En couple, avec des amis ou en famille, environ 60 000 personnes se sont déplacées samedi de la gare Centrale à la station Brossard pour être parmi les premiers à découvrir le nouveau tronçon du Réseau express métropolitain (REM).

Les enfants, accotés aux fenêtres, regardent l’horizon. Les parents se prennent en photo. Des amis filment avec leurs téléphones. Des retraités se souviennent d’Expo 67.

Après des heures d’attente à la gare Centrale, prise d’assaut par la foule, les portes du wagon blanc et vert du nouveau REM se referment. « Prochaine station, Île-des-Sœurs », lance la voix feutrée de Caroline Dhavernas.

Lisez « Inauguration du REM : le mode d’emploi du réseau »

Ça y est, le train s’ébranle, en douceur. Les clichés pleuvent. Rapidement, le train surplombe les abords industriels du secteur Bridge Bonaventure, avec vue sur les rails entrelacés du Canadien National.

Au loin, des points de repère montréalais défilent : le profil du mont Royal derrière les gratte-ciel du centre-ville, l’enseigne lumineuse Farine Five Roses, le pont Jacques-Cartier, la brasserie Molson, la Biosphère.

« C’est vraiment un moment historique, il faut en profiter ! », s’enthousiasme Lansana Camara. Avec sa conjointe Fatoumata Bangoura et leurs trois enfants de 2 à 11 ans, le couple tire parti des vacances. « C’est vraiment génial de voir la ville, on en profite pour la faire visiter aux enfants », renchérit M. Camara.

C’est justement pour leurs plus jeunes que deux autres couples d’amis et leurs enfants ont décidé de venir samedi.

« On voulait qu’ils puissent dire : on était là ! », s’exclame Serge Carrier. « On est très excités. » Le projet illustre la transition vers un mode de transport plus durable, ajoute-t-il.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Serge Carrier a pris le REM samedi en compagnie de sa famille.

Un peu plus loin dans le wagon, Gaston et Lucille Roberge, des retraités de Saint-Bruno-de-Montarville, tiennent le passeport d’inauguration du REM, dont 10 000 exemplaires ont été distribués dans les premières heures samedi. Dans ce document, un tampon de chaque station peut être imprimé pendant la fin de semaine de découverte.

C’est tout un évènement [l’arrivée du REM]. Quand l’Expo a ouvert, on était là. Cette fois-ci, on est encore là !

Lucille Roberge

20 000 passagers en trois heures

La « journée de découverte » du REM de samedi a été victime de son succès. En moins de trois heures en matinée, 20 000 passagers sont montés à bord, alors que la capacité journalière est de 30 000. En fin de journée, le bilan était monté à 60 000. « Ça dépasse largement nos attentes, c’est vraiment impressionnant », s’est étonné le porte-parole du REM Jean-Vincent Lacroix, croisé à la gare Centrale. « C’est historique d’avoir eu ce rendez-vous-là avec les usagers, qui sont venus rencontrer le REM pour la première fois », ajoute-t-il.

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Le porte-parole du REM Jean-Vincent Lacroix

En fin de matinée, le REM indiquait qu’il n’accepterait plus de nouveaux passagers, pour s’assurer que ceux qui s’étaient rendus d’une ville à l’autre seraient en mesure de rentrer à la maison. Mais il n’a finalement pas été question de retourner les gens, a indiqué M. Lacroix en fin de journée. « Les gens étaient contents, et certains s’étaient déplacés de très loin », explique-t-il.

L’achalandage a débuté dès 7 h du matin, avec des files d’attente s’étirant déjà aux cinq stations nouvellement en service, a souligné le porte-parole. « Ça montre que les gens ont soif de grands projets », estime-t-il.

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De nombreuses faisaient la file samedi à la gare Centrale.

Au passage de La Presse à la gare Centrale vers midi, l’attente était d’environ 90 minutes. La file, elle s’étirait sur tout le plancher de la gare. Vers 15 h 30, l’achalandage était semblable.

