L’organisation écologiste québécoise Équiterre est visée par l’enquête publique albertaine portant sur le financement des organisations environnementales faisant campagne contre les énergies fossiles.

« On a reçu une lettre que beaucoup d’autres organisations ont reçue », a confirmé à La Presse Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales d’Équiterre, qui s’y attendait.

« Est-ce une surprise qu’on ait fait campagne contre Énergie Est et d’autres pipelines ? Non, car le développement des énergies fossiles est problématique d’un point de vue environnemental, tout le monde le sait, c’est une réalité qui est prouvée », lance-t-il.

Lancée en juillet 2019, prolongée quatre fois depuis et dotée d’un budget de 3,5 millions, l’ouverture de cette enquête publique était une promesse électorale du premier ministre albertain Jason Kenney, qui prétend que des bailleurs de fonds étrangers sont derrière l’opposition aux énergies fossiles, en particulier aux sables bitumineux.

Une quarantaine d’organisations ont récemment été avisées qu’elles étaient visées par l’enquête publique, a déclaré le commissaire Steve Allan dans un communiqué publié le 18 juin, sans les nommer.

Celles-ci avaient jusqu’au 16 juillet pour répondre aux « conclusions » de l’enquête, dont le rapport final est attendu le 30 juillet.

« Grosse perte de temps »

L’enquête publique « n’est pas très sérieuse », estime le politologue Frédéric Boily, professeur en sciences politiques à l’Université de l’Alberta.

Les nombreux reports et les relations qui semblent difficiles entre le gouvernement albertain et le commissaire démontrent à ses yeux que le mandat est imprécis et débouchera sur un rapport qui ne dira « pas grand-chose ».

« Ça va être difficile de prouver qu’il y a une action concertée de la part de certains groupes étrangers pour noircir indûment le tableau de l’exploitation des sables bitumineux », dit-il.

Les sables bitumineux ont mauvaise presse et ce n’est pas dû à une raison occulte, il y a des raisons objectives.

Frédéric Boily, professeur en sciences politiques à l’Université de l’Alberta

Il souligne que l’enquête publique fait peu la manchette dans la province, ce qui donne l’impression qu’elle évolue dans l’ombre.

« Ce n’est pas comme une commission qu’on aurait pu voir ailleurs au pays, où il y a des développements réguliers, avec des audiences publiques », dit-il.

À terme, cette enquête n’aura été qu’une « grosse perte de temps » qui ne servira qu’à alimenter la rhétorique du Parti conservateur, anticipe le politologue.

Ses conséquences seront d’ailleurs « nulles » pour les organisations environnementales, prévoit le professeur Boily, qui juge notamment très improbable que le gouvernement Kenney s’en serve pour durcir la législation à leur égard, ce qui serait inévitablement contesté devant les tribunaux et mobiliserait encore plus ces groupes.

« Pas vraiment de crédibilité »

Équiterre n’accorde d’ailleurs « pas vraiment de crédibilité » à l’enquête, affirme Marc-André Viau, qui déplore son manque de rigueur.

« Ils sélectionnent des informations qui leur permettent d’arriver à leurs conclusions déjà faites et qu’ils ne contextualisent pas [et utilisent] des fausses informations sur nos revenus », dénonce-t-il.

Ils nous informent qu’ils ont googlé des affaires, qu’ils ont cherché sur notre site web ; les Albertains vont avoir payé 3,5 millions pour que deux ou trois stagiaires cherchent sur Google, c’est un peu ridicule.

Marc-André Viau, Équiterre

Les états financiers d’Équiterre sont publics et sont soumis à des audits, la provenance du financement n’a rien de secret, indique Marc-André Viau.

Que le premier ministre albertain s’indigne que des organisations environnementales canadiennes obtiennent des fonds de l’étranger ne manque pas d’ironie, ajoute-t-il, puisque 70 % des investisseurs et actionnaires du secteur des sables bitumineux albertains proviennent de l’extérieur des frontières canadiennes, avait relevé un rapport publié en 2020.

« La conversation sur les changements climatiques, sur le secteur pétrolier et gazier, c’est une conversation qui est mondiale », dit l’écologiste.

En anglais seulement

L’avis du commissaire à Équiterre a été envoyé à l’adresse courriel générale de l’organisation, en anglais seulement, affirme Marc-André Viau, qui y voit un exemple de plus du manque de sérieux de la démarche.

« Nous sommes d’avis qu’un mandataire du gouvernement de l’Alberta devrait s’adresser à une ONG québécoise dans la langue du destinataire », écrit-il dans sa réponse au commissaire, ajoutant que si la démarche était le moindrement sérieuse, la correspondance aurait été acheminée à un membre de la direction.

La documentation de l’enquête publique est également uniquement en anglais et Équiterre a demandé au commissaire Allan qu’elle soit traduite en français.

Contacté par La Presse, le porte-parole du commissaire, Alan Boras, a déclaré que certains documents avaient été traduits à l’intention d’une organisation qui en avait fait la demande, mais pas la totalité, affirmant notamment que cette organisation avait elle-même publié du contenu en anglais.

Il n’a pas indiqué si d’autres organisations québécoises étaient dans la ligne de mire du commissaire, expliquant que la liste n’était pas publique à ce stade de l’enquête.