L’engagement du Canada d’accueillir 20 000 Afghans soulève de nombreuses questions. Des critiques accusent le gouvernement Trudeau d’avoir failli à son devoir de protection en tardant à leur accorder l’asile. Qui sont ceux que le Canada veut accueillir ? Où sont-ils ? Comment le Canada entend-il venir en aide à ceux qui sont encore en Afghanistan, maintenant que le pays est aux mains des talibans ?

Qui sont ces 20 000 Afghans ?

Ce sont pour la plupart des familles afghanes en exil dans des pays voisins, le Pakistan, la Turquie ou l’Iran, notamment, ou qui sont sur le point de quitter leur pays. « Ces gens ne sont pas visés par le plan d’évacuation », précise Alexander Cohen, porte-parole du ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada, Marco Mendicino.

Ils seront admis au Canada dans le cadre du programme de parrainage familial et du Programme des réfugiés pris en charge par le gouvernement. Les femmes, les journalistes, les défenseurs des droits de la personne, les membres de la communauté LGBTQ+ et les membres de familles d’interprètes afghans déjà au Canada font partie des groupes prioritaires.

« Il n’y a pas d’urgence majeure sécuritaire pour les Afghans qui sont dans les camps de réfugiés à l’extérieur des zones de talibans », précise François Audet, directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires de l’UQAM. « Mais c’est évident que plus vite ils les accueilleront, plus vite ils vont améliorer les conditions de vie de ces personnes-là. »

Le Québec a déjà dit qu’il comptait accueillir sa part de réfugiés afghans sans en préciser le nombre. Mardi, le Nouveau-Brunswick a annoncé qu’il pourrait recevoir de 400 à 600 personnes.

Combien d’Afghans ont contribué à la mission canadienne ?

Ils seraient moins de 500. Certains ont déjà quitté le pays tombé aux mains des insurgés, mais d’autres y sont encore et craignent pour leur vie.

« Ils se sont retrouvés coincés sur le terrain parce que, évidemment, les interprètes étaient toujours nécessaires pour les opérations canadiennes », explique François Audet. « Il est là, l’enjeu, actuellement. Parce que les autres, qu’ils soient sur le territoire afghan ou non, ce ne sont pas des personnes qui agissaient pour le compte du Canada. »

Le premier ministre Trudeau a indiqué, mardi, que neuf vols en provenance d’Afghanistan étaient arrivés au Canada au cours des dernières semaines, dont deux avions civils, tard lundi soir, après une journée marquée par le chaos sur le tarmac à Kaboul. Les appareils transportaient les derniers diplomates canadiens encore au pays, des troupes des forces spéciales et des Afghans qui avaient déjà aidé le Canada en mission en Afghanistan.

PHOTO RACHAEL ALLEN, ARCHIVES REUTERS

Avion de transport CC-177 Globemaster des Forces armées canadiennes transportant le premier groupe de réfugiés afghans qui ont appuyé la mission du Canada en Afghanistan, à l’aéroport international Pearson, à Toronto, en Ontario, le 4 août dernier

Un dixième avion rempli de réfugiés afghans s’est posé mardi soir en sol canadien. Selon un responsable du gouvernement, 92 personnes se trouvaient à bord incluant des réfugiés, des membres de leurs familles et des citoyens canadiens. Ce groupe avait quitté l’Afghanistan il y a quelques jours et s’était posé dans un pays tiers, a expliqué Alexander Cohen, porte-parole du ministre Mendicino.

Lundi, on apprenait que 807 Afghans, d’anciens interprètes, des chauffeurs, des conseillers et des cuisiniers, ainsi que leurs familles, avaient été accueillis au Canada dans le cadre d’un programme spécial lancé en juillet.

« Les gens qui ont travaillé avec le Canada ont mis leur vie en danger. On ne va pas les laisser derrière », affirme M. Cohen.

Le Canada a-t-il des obligations envers ses collaborateurs ?

« Oui, on a la responsabilité de protéger ces gens-là », assure Charles-Philippe David, président de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand. « C’est une obligation de la communauté internationale comme contractée en 2005 par l’Assemblée générale des Nations unies.

« Tous les États du monde devraient porter assistance à ceux qui veulent fuir le pays, ajoute-t-il. Et comment fait-on ? Nous, le Canada, on n’a pas les moyens tout seuls d’aller chercher le monde. On n’a même pas les capacités de transport. On n’a pas grand-chose. Cela dit, petite critique, oui, notre gouvernement, comme tous les autres gouvernements, aurait pu depuis plusieurs, plusieurs longues semaines procéder à l’évacuation de beaucoup de gens qui ont coopéré avec nous. Mais on ne l’a pas fait. »

Comment le Canada pourra-t-il rapatrier les Afghans piégés dans leur pays ?

Selon Charles-Philippe David, le pays ne peut agir seul. « C’est impossible, dit-il. L’aéroport est encerclé par les talibans. Je ne sais pas ce qu’on va pouvoir faire, mais je pense que je ne me nourrirais pas d’illusions. Je pense que beaucoup d’Afghans seront laissés derrière et que le Canada va dire qu’il a fait le maximum. C’est une tragédie sans nom et c’est une admission que la communauté internationale n’existe plus. »

Le directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires de l’UQAM croit que, « dans l’immédiat, les talibans vont vouloir faire la démonstration qu’ils sont légitimes et qu’ils ne vont pas massacrer tout le monde qui va arriver sur le tarmac ». Mardi, les talibans se sont dits « prêts à protéger » l’accès à l’aéroport de Kaboul pour les civils évacués par les Américains, a assuré le conseiller du président Joe Biden à la sécurité nationale, Jake Sullivan, selon ce qu’a rapporté l’Agence France-Presse. Le problème risque de survenir lors du retrait des troupes américaines, pense M. Audet.

PHOTO WAKIL KOHSAR, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Soldats de l’armée américaine, à l’aéroport de Kaboul, lundi

« Une fois que le tarmac ne sera plus sous contrôle américain, les talibans vont contrôler les entrées et les sorties aériennes, affirme-t-il. Après, il peut y avoir des entrées et des sorties terrestres, mais l’Afghanistan est un pays très enclavé, très montagneux, précise l’universitaire. C’est un gros défi pour quelqu’un qui veut quitter le pays à pied. Malheureusement, pour ces populations-là, ce n’est pas un avenir qui est très glorieux. »

Ottawa peut-il négocier avec les talibans ?

Ce sera difficile, sinon impossible, de négocier avec les talibans parce que le Canada n’a plus de diplomates dans le pays et que le premier ministre Trudeau a déclaré mardi qu’il « n’[avait] pas l’intention de reconnaître un gouvernement taliban », tranchant ainsi avec les propos qu’avait tenus la veille sur CBC son ministre des Affaires étrangères, Marc Garneau, qui avait plutôt estimé qu’il était « trop tôt pour répondre à la question ».

« Lorsqu’ils étaient au pouvoir il y a 20 ans, le Canada ne reconnaissait pas leur gouvernement. Ils ont renversé par la force et remplacé un gouvernement dûment élu, et forment un groupe terroriste d’après la loi canadienne », a déclaré le premier ministre sortant.

M. Trudeau a ajouté que la priorité était donnée aux opérations d’évacuation.

Avec l’Agence France-Presse et La Presse Canadienne