Les Montréalais ne seraient clairement pas gagnants si Loto-Québec obtenait le feu vert pour ouvrir son salon de jeux au Centre Bell, décrète la Direction régionale de santé publique dans un avis que La Presse a obtenu.

Le projet de salon de jeux sur les lieux du restaurant Taverne 1909, un édifice de quatre étages jouxtant le Centre Bell, dans lequel Loto-Québec désirait installer 350 machines à sous, représente une « modification substantielle » de l’offre de jeu « dans l’un des secteurs les plus achalandés de Montréal », souligne la Santé publique dans un avis costaud de près de 40 pages. L’avis est prêt depuis plus d’un mois.

« On a fait une analyse de risques complète, explique la directrice de santé publique de Montréal, Mylène Drouin, en entrevue avec La Presse. Et on arrive à une conclusion solide : le projet tel qu’amené, il présente des risques à la santé de la population, des risques suffisants pour ne pas qu’on recommande ce projet. »

« Le projet de Loto-Québec est susceptible de rejoindre et d’initier au jeu un nombre important de joueurs vulnérables avec les impacts tributaires sur la santé que l’on connaît », écrit le chercheur Jean-François Biron, qui a rédigé son avis avec la collaboration d’autres chercheurs renommés, notamment Sylvia Kairouz, de l’Université Concordia, et Annie-Claude Savard, de l’Université Laval.

« C’est un projet qui peut susciter l’initiation au jeu, souligne Mme Drouin. Tout l’emballage qu’on donne à ce salon peut envoyer un faux sentiment de sécurité aux gens qui iront jouer. »

« Zone de très forte accessibilité »

Quant à la baisse projetée d’appareils de loterie vidéo (ALV) mise de l’avant par Loto-Québec pour vendre son projet, elle ne change pas du tout la donne, tranche le rapport. La société d’État proposait de déplacer 350 machines du casino de Montréal vers ce nouveau salon de jeux, mais aussi de retirer environ 500 appareils répartis dans l’île de Montréal.

Les chercheurs ont modélisé tous les ALV de l’île sur une carte, à l’aide de logiciels sophistiqués, en simulant l’apport d’un salon de jeux. Le projet au Centre Bell ferait passer le centre-ville en zone de « très forte accessibilité », alors que la diminution d’appareils proposée par Loto-Québec ne fait pas diminuer significativement l’offre ailleurs dans l’île.

  • Accessibilité aux ALV par secteur de Montréal en date de mai 2023

    INFOGRAPHIE LA PRESSE

    Accessibilité aux ALV par secteur de Montréal en date de mai 2023

  • Accessibilité aux ALV par secteur de Montréal simulée en tenant compte du projet de salon de jeu au centre-ville

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    Accessibilité aux ALV par secteur de Montréal simulée en tenant compte du projet de salon de jeu au centre-ville

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« L’idée de faire cette modélisation, c’est de se demander si le changement d’offre global, il est mieux que le statu quo, ou il fait augmenter l’accès physique au jeu », résume Mylène Drouin. Et la réponse est claire : « on enlève des appareils, mais on les déplace dans un endroit où chaque machine risque d’attirer plus de joueurs, dont des joueurs à risque ».

De plus, un salon de jeux associé à l’environnement du Canadien de Montréal instaure une « dynamique de normalisation » des jeux de hasard et d’argent.

C’est qu’une forte proportion de la population montréalaise, toutes générations confondues, voue un culte à l’équipe, dont certains joueurs ont marqué l’histoire. Le Centre Bell est également un important espace de rassemblement populaire de culture et divertissement. Dans ce contexte, il est fortement probable que davantage d’individus s’initieront aux appareils électroniques de jeu dans cet établissement.

Extrait de l’étude réalisée par la Santé publique de Montréal

En conséquence, non seulement la Santé publique « ne recommande pas » l’implantation d’un salon de jeux en partenariat avec le Groupe CH, mais elle incite plutôt Loto-Québec « à poursuivre la diminution du nombre de sites d’ALV tel qu’observé depuis 2017 à Montréal en cessant d’accorder des permis d’exploitation d’appareils de loterie vidéo (ALV) ». La demande pour ce type de jeu « du coin de la rue » est clairement en baisse, dit Mme Drouin.

« Il faut continuer sur cette lancée. »

Plus largement, l’avis recommande également la mise en place d’une instance indépendante pour l’encadrement des jeux de hasard et d’argent au Québec, qui aurait accès à l’ensemble des données et pourrait mener des analyses « permettant d’éclairer les décideurs ».