(Ottawa) Au moment où le débat sur le contrôle des armes à feu fait de nouveau rage au Québec, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a intercepté en trois mois presque autant d’armes à feu prohibées que durant toute l’année 2020-2021, démontrent de récentes données obtenues par La Presse.

Ainsi, au premier trimestre de 2021-2022 (avril à juin), l’ASFC a saisi 509 armes à feu dans les divers postes de contrôle de la frontière. Durant l’année 2020-2021, qui a été marquée par la fermeture de la frontière entre le Canada et les États-Unis, sauf dans le cas des voyages essentiels, l’Agence avait mis la main sur 548 armes qui étaient destinées au territoire canadien.

L’année précédente, soit la période avant la pandémie (2019-2020), l’ASFC avait saisi 753 armes à feu et 693 autres en 2018-2019.

À l’ASFC, on ne veut pas s’avancer pour dire si cette augmentation constatée au premier trimestre est une tendance lourde résultant des nouvelles mesures mises en œuvre au cours des derniers mois.

Cette hausse pourrait aussi s’expliquer par la décision du gouvernement Trudeau d’interdire plus de 1500 marques et modèles d’armes d’assaut de type militaire en mai 2020.

« Plusieurs éléments peuvent avoir un impact sur le nombre de saisies d’année en année. L’ASFC ne commente pas les tendances ni les provenances. Par contre, l’ASFC trouve constamment de nouvelles façons d’accroître la sécurité à la frontière tout en facilitant la circulation des voyageurs légitimes qui entrent au Canada ou en sortent », fait-on valoir à l’ASFC.

Vers un sommet cette année ?

Il reste que le bilan de cette année, qui prend fin le 31 mars 2022, pourrait fort bien déboucher sur un sommet. La semaine dernière, l’ASFC a annoncé l’une des plus importantes saisies d’armes à feu de l’histoire récente dans la région du sud de l’Ontario, après avoir procédé à l’interception de 56 armes à feu prohibées et à l’arrestation de Vivian Richards, originaire d’Oakland Park, en Floride.

IMAGE TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA, SUD DE L’ONTARIO

Saisie de l’ASFC au pont Blue Water à Point Edward, en Ontario

La saisie est survenue le 1er novembre quand les agents ont décidé d’effectuer un examen plus poussé d’un véhicule au pont Blue Water à Point Edward, en Ontario. Au cours de l’examen, les agents de l’ASFC ont découvert 56 armes à feu prohibées non déclarées, 13 chargeurs à surcapacité, 43 chargeurs de pistolet à 10 cartouches et 100 munitions dans des boîtes qui se trouvaient dans le coffre de la voiture. Tous ces articles ont été saisis.

L’ASFC sur ses gardes

Depuis quelques mois, l’ASFC multiplie les initiatives afin de détecter et de saisir les armes à feu que des passeurs tentent de faire entrer sur le territoire canadien. Ces armes à feu – des armes de poing, des revolvers, des pistolets semi-automatiques, des fusils automatiques, entre autres – sont destinées au marché noir.

Des équipes de chiens détecteurs ont été déployées à des postes frontaliers stratégiques. Des appareils à rayons X portatifs ultra-sophistiqués ont aussi fait leur apparition à divers endroits. Et l’ASFC a ouvert des canaux de communication avec des alliés américains et internationaux qui permettent des échanges de renseignements utiles, notamment avec le Bureau américain de l’alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs.

« Comme les contrebandiers utilisent des méthodes de dissimulation de plus en plus sophistiquées dans leurs tentatives de contrebande, l’ASFC utilise un certain nombre d’outils et de techniques pour endiguer le flux de matériaux illégaux et interdits au Canada », a indiqué Judith Gadbois-St-Cyr, porte-parole de l’ASFC, dans un courriel à La Presse.

Entre autres choses, l’ASFC a déployé des appareils à rayons X portatifs, des systèmes d’imagerie à grande échelle et a reçu 14 véhicules d’examen mobiles pour examiner plus efficacement les moyens de transport et les expéditions.

En outre, cinq équipes supplémentaires de chiens détecteurs, spécialisées dans la détection de drogues et d’armes à feu, ont été formées et sont maintenant actives dans des points d’entrée stratégiques.

L’ASFC, qui a d’ailleurs conçu une formation spécialisée pour renforcer la formation des agents sur la fouille des véhicules, compte ouvrir sous peu à Rigaud un Centre d’expertise canine, où seront formés d’autres chiens détecteurs afin de renforcer la capacité de détection dans les opérations frontalières.

Fléau de la violence par armes à feu

Ces efforts sont déployés tandis que le débat sur le contrôle des armes à feu prend de nouveau de l’ampleur au Québec dans la foulée de la mort tragique de deux adolescents, tombés sous les balles dans la région de Montréal parce qu’ils se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Valérie Plante, mairesse de Montréal, et François Legault, premier ministre du Québec, en conférence de presse, lundi

Le débat politique oppose Québec et Ottawa, le gouvernement Legault accusant les libéraux de Justin Trudeau de faire preuve de mollesse dans le contrôle des armes de poing. La mairesse de Montréal, Valérie Plante, s’insurge aussi de voir le gouvernement fédéral s’entêter à vouloir céder le pouvoir d’interdire ces armes aux provinces. Conscient que cet enjeu de sécurité publique risque d’avoir des conséquences politiques, le gouvernement Trudeau s’est engagé, dans son discours du Trône présenté mardi, à s’attaquer au fléau de la violence par armes à feu.

« La violence par armes à feu est en hausse dans plusieurs grandes villes. Pendant que nous investissons dans la prévention et soutenons le travail des forces de l’ordre, nous devons également continuer de renforcer le contrôle des armes. Le gouvernement a pris des mesures importantes comme la vérification des antécédents à vie », affirme-t-on dans le discours du Trône.

« Le gouvernement introduira maintenant des mesures comme le rachat obligatoire des armes d’assaut déjà interdites et ira de l’avant avec les provinces et les territoires qui veulent interdire les armes de poing », y ajoute-t-on dans le même passage.

Dans les rangs libéraux à Ottawa, on reconnaît en privé que le contrôle des armes à feu est devenu une grosse épine dans leur pied. Ils s’attendent d’ailleurs à ce que les critiques du gouvernement Legault deviennent de plus en plus acerbes dans ce dossier au fur et à mesure que l’on se rapproche des élections provinciales au Québec. Mais leur réplique est prête. Ils comptent rappeler à François Legault qu’il a donné son appui durant la dernière campagne fédérale au Parti conservateur d’Erin O’Toole, qui s’oppose à des lois plus restrictives en matière de contrôle des armes à feu.