Les services de police de la communauté algonquine de Lac-Simon, en Abitibi, où un agent a été tué dans l'exercice de ses fonctions en février, sont en péril en raison de budgets insuffisants. Une crise qui fait écho à celles de nombreux autres corps policiers autochtones du Québec.

La réserve algonquine de Lac-Simon, où le policier Thierry LeRoux a été tué récemment, affirme que le sous-financement chronique de son service de police menace l'existence même de celui-ci.

« La situation actuelle de financement de notre corps de police est très précaire et demande une révision », peut-on lire dans des lettres que le conseil de bande a envoyées la semaine dernière aux ministres provincial et fédéral de la Sécurité publique, Martin Coiteux et Ralph Goodale. La vice-chef Pamela Papatie souhaite les rencontrer pour discuter de l'entente actuelle, en vigueur jusqu'en 2018.

La police de Lac-Simon emploie 15 policiers. Ceux-ci font près de 3000 interventions par année, « la plupart dans un contexte de crise », précise la lettre. « On est sous-financés. Il va falloir qu'il y ait de l'argent qui rentre, sinon, je ne serai pas capable de continuer à donner le service à la communauté », affirme le directeur du service, Martin Thibeault. « Je n'arrive pas à subvenir à tous les besoins. »

À l'entendre, ces besoins sont grands. Problèmes conjugaux, agressions sexuelles, trafic de drogue, agressions physiques, bagarres de clans : Lac-Simon doit composer avec un climat social difficile. La mort de l'agent LeRoux, abattu de deux coups de feu à bout portant lors d'une intervention qui a mal tourné, le 13 février, en est le plus récent et tragique exemple.

Le directeur général du conseil de bande, Stéphane Savard, note que près d'une vingtaine de nouveaux policiers ont été ajoutés aux postes de Val-d'Or et Senneterre de la Sûreté du Québec (SQ) dans la foulée des allégations d'inconduite de policiers envers des femmes autochtones, dans un reportage de l'émission Enquête, en octobre 2015. « Ils ont eu 19 policiers, mais il n'y a rien eu pour nous », déplore-t-il, soulignant que les dénonciatrices sont originaires de Lac-Simon.

Selon Martin Thibeault, le manque à gagner de son service se chiffre à plusieurs centaines de milliers de dollars. Il l'empêche notamment d'ordonner un nombre suffisant de perquisitions en matière de drogues et d'offrir à ses policiers la formation dont ils auraient besoin pour rafraîchir leurs connaissances.

Il faudra sans doute attendre le rapport du coroner pour savoir si le manque de formation a été un facteur dans la mort du policier Thierry LeRoux, diplômé de l'École nationale de police en 2013. Mais le chef Martin Thibeault assure que ses troupes font leur travail correctement. « J'ai entièrement confiance en mes policiers. Je n'aurais aucune crainte à mettre ma vie entre leurs mains », dit-il.

UN ENJEU DE SÉCURITÉ

Une décision récente en matière de santé et sécurité du travail apporte par ailleurs de l'eau au moulin des autorités de Lac-Simon.

Traumatisés par la mort de leur collègue, les agents du service de police local ont été mis en congé dans les heures qui ont suivi la tragédie. Les premiers d'entre eux ont repris le travail la semaine dernière seulement.

Entre-temps, la Sûreté du Québec a pris la relève dans la communauté de 2000 habitants. La SQ s'était à l'origine assurée d'avoir quatre patrouilleurs sur place en tout temps, mais après une semaine, elle a réduit leur nombre à deux pour certaines plages horaires.

L'Association des policiers provinciaux du Québec (APPQ), qui représente les policiers de la SQ, s'est immédiatement adressée à la Commission nationale des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Elle a fait valoir qu'en réduisant les effectifs sur le terrain, la SQ mettait ses policiers en danger.

La SQ s'est défendue en disant qu'elle avait d'abord dépêché quatre policiers à la fois en raison de la crise suivant la mort du policier Thierry LeRoux, mais qu'après que le calme est revenu, elle s'était inspirée du déploiement d'effectifs habituel de la police de Lac-Simon. Celui-ci prévoit seulement deux policiers par quart de travail, sauf pour quelques périodes où les relèves se chevauchent.

L'inspecteur de la CNESST, Serge Gaudreault, a donné raison au syndicat. Dans son rapport du 29 février, que La Presse a obtenu, il note qu'il « arrive fréquemment que plusieurs individus soient présents lors des interventions des policiers » et conclut qu'avec seulement deux policiers, « la persuasion est beaucoup plus limitée ».

Sa décision semble en bonne partie motivée par le fait que la présence de la SQ à Lac-Simon survient alors que « des allégations d'abus de la part de policiers de la SQ envers des femmes de la communauté autochtone planent toujours », quelques mois après la diffusion du reportage d'Enquête. « Le climat est encore tendu entre certains individus de la communauté et la présence policière de la SQ », écrit-il.

Mais pour le président de l'APPQ, Pierre Veilleux, il ne fait pas de doute qu'« il y a autant de danger pour les policiers du corps autochtone que pour ceux de la SQ ». « Ce n'est définitivement pas suffisant d'avoir deux policiers par relève dans des territoires isolés où les renforts sont à une demi-heure ou trois quarts d'heure de route sur des chaussées souvent glacées », dit-il.

Avoir quatre policiers sur le terrain en tout temps « serait l'idéal », confirme le directeur du service de police de Lac-Simon, Martin Thibeault. « Mais notre financement actuel ne nous le permet pas. »

photo olivier jean, archives la presse

Appelée en renfort à Lac-Simon après la mort d'un agent du service local, la SQ s’était à l’origine assurée d’avoir quatre patrouilleurs sur place en tout temps, mais après une semaine, elle a réduit leur nombre à deux pour certaines plages horaires.