De retour de Belgique lundi soir, 336 passagers d'Air Transat restent coincés pendant près de six heures dans un Airbus A330, à l'aéroport d'Ottawa. Alors que la situation se dégrade, Marc Jetté compose le 911. Soutenu par les passagers, il se sent traité en criminel par les autorités, incluant le transporteur. Et aujourd'hui, il craint pour son emploi. Récit d'un très mauvais retour au pays.

Décidément, ce n'est pas une bonne journée pour le vol TS157 d'Air Transat. L'avion doit quitter Bruxelles à 13h30, le 31 juillet, pour revenir à Montréal. «En partant, on monte à bord avec une heure de retard, dit Marc Jetté. Ensuite, on attend encore 45 minutes avant de décoller. Mais ce sont des choses qui arrivent.»

Jusque-là, malgré le retard, tout va bien. Le vol se fait normalement. Les passagers sont calmes. M. Jetté, sa femme et leurs trois adolescentes reviennent d'un voyage au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Belgique. Les beaux-parents les attendent à 16h30, heure du Québec.

Puis tout à coup

«J'ai l'habitude de jeter un coup d'oeil sur le moniteur du siège avant pour voir la distance parcourue, dit-il. Tout à coup, après plusieurs heures, la destination n'est plus la même. Au lieu d'atterrir à Montréal, on indique qu'on se rend à Ottawa.»

M. Jetté pense qu'il y a une erreur. Puis, l'avion commence à tourner en rond. Et on annonce qu'en raison du mauvais temps, l'avion fera une escale de 30 minutes à Ottawa pour faire le plein. Les passagers prennent leur mal en patience. Mais on comprend. La situation l'exige.

De l'eau dans le gaz

L'Airbus A330 attend son tour pour faire le plein. «Sur les 12 avions en ligne, on nous dit qu'on est troisième», se rappelle-t-il. Mais il faut plus de temps que prévu. On attend. Puis on attend. «Quand le camion-citerne arrive, il n'y a plus d'essence. Et il repart pour aller en chercher. Ça commence à faire beaucoup dans la même journée.»

Les passagers s'impatientent. Des bébés pleurent. Des gens veulent descendre. «Rendu là, ça fait trois heures qu'on attend à Ottawa, dit l'homme de 42 ans. On nous dit toutes les 30-40 minutes que ça s'en vient.»

À la lumière des veilleuses

Le dernier repas servi est le lunch du midi. En soirée, on offre du chocolat aux jeunes enfants. Clac! Vers 21h, on coupe la climatisation et les moniteurs télé. Il n'y a plus de lumière, sauf de petites veilleuses.

«Il y a un sentiment de panique, se rappelle le père de famille. Mes filles ont peur. Une jeune hôtesse essuie des larmes, car les deux agentes de bord subissent les doléances de tout le monde.» L'avion est immobilisé depuis plus de quatre heures. Il fait chaud. Marc Jetté sent la tension monter dans l'habitacle.

Appel d'urgence 

Le temps passe. L'avion est cloué au sol depuis au moins cinq heures. «Des gens tremblent, d'autres prient, dit-il. Des poupons pleurent et des enfants vomissent.» M. Jetté craint pour la sécurité générale des passagers. Il entend un homme crier : «Open the fucking door!»

«On est 336 personnes entassées dans l'avion, dit-il. J'ai peur à un mouvement de foule.» Il pense que tout est en place pour qu'un drame survienne. «Avant que ça aille encore plus mal, je décide de faire un appel d'urgence, dit-il. Je téléphone au 9-1-1 pour la région d'Ottawa.»

Arrivée des secours

En peu de temps, des véhicules de secours arrivent. Des policiers d'Ottawa, des pompiers et des paramédicaux installent une passerelle et montent dans l'avion. On ouvre enfin les portes pour donner un peu d'air. Les passagers se sentent soulagés. On demande alors, dans l'interphone : «Qui a appelé le 9-1-1? Who called 9-1-1? » M. Jetté ne bouge pas. «Le ton du message est contrarié», se rappelle-t-il. Mais quand on donne les quatre derniers numéros de son téléphone, il se lève de son siège. Le policier lui demande de le suivre à l'avant.

Interrogatoire serré 

Il s'assoit près de la cabine des pilotes. Il est entouré de plusieurs personnes, dont un policier. On le questionne en français et en anglais. Nom, adresse, profession? «Je me sens comme un criminel, dit M. Jetté. Mes filles sont terrifiées.»

On lui demande où sont les personnes qui ont besoin de soins. «Elles sont toutes là, répond-il. Aidez-nous! J'ai appelé parce que la situation se dégradait. Il fallait faire quelque chose.» Quelqu'un prend ensuite sa pression. Puis il signe une décharge pour indiquer qu'il n'ira pas à l'hôpital.

Des enquêtes 

Avant qu'il ne retourne à son siège, le policier dit à M. Jetté qu'il pourrait avoir des problèmes parce qu'il a fait déplacer des secouristes. «Les passagers me remercient. L'avion décollera 30 minutes plus tard, dit-il. Mais aujourd'hui, je crains pour mon emploi. En tant qu'employé de la fonction publique, je ne peux pas avoir de dossier criminel.»

Hier, Air Transat a indiqué à La Presse qu'elle poursuivait son enquête à ce sujet. Pour sa part, l'Office des transports du Canada a annoncé qu'il ouvrait une enquête sur les circonstances entourant les retards de deux vols d'Air Transat, où les passagers sont restés coincés pendant des heures, lundi soir, à l'aéroport d'Ottawa.