Partout au pays, des militants autochtones et leurs alliés demandent au gouvernement l’annulation des festivités du 1er juillet. Les sépultures d’enfants autochtones trouvées près des anciens pensionnats de Kamloops et de Marieval sont à l’origine du mouvement #CancelCanadaDay (Annulez la fête du Canada).

Le jeudi 1er juillet à Montréal, une marche débutera à 14 h au parc Jeanne-Mance. « Apportez vos tambours », peut-on lire sur l’affiche partagée sur Instagram. Des rassemblements de groupes autochtones et d’alliés sont prévus ailleurs au pays, notamment à Ottawa, Toronto, Winnipeg et Vancouver. Moe Clark, une artiste multidisciplinaire métisse, fera une performance au chant et au tambour avant le départ de la marche. Cette dernière compte interpréter une chanson transmise par un survivant des pensionnats.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Moe Clark, artiste multidisciplinaire métisse

Pour Moe Clark, le fait d’annuler la fête du Canada envoie un message fort. « Le pays a encore du travail à faire avant de pouvoir célébrer sa ‟fondation” », affirme-t-elle au bout du fil. « Avoir une célébration après tout ce qui a été révélé, ce n’est pas correct. Nous avons besoin d’espace et de support pour vivre notre deuil », ajoute l’artiste au sujet des sépultures récemment trouvées.

Un moment de réflexion

Une semaine avant la fête du Canada, la Première Nation de Cowessess a révélé qu’un radar avait repéré 751 tombes non marquées sur le site du pensionnat de Marieval, en Saskatchewan. Quelques semaines plus tôt, la nation Tk’emlúps te Secwépemc avait annoncé avoir détecté ce que l’on croit être les restes de 215 enfants, dans des sépultures non marquées au pensionnat de Kamloops.

PHOTO GEOFF ROBINS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des lumières solaires et des drapeaux marquent maintenant les endroits où les sépultures de 751 autochtones ont récemment été découvertes dans des tombes anonymes sur le site de l’ancien pensionnat de Marieval, en Saskatchewan.

Au Nouveau-Brunswick, les municipalités de Fredericton, Bathurst, Saint John et Cap-Pelé ont décidé d’annuler les festivités du 1er juillet en raison de ces tristes évènements.

Une série d’incendies qui touche des églises de communautés autochtones s’ajoute à la consternation des dernières semaines. Le 26 juin, deux églises catholiques ont été incendiées dans le sud de l’Intérieur, en Colombie-Britannique. Une semaine plus tôt, deux lieux de culte de la vallée de l’Okanagan ont connu le même sort.

PHOTO CHEF KEITH CROW, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Les restes d’une église en feu à Chopaka, en Colombie-Britannique, samedi

À la lumière de ces évènements, Moe Clark croit que le processus de guérison doit être commun.

Nous avons besoin d’alliés non autochtones pour reconnaître que nous faisons tous partie du processus de guérison. Ce n’est pas seulement aux autochtones de guérir.

Moe Clark, artiste métisse

Dans ce processus, l’artiste soutient qu’il est nécessaire de se rassembler et de commémorer les vies des enfants autochtones disparus, sans oublier de célébrer les familles.

Ré-imaginer la fête du Canada

À Ottawa, au lieu d’agiter le drapeau à la feuille d’érable, différents groupes se réunissent sous la bannière du projet « Reimagine Canada (Day) » (« Ré-imaginer le (jour du) Canada »). La Société géographique royale du Canada, The First Nations Child and Family Caring Society, Justice for Indigenous Women, la fondation The Legacy of Hope, Project of Heart et l’Université d’Ottawa proposent un parcours historique de cinq arrêts dans la capitale nationale afin de mieux connaître les peuples autochtones.

C’est à vélo, à pied ou en ligne que les participants pourront prendre part à ce trajet éducatif conçu pour le 1er juillet, mais qui sera offert toute l’année.

Au fil des arrêts, les vidéos permettront de combler les lacunes du système scolaire, croit Lisa Howell, membre du projet et professeure à la faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa. « L’histoire du Canada que beaucoup d’entre nous ont apprise à l’école est inexacte et n’honore par les peuples autochtones, a-t-elle affirmé en visioconférence avec La Presse. Cela ne nous aide pas à prendre notre responsabilité sur ce que signifie vivre sur ces terres. » Le projet est né après avoir pris connaissance des sépultures autochtones trouvées à Kamloops, précise Lisa Howell.

