Sur le campus de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), à près de cinq heures de route de Montréal, un étudiant sur trois vient d’un autre continent.

Dans certaines classes, il y a plus d’étrangers que d’étudiants locaux.

Marie-Josée Roy, par exemple, donne un cours de comptabilité, suivi par 125 étudiants, dont 120 sont d’ailleurs.

Le dioula et le wolof se mélangent au français et à d’autres langues dans les couloirs et les cafés de l’université, qui domine la rivière Saguenay.

De nouveaux commerces africains ont pignon sur rue : le Sèlô Resto a ouvert ses portes en octobre sur le boulevard Talbot, près du Bar Le Baobab, et le Marché africain du Saguenay s’est installé en novembre, rue Racine Est, à quelques minutes de marche de la pâtisserie QueBeclava, haut lieu, comme on le devine, du baklava.

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Au premier plan, Mamadi Oulare, de la Guinée, étudie en génie civil, à l’Université du Québec à Chicoutimi.

Des étudiants étrangers fréquentent l’UQAC depuis plus de 20 ans. Ce n’est pas nouveau. En 2012, ils étaient 500. En 2019, 1500. Mais depuis la crise liée à la COVID-19, cette clientèle connaît un boum. En proportion, l’UQAC compte aujourd’hui autant d’étudiants venant de l’étranger que McGill.

Hausse des Africains

Les nouveaux venus sont surtout africains. Cette année, sur 6500 étudiants, 2125 viennent d’ailleurs : 50 % de l’Afrique francophone, 41 % de la France et 9 % de 50 autres pays.

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Youssouf Brahami, d’Algérie, Ghada Gmati, de Tunisie, et Békibenan Sékongo, de Côte d’Ivoire, dans le laboratoire de modélisation et diagnostic des équipements des lignes électriques de l’UQAC

Saguenay n’est pas la seule ville à miser sur les étudiants étrangers pour assurer sa croissance. Mais elle semble mener cette course. La proportion d’étudiants étrangers de l’UQAC est plus du double de celle de l’UQAM (14 %) et des autres universités régionales du réseau de l’Université du Québec.

« Les Français viennent souvent en double diplomation », explique Marie-Karlynn Laflamme, directrice des communications. « Dans leur cursus scolaire, ils ont une obligation d’aller passer une année à l’international. Souvent, ils nous choisissent. Mais ils ne sont que de passage. Les Africains, ce sont des étudiants réguliers. Ils veulent s’installer ici. C’est ça qui a complètement changé. »

Sanae Benaissa, 27 ans, a entrepris son doctorat à l’UQAC en 2021. « Je dois finir à l’automne 2024 », précise la Marocaine. Restera-t-elle à Chicoutimi ? « Ça dépend des opportunités. Je préférerais rester. Mais c’est sûr que je ne retourne pas vivre au Maroc. »

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Sanae Benaissa dans le laboratoire international des matériaux antigivre, où elle fait son doctorat.

Ghada Gmati, 28 ans, de Tunisie, étudie aussi au doctorat. Elle a fait un stage de trois mois à l’UQAC, en 2019, avant de revenir en 2021 pour entreprendre des études de 3e cycle. « J’aime la région, la verdure, le calme. Ici, c’est vraiment moi, déclare-t-elle. Je me sens à l’aise ici. Je compte demander la résidence permanente. L’important, pour moi, c’est de rester au Québec. »

17 000 demandes

Comment cette université, loin des grands centres, dans une région réputée pour ses hivers longs et froids, est-elle devenue un pôle d’attraction pour des jeunes de partout dans le monde ?

Plusieurs facteurs expliquent son succès. Le premier : l’UQAC multiplie les efforts. Vingt-deux missions ont lieu chaque année, principalement en France, pour démarcher des étudiants.

« Ceux qui arrivent ici, la première chose que je leur dis, c’est bravo ! », lance Guylaine Boivin, directrice du bureau de l’international à l’UQAC. « Parce que c’est un parcours du combattant. »

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Guylaine Boivin, directrice du bureau de l’international à l’UQAC

L’an dernier, l’université a reçu un nombre record de 17 000 demandes d’admission d’étudiants d’ailleurs. Elle en a accepté 10 000 ! Il en est finalement venu 2125, dont 400 nouveaux en janvier. Les autres ? Ils ont opté pour une autre université québécoise, ou ont échoué à obtenir le visa d’études délivré par le gouvernement fédéral.

« Les étudiants étrangers, c’est une richesse et une nécessité, explique Guylaine Boivin. Ça enrichit l’expérience universitaire, ça permet le maintien de certains programmes et le développement de nouveaux programmes, notamment aux cycles supérieurs. »

Vers l’immigration

Il faut savoir que la population du Saguenay–Lac-Saint-Jean est vieillissante. L’université ne peut donc pas compter seulement sur la jeunesse locale pour assurer son développement.

Les étudiants étrangers procurent aussi des revenus essentiels au fonctionnement de l’université. Les droits de scolarité varient selon le programme, mais pour les étudiants étrangers, ils s’élèvent généralement à 23 000 $ par année, soit environ huit fois plus que ce que paient les étudiants québécois. Les étudiants français et belges doivent verser autour de 10 000 $ par an, en vertu d’ententes avec le gouvernement du Québec.

Pour les étudiants, en plus d’une expérience de vie à l’étranger, étudier à Saguenay est souvent un moyen d’accéder à la résidence permanente. Québec offre une voie rapide vers l’immigration aux étudiants étrangers francophones diplômés ici.

C’est ce que compte faire l’Iranienne Samaneh Keshavarzi, 35 ans, étudiante au doctorat au laboratoire de revêtements glaciophobes et ingénierie des surfaces. « Je suis des cours de francisation le soir depuis trois ans », précise-t-elle.

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Les Iraniennes Samaneh Keshavarzi et Saba Goharshenas Moghadam font leur doctorat au laboratoire LaRGIS (Revêtements glaciophobes et ingénierie des surfaces) de l’UQAC.

Saba Goharshenas Moghadam, 30 ans, qui fait son doctorat dans le même laboratoire, veut aussi s’établir ici.

Tout comme Maria Loaiza, 24 ans. « Je vais demander la résidence permanente après mes études », assure la Colombienne, inscrite à la maîtrise. « J’irai peut-être à Montréal. »

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Maria Loaiza, de la Colombie, dans le laboratoire international des matériaux antigivre (LIMA) de l’UQAC, où elle fait sa maîtrise.

Békibenan Sékongo, lui, veut rester à Saguenay, où il a fait un doctorat sur les décharges électriques, avant d’entreprendre un postdoctorat en 2023. « J’aime l’hiver. Ici, on n’a vraiment pas chaud comme chez moi ! », rigole l’Ivoirien de 38 ans.

Youssouf Brahami, son collègue de 34 ans, est du même avis. « Je suis ici depuis mai 2023 avec ma femme et mon fils qui aura bientôt 3 ans », précise le postdoctorant algérien, dans le laboratoire de modélisation et diagnostic des équipements des lignes électriques. « On aimerait rester. Il y a des possibilités d’emploi dans la région. »

Des efforts « gigantesques »

Le nombre d’étudiants étrangers est en explosion au Canada. Pas seulement à Saguenay. En 2023, le fédéral a délivré 900 000 visas d’études. Trois fois plus qu’il y a 10 ans.

Mais cette hausse va se transformer en baisse dès cette année. Le ministre de l’Immigration, Marc Miller, a annoncé le 22 janvier l’imposition d’un quota de deux ans sur les visas d’études. Environ 360 000 permis seront accordés en 2024, soit 35 % de moins qu’en 2023.

Cela n’inquiète pas l’UQAC, qui entend poursuivre ses efforts de recrutement.

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Ghislain Samson, recteur de l’UQAC

« On n’a pas de cible, mais on veut augmenter le nombre d’étudiants internationaux et le nombre d’étudiants de manière globale, explique le recteur Ghislain Samson. On travaille avec des hôteliers de la région pour qu’ils puissent convertir certaines chambres et en faire du logement étudiant. C’est une solution à court et moyen terme. Et on travaille également avec des entrepreneurs pour développer des résidences étudiantes à moyen et long terme. »

Des efforts « gigantesques » sont déployés pour les attirer, les loger et les intégrer, mais aussi « les faire