs avantages pour les Canadiens.

Filomena Tassi, ministre des Services publics et de l’Approvisionnement

Depuis le lancement officiel de l’appel d’offres, le F-35 était considéré comme le favori par plusieurs experts.

Présente également à la conférence de presse, la ministre de la Défense, Anita Anand, a soutenu que la guerre en Ukraine n’avait pas influencé la décision du gouvernement Trudeau de lancer immédiatement des négociations avec Lockheed Martin.

« Une nouvelle flotte d’avions de chasse à la fine pointe de la technologie, c’est essentiel pour la sécurité, la souveraineté et la capacité du Canada à se défendre. Cette nouvelle flotte assurera notre capacité à protéger l’espace canadien, à respecter nos engagements envers nos alliés de l’OTAN et à faire face aux menaces imprévues », a dit la ministre Anand.

La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a soutenu que l’invasion de l’Ukraine avait changé la donne. « La décision aujourd’hui arrive à un bon moment. Pourquoi ? Parce qu’on sait que le 24 février dernier, les choses ont changé, et non seulement les choses ont changé, mais le Canada doit outiller davantage ses Forces armées canadiennes », a-t-elle fait valoir.

Perte de temps et d’argent

Les arguments des ministres selon lesquels l’exercice était justifié pour obtenir le meilleur prix, même si le choix des appareils qui vont remplacer les vieux CF-18 demeure le même, n’ont pas convaincu le Parti conservateur. Le député Pierre Paul-Hus, ancien membre de la réserve des Forces armées canadiennes, a soutenu que les libéraux « ont gaspillé du temps et de l’argent des contribuables » pour sauver la face.

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Pierre Paul-Hus, député conservateur de Charlesbourg–Haute-Saint-Charles

Depuis le début, les conservateurs ont été inébranlables en pressant le gouvernement de remplacer rapidement les avions de chasse CF-18. Cette annonce est loin de l’engagement et de la clarté que les Canadiens attendent de leur gouvernement fédéral.

Pierre Paul-Hus, député conservateur

« [Les libéraux ont tenté] de tenir des promesses politiques qui ne font rien pour assurer la sécurité des Canadiens. Alors que le monde est aux prises avec l’agression russe, il est plus important que jamais que nos militaires disposent de l’équipement dont ils ont besoin pour protéger nos vastes frontières et soutenir nos alliés de l’OTAN », a ajouté M. Paul-Hus.

De son côté, Lockheed Martin a salué la décision du gouvernement Trudeau. « Nous sommes honorés que le gouvernement du Canada ait choisi le F-35 pour passer à la phase de finalisation, et nous sommes impatients de poursuivre notre partenariat avec l’industrie canadienne pour livrer et maintenir le F-35 », a affirmé la société sur Twitter.

Au printemps dernier, trois avions de chasse étaient toujours en lice pour remplacer les CF-18. Mais en décembre, le cabinet a discrètement décidé d’écarter le Super Hornet de Boeing. Il ne restait donc plus que deux options : le Gripen de la société suédoise Saab et le F-35 de Lockheed Martin.

Pour éviter que la flotte de CF-18 ne devienne quasi inutilisable, le gouvernement a dû investir 1,3 milliard de dollars pour prolonger la durée de vie des appareils jusqu’en 2032. Le gouvernement Trudeau a aussi acheté 18 CF-18 australiens, qui ont exigé des mises à niveau importantes.

Avec La Presse Canadienne