(Ottawa) Alors qu’à Québec, on débat encore de sémantique en matière de racisme systémique, du côté d’Ottawa, plusieurs agences fédérales — dont la GRC et l’Agence des services frontaliers — ont mis sur pied des formations en vue d’enrayer au sein de leurs rangs ce que le gouvernement Trudeau considère, lui, comme du racisme systémique.

« Comprendre et surmonter les biais inconscients », « Maintenir l’ordre sans préjugés », « Prévenir le profilage racial à la frontière » : les employés, les cadres ainsi que les futurs employés des agences sécuritaires ont droit à un éventail de conférences et d’activités de sensibilisation dans le cadre du projet de « Formation sur les préjugés inconscients et les compétences culturelles », montrent des documents consultés par La Presse.

Si certaines formations sont offertes sur une base volontaire, d’autres sont obligatoires. C’est le cas depuis mars 2020 pour celle sur les biais implicites dans la prise de décision à la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Du côté du Service canadien du renseignement de sécurité, les cadres apprennent comment « favoriser l’inclusion » et procéder à des nominations « exemptes de biais » dans le processus d’embauche.

Des formations obligatoires sur le racisme font aussi partie intégrante du curriculum des cadets qui aspirent à venir grossir les rangs de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Dans les salles de classe de l’École de la GRC à Regina, en Saskatchewan, il est beaucoup question de l’histoire de la relation trouble entre la police fédérale et les communautés autochtones.

Et ces tensions se sont de nouveau matérialisées, ces derniers jours. Un conflit sur les pêcheries touchant les droits territoriaux des pêcheurs Mi’kmaq en Nouvelle-Écosse est en train de dégénérer. Le ministre des Services aux Autochtones, Marc Miller, ne s’est pas gêné pour pointer du doigt les agents de la GRC, les accusant d’avoir « laissé tomber » les communautés autochtones.

La police fédérale s’était déjà retrouvée sur la sellette ces derniers mois après que des récits d’arrestations troublantes d’autochtones, parfois avec des vidéos à l’appui, eurent fait surface.

La patronne de la GRC, Brenda Lucki, a initialement affirmé qu’elle avait du mal avec la définition de racisme systémique, mais elle s’est ensuite ravisée en juin dernier — non sans avoir été contredite par Justin Trudeau lui-même.

Le fléau du racisme est présent dans « toutes nos institutions, [y compris] au sein de nos forces policières, incluant la GRC », avait lancé le premier ministre avant que la grande patronne du corps policier fasse acte de contrition. Dans la lettre de mandat qu’il a adressée à Bill Blair, à qui il a confié les rênes de la Sécurité publique, Justin Trudeau a d’ailleurs demandé à celui-ci de veiller à ce que les organisations sous sa responsabilité s’attaquent au problème.

« Une évolution nécessaire »

« Je pense qu’il y a une évolution nécessaire qui se fait dans nos sociétés quant à la prise de conscience des biais inconscients, du racisme systémique qu’il peut y avoir au sein de nos institutions. Elle doit nécessairement suivre dans nos agences d’application de la loi, alors on les pousse à offrir plus de formation. Toutes les agences ne sont pas au même niveau, et il y a un désir de remplir ces écarts-là », a fait valoir en entrevue avec La Presse le député québécois Joël Lightbound, secrétaire parlementaire du ministre Blair.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, ARCHIVES LA PRESSE

Joël Lightbound, député québécois et secrétaire parlementaire du ministre Blair

Du côté de la Sûreté du Québec (SQ), qui relève du gouvernement québécois, on n’a pas encore de cadre de formation sur la lutte contre le racisme, mais on sensibilise déjà les policiers affectés dans des territoires qui sont plus proches des communautés autochtones aux enjeux autochtones, a précisé le sergent Benoit Richard dans un entretien téléphonique.

Il reste que les initiatives à venir ne s’articuleront vraisemblablement pas autour du terme « racisme systémique ». Car à l’instar du gouvernement caquiste, la SQ n’adhère pas au vocable. « Je ne peux pas dire qu’il y a du racisme systémique », a offert le porte-parole, disant se rallier plutôt au choix de mots du premier ministre François Legault en cette matière.

Il peut y avoir des biais, et comme organisation, on ne peut pas justifier des gestes qui sont des biais. Il faut les reconnaître et prendre action quand ça arrive.

Benoit Richard, sergent de la Sûreté du Québec

De retour à Ottawa, le député Lightbound a préféré ne pas trop commenter le décalage. « J’essaie de trouver les bons mots… a-t-il laissé tomber après une hésitation. De notre côté, au fédéral, on veut montrer l’exemple. Il y a un débat qui a cours en ce moment au Québec, mais pour notre part, c’est clair que le racisme systémique — qui ne veut pas dire racisme systématique —, ça existe. »

Le Comité permanent de la sécurité publique et nationale devrait d’ailleurs reprendre sous peu son étude sur le racisme systémique au sein des services policiers au Canada, après que ses travaux eurent été forcés à l’arrêt en raison de la prorogation du Parlement, en août dernier.