(Ottawa) Une nouvelle enquête de Statistique Canada indique que plus des deux tiers des étudiants des deux collèges militaires du pays ont été témoins ou ont fait l’objet de « comportements sexualisés non désirés » en 2019.

Cette enquête est publiée six ans après que l’armée canadienne a promis d’éliminer l’inconduite sexuelle de ses rangs. Il y a trois ans, le chef d’état-major de la défense, le général Jonathan Vance, a pris les deux collèges militaires sous son commandement direct.

Statistique Canada a constaté que 68 % des élèves-officiers avaient vécu des « comportements sexualisés non désirés » aux collèges militaires de Kingston, en Ontario, et de Saint-Jean-sur-Richelieu, au Québec. Les plus courants étaient des blagues à caractère sexuel et des commentaires à caractère sexuel inappropriés au sujet de l’apparence ou du corps d’une personne.

Mais plus d’une élève-officière sur quatre (28 %) a déclaré avoir été agressée sexuellement pendant ses études ; 15 % de ces élèves-officières (une sur sept) avaient été agressées au cours des 12 mois qui ont précédé l’enquête.

Les contacts sexuels étaient la forme d’agression la plus courante au sein de la population étudiante des collèges militaires, tant chez les femmes que chez les hommes. Toutefois, Statistique Canada signale que « 11 % des femmes fréquentant un CMC ont déclaré avoir été victimes d’attaques de nature sexuelle, la forme la plus grave d’agression sexuelle ».

L’étude de Statistique Canada, résultat d’une enquête menée auprès de 512 élèves-officiers représentant environ 28 % de l’ensemble des élèves, a révélé que la majorité des gestes inappropriés avaient été posés par d’autres élèves.

Les Forces armées canadiennes ont publié jeudi matin une déclaration non signée dans laquelle on rappelle que l’inconduite sexuelle ne sera pas tolérée dans l’armée et que l’institution devra en faire davantage « pour instaurer un climat de confiance, de dignité et de respect mutuel ».

L’armée a aussi indiqué qu’elle cherchait des moyens de résoudre le problème dans ses collèges, tout en ajoutant que l’enquête avait été menée en 2018 et 2019, soit avant l’adoption de plusieurs nouveaux programmes.

Parmi ceux-ci figurent une nouvelle formation pour les professeurs afin de mieux reconnaître, prévenir et réagir à l’inconduite sexuelle, un nouveau programme d’études pour les élèves-officiers élaboré par le Collège de Kingston et un centre d’intervention en cas d’inconduite sexuelle des militaires à Ottawa. Deux groupes de soutien aux femmes ont également été créés à Saint-Jean.

Selon Marie-Claude Gagnon, une ancienne réserviste de la marine, qui a fondé un groupe de soutien sur le traumatisme sexuel dans l’armée, ces résultats soulèvent de sérieuses questions au sujet de l’environnement dans les deux collèges.

Mme Gagnon laisse entendre que les Forces armées canadiennes n’avaient pas encore vraiment reconnu qu’il y avait un problème unique dans ses établissements scolaires.

« Les statistiques ne cessent de prouver qu’il y a en fait une prévalence plus élevée dans le service et maintenant dans les collèges militaires que dans la société civile, mentionne-t-elle. Mais pour que cela puisse être examiné, on doit d’abord reconnaître qu’il y a une différence. »

La juge à la retraite de la Cour suprême, Marie Deschamps, avait soulevé des préoccupations concernant les collèges militaires du Canada dans un rapport accablant sur l’inconduite sexuelle dans les forces armées en mars 2015. Le rapport citait des étudiants décrivant l’agression sexuelle comme un rite de passage et une menace omniprésente dans les établissements.

Un comité d’anciens officiers militaires n’avait trouvé en mars 2017 aucune preuve d’inconduite sexuelle généralisée au Collège militaire royal de Kingston. Le chef d’état-major de la Défense, le général Jonathan Vance, avait semblé accepter ce rapport, étant donné le manque de rapports de police.

« Je saurais s’il y avait une tendance, avait déclaré le général Vance à La Presse canadienne. S’il y avait un problème sérieux là-bas, nous le saurions. »

À la suite à la publication du rapport de Statistique Canada jeudi, le ministre de la Défense Harjit Sajjan s’est dit « profondément préoccupé » par les résultats avant de promettre de prendre des mesures pour régler le problème, sans toutefois donner des précisions.

« Un seul cas d’inconduite sexuelle ou de discrimination est un cas de trop, a-t-il déclaré. C’est complètement inacceptable et ça n’a pas sa place dans nos institutions ou notre pays. Nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que nos institutions sont des lieux sûrs et inclusifs pour tous. »