(Ottawa) Le ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, reconnaît que le gouvernement fédéral réévalue ses relations avec le Mali, à la lumière du récent coup d’État. Il insiste toutefois sur le fait que le Canada ne veut, et ne peut simplement pas, quitter le pays africain.

Le Canada a condamné le coup d’État en des termes sans équivoque.

« Le Canada condamne fermement le coup d’État au Mali, qui a forcé la démission du président démocratiquement élu Ibrahim Boubacar Keïta », avait réagi le ministre Champagne dans un communiqué du 19 août.

M. Champagne avait alors ajouté que le Canada « travaillerait en étroite collaboration avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, l’Union africaine et les Nations Unies pour aider à assurer le retour à l’ordre constitutionnel ».

À l’instar d’une grande partie de la communauté internationale, le Canada souhaite maintenir la paix et la stabilité dans une région où la guerre et les incertitudes pourraient avoir de graves ramifications pour l’Afrique et l’Occident.

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Ibrahim Boubacar Keïta

Mais il ne faut pas se leurrer : malgré la participation canadienne à la mission de maintien de la paix de l’ONU dans le pays et l’aide économique, le Canada s’est largement désengagé de la région en raison d’un manque de volonté politique et d’intérêt.

« C’est une sorte d’implication symbolique, formule Bruno Charbonneau, un expert du Collège militaire royal de Saint-Jean. On jette de l’argent et on espère que cela aura un impact. L’intérêt et la volonté politique du gouvernement fédéral n’existent pas vraiment. »

Le Mali est au bord de l’instabilité depuis un premier coup d’État militaire en 2012, au moment où des rebelles du nord, soutenus par des djihadistes liés à Al-Qaïda, se sont soulevés contre le gouvernement du pays.

Le régime civil a été rétabli après un accord de paix entre les rebelles et le gouvernement, mais le pays a continué d’être déchiré par les divisions intercommunautaires, la violence et la corruption endémique.

Une longue histoire

Le Canada a une longue histoire au Mali. Non seulement la nation ouest-africaine a été l’un des principaux bénéficiaires de l’aide étrangère canadienne pendant la majeure partie des 50 dernières années, mais elle a également accueilli de nombreuses sociétés minières canadiennes qui y exploitent des gisements d’or et de métaux précieux.

Le Canada compte 10 officiers de l’armée travaillant au quartier général de la mission des Nations Unies, à Bamako. Cinq policiers — et non les 20 promis en 2018 — aident à former les forces de sécurité locales.

Si l’Union européenne a choisi mercredi de suspendre ses propres missions de formation militaire et policière en raison du coup d’État, on ignore si le Canada emboîtera le pas.

« Les responsables canadiens surveillent en permanence la situation, mais aucun changement dans les déploiements de la police au Mali n’est envisagé pour le moment », a indiqué un porte-parole de la GRC, Robin Percival, dans un courriel.

Le Mali demeure l’un des principaux bénéficiaires de l’aide au Canada. Il a reçu plus de 1,6 milliard depuis 2000, selon le gouvernement fédéral, dont près de 140 millions en 2018-2019.

Un autre expert des questions maliennes, Jonathan Spears, de l’Université de Winnipeg, reconnaît que cet argent peut faire une différence dans certaines régions du pays, mais il craint que le Canada n’en fasse pas assez pour s’attaquer aux problèmes les plus fondamentaux qui rongent le Mali.

« On a en quelque sorte permis à des individus dans les communautés de faire face à des problèmes structurels plus vastes, explique M. Sears. Ces petites réussites ont amplifié en fait des problèmes plus importants. »

Avant même le coup d’État, certains, comme l’ancienne diplomate canadienne Louise Ouimet, se demandaient si le Canada aidait réellement le Mali à surmonter ses problèmes de longue date et à tracer une voie durable.

« Mon pays, le Canada semble absent des discussions à Bamako, du moins les médias ne le rapportent pas, alors que le Mali est un pays important de coopération internationale depuis plus de 40 ans », écrivait Mme Ouimet, qui a été ambassadrice au Mali de 2001 à 2005, dans un article publié le mois dernier sur le site maliweb.net.

Bruno Charbonneau juge qu’il serait injuste d’imputer au manque d’implication ou d’intérêt du Canada la responsabilité du récent coup d’État.

« Cela dit, j’ai fait valoir que le Canada aurait dû jouer un rôle de leadership beaucoup plus important au Mali, ce qu’il n’a manifestement pas fait, souligne-t-il. Il faut un débat sur l’approche qu’on adopte et a adoptée au Mali. »

Pour sa part, M. Sears espère que le Canada intensifiera sa présence et fera partie de ceux qui prêcheront la patience au moment où la communauté internationale fait pression pour un retour à un régime civil.

« J’aimerais que le Canada soit une voix pour ne pas précipiter la transition, soutient-il. Mon souci est que nous allons reproduire la plupart des défauts de la transition précédente et ne pas vraiment prendre en compte certains des problèmes qui se sont aggravés depuis 2013. »