PHOTO FOURNIE PAR LISA HOWELL

Lisa Howell, professeure à la faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, participe au projet « Ré-imaginer le (jour du) Canada ».

La visite débutera au 50, promenade Sussex, à quelques pas de la résidence officielle du premier ministre du Canada. Deux cent quinze cœurs en papier dédiés à la mémoire des enfants autochtones du pensionnat de Kamloops se trouvent devant l’édifice de la Société géographique royale du Canada.

C’est très émouvant et troublant de marcher sur ce site.

Lisa Howell, professeure à la faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa

Après un rendez-vous nécessaire avec l’Histoire, au cimetière Beechwood, le trajet se poursuivra à l’Université d’Ottawa. L’endroit n’est pas anodin, l’université ayant été fondée par la congrégation des Oblats de Marie-Immaculée, responsable de 48 pensionnats du pays. Ensuite, les visiteurs se rendront au parc de la Confédération.

Le cinquième arrêt sera une rencontre avec Albert Dumont, conseiller spirituel anishinabe de Kitigan Zibi. Cette étape ultime servira à expliquer les relations entre le territoire et le peuple anishinabe, à travers les chutes Akikojiwan et Kitchissippi (la rivière des Outaouais).

Si apprendre l’Histoire est une étape nécessaire, Lisa Howell précise qu’agir est primordial. « Même si notre visite guidée se nomme ‟ré-imaginer le Canada », ce n’est pas suffisant de seulement ré-imaginer. Il faut prendre la parole et demander des actions au gouvernement », martèle cette dernière.

La surprise de certains devant les sépultures récemment trouvées la laisse perplexe. « La Commission de vérité et réconciliation nous a appris ces histoires, nous savions que des enfants des pensionnats étaient enterrés », souligne-t-elle. Et tant que les inégalités subsistent au pays, parler de réconciliation est impossible, affirme Lisa Howell.

Avec La Presse Canadienne et Le Droit

Réactions politiques

Je ne pense pas que beaucoup de gens veulent célébrer [la fête du Canada]. Peut-être qu’on pourrait réfléchir sur le travail que nous devons accomplir avec les autochtones. Parce que nous n’y sommes pas encore. Nous devons le reconnaître.

Catherine McKenna, ministre fédérale de l’Infrastructure et des Collectivités, en conférence de presse lundi

De très nombreux Canadiens réfléchiront à la réconciliation, à notre relation avec les peuples autochtones, son évolution, et la façon dont elle doit continuer à évoluer rapidement.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada, en conférence de presse à Ottawa le 25 juin dernier

Je prévois passer du temps avec les peuples autochtones en cette fête du Canada. Il y a de nombreux Canadiens qui veulent célébrer ce que je considère comme étant l’un des meilleurs pays au monde. Mais pour plusieurs, ce n’est pas le cas.

Marc Miller, ministre fédéral des Services aux Autochtones, en conférence de presse le 23 juin

Erin O’Toole, chef du Parti conservateur du Canada, a pour sa part déclaré à sa formation lundi que la réconciliation ne consistait pas à démolir le Canada et qu’aucun pays ne pouvait résister à un examen minutieux de son héritage. Il a soutenu que toute douleur ressentie par les fautes commises au Canada devrait être utilisée comme motivation pour construire un avenir meilleur.

#CancelCanadaDay, que disent les réseaux sociaux ?

Une recherche sur Twitter et Instagram avec le mot-clic #CancelCanadaDay montre que l’indignation est palpable sur les réseaux sociaux. « Si seulement les gens se souciaient autant des peuples autochtones qu’ils se soucient d’une fête nationale », a écrit le DAmit Arya. Le médecin en soins palliatifs Naheed Dosani affirme de son côté que ces découvertes ne sont que la pointe de l’iceberg, étant donné le nombre de pensionnats qu’il reste à fouiller. « Le Canada est-il prêt à faire face au génocide auquel il a participé ? », écrit-il. D’autres usagers de Twitter expriment leur désaccord avec le mouvement. « Pourquoi le pays entier doit-il être puni ? », a écrit un internaute. Du côté d’Instagram, le mot-clic est lié à des marches partout au pays, d’Ottawa à Vancouver en passant par Winnipeg. Sur l’affiche de l’évènement, on peut lire « No pride in genocide (Pas fier du génocide) ».