Du côté de la station Brossard, une file de plusieurs dizaines de mètres s’est étirée à l’extérieur de la station pendant tout l’après-midi. Malgré un ciel gris, des percussionnistes rendaient l’ambiance festive. Les automobilistes, eux, devaient prendre leur mal en patience pour atteindre la station.

L’attente était toutefois nettement moins longue aux trois autres stations, soit Du Quartier, Panama et Île-des-Sœurs, a pu constater La Presse.

Problèmes d’ascenseur

Détail choquant : l’ascenseur à la gare Centrale est tombé en panne samedi, nuisant aux déplacements des personnes à mobilité réduite.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

La gare Centrale était bondée samedi.

Sophie Brault, qui se déplace en fauteuil roulant, est arrivée tôt samedi matin. À son arrivée, mauvaise surprise : l’ascenseur permettant de se rendre au quai ne fonctionne pas. Une heure et quart plus tard, le problème est réglé et elle monte dans le train, direction Brossard.

De retour à Montréal, l’ascenseur ne fonctionne pas… encore une fois. « Ça a pris près d’une heure et demie avant de pouvoir finalement sortir de la gare. C’est un peu décevant qu’il y ait autant de problèmes au niveau du fonctionnement de l’ascenseur, sachant que tout est neuf », déplore-t-elle au bout du fil.

« Il y a eu de la surchauffe des ascenseurs, parce qu’il y a eu un moment où ils n’arrêtaient jamais, explique M. Lacroix. Il y a eu des équipes techniques qui ont dû se déplacer. On est en mode plan B et solutions pour voir ce qu’on peut faire [pour ce dimanche] », ajoute-t-il.

Les personnes en quadriporteurs et fauteuil roulant ont ensuite eu la priorité pour prendre l’ascenseur, tandis que les employés du REM se sont relayés pour aider à monter les poussettes, raconte M. Lacroix.

« Moi, je suis chanceux parce que je peux descendre de mon fauteuil », a témoigné à la sortie Mario Jr. Lemire. À son côté, son ami Bruno Poitras n’en revient pas. « Ce n’est pas La Ronde, c’est le gouvernement ! s’indigne-t-il. Je ne peux pas croire que la première journée de l’inauguration, l’ascenseur ne fonctionnait pas. »

Des changements d’habitude

Les passagers rencontrés prévoient-ils changer leurs habitudes ? « Pour aller prendre un verre à Montréal, on se promet de prendre le REM, pour changer », souligne Charles Dubois accompagné de sa conjointe Myriam Gervais. Ces Longueuillois retraités de la Société de transport de Montréal (STM) s’émerveillent devant le nouveau train. « C’est la plus belle affaire qu’ils pouvaient faire pour montrer qu’on est capable d’avoir des [infrastructures] à Montréal », estime M. Dubois.

À Brossard, James Huang s’est déplacé avec sa famille – ses parents, sa conjointe et leurs enfants – pour « enfin voir le REM », explique-t-il. « Ça pourrait nous faciliter la route pour aller à Montréal, espère-t-il. Et éviter le stationnement là-bas. »

Avec Léa Carrier, La Presse

Un projet en montagnes russes

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Ouvriers s’affairant à construire les rails du REM sur l’autoroute 10 à la hauteur de Brossard, en décembre 2019

Ce fut long. Ce fut fastidieux. Entre les multiples retards et les mauvaises surprises, il fallait y croire. Mais le voilà, enfin. Retour sur les dates clés du Réseau express métropolitain.

Janvier 2015

La construction du nouveau pont Champlain, le pont Samuel-De Champlain – qui compte désormais deux voies réservées au transport collectif – ravive l’idée d’un train léger sur rail, envisagée depuis près de 20 ans.

Le premier ministre du Québec Philippe Couillard confie la conception du projet à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), qui crée la filiale CDPQ Infra.

Avril 2016

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Le président-directeur général de la CDPQ, Michael Sabia, et le maire de Montréal Denis Coderre, lors de l’annonce d’une première mouture du Réseau électrique métropolitain, en avril 2016

Accompagné du maire de Montréal Denis Coderre, le président-directeur général de la CDPQ, Michael Sabia, dévoile la première mouture de ce qui doit devenir le Réseau électrique métropolitain, tel qu’il se nomme à l’époque.

Le système léger sur rail électrique et entièrement automatisé compte 24 stations et mesure 67 kilomètres. Coût de construction estimé : 5,5 milliards de dollars. Année de mise en service prévue : 2020.

Janvier 2017

Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement estime qu’il serait « prématuré » de donner son feu vert à la réalisation du REM.

Dans un volumineux rapport, il fait état d’un manque d’informations sur les plans financier et environnemental, soulève l’absence d’évaluation de l’impact du projet sur le transport collectif existant et craint les conséquences sur le paysage montréalais.

Septembre 2017

Le projet de loi sur le Réseau électrique métropolitain est adopté par l’Assemblée nationale.

Il vise notamment à empêcher les propriétaires qui vivent sur le tracé du projet de s’opposer à un éventuel avis d’expropriation.

Avril 2018

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11 avril 2018 : une première pelletée de terre est soulevée en présence de nombreux officiels, dont la mairesse de Montréal Valérie Plante (troisième à partir de la gauche) et le premier ministre du Québec Philippe Couillard (au centre)

La première pelletée de terre est soulevée. Les travaux débutent officiellement dans Griffintown, puis le long de la ligne Deux-Montagnes.

Le projet change d’appellation et devient le Réseau express métropolitain.

Mars 2019

L’Autorité régionale de transport métropolitain et le réseau exo sont visés par une demande d’action collective.

Des usagers des trains de banlieue de Deux-Montagnes et de Mascouche sont insatisfaits des mesures mises en place pour atténuer les perturbations causées par les travaux de construction du REM.

Juillet 2020

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Ouvriers travaillant à la construction de la station McGill du REM, en novembre 2021

La découverte de résidus d’exposifs dans le tunnel sous le mont Royal force les ouvriers à modifier leurs méthodes de travail, ce qui retarde les travaux.

La même année, la pandémie de COVID-19 paralyse le chantier pendant près de six semaines. La date de mise en service du tronçon de la Rive-Sud est reportée de 18 mois.

Juin 2021

La facture estimée bondit à 6,9 milliards. CDPQ Infra explique l’explosion des coûts par les mauvaises surprises qui ont perturbé les travaux au cours des deux dernières années, dont la pandémie.

Juillet 2022

Le tunnel de 3 km reliant l’aéroport de Montréal au reste du réseau est enfin prêt. Il aura fallu deux ans d’excavation pour inaugurer l’impressionnant tunnelier situé à 30 m sous terre.

Octobre 2022

La date de livraison de l’antenne reliant le centre-ville à Brossard est reportée une fois de plus. Prévue en décembre de la même année, elle est repoussée au printemps.

Selon CDPQ Infra, le calendrier aurait mené à une mise en service au milieu de l’hiver, ce qui est loin d’être idéal.

Mai 2023

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Voitures du REM poursuivant leur rodage sur le pont Samuel-De Champlain, le 21 avril dernier

La mise en service du tronçon de la Rive-Sud est retardée de quelques jours, voire quelques semaines, en raison de tests qui sont plus longs que prévu, apprend La Presse.

Par ailleurs, le coût total du projet devrait excéder sept milliards.

Juillet 2023

Ça y est. Sept ans après l’annonce officielle du projet, le voilà enfin. Le Réseau express métropolitain accueille ses premiers passagers le 28 juillet. Le lendemain, 60 000 curieux montent à bord.

À venir

Ce n’est pas fini. La date de livraison des tronçons de l’Ouest-de-l’Île, de la Rive-Nord et du Centre de Montréal est prévue pour l’année 2024. Quant au segment reliant l’aéroport de Montréal au reste du réseau, il faudra attendre jusqu’à 2027 pour sa mise en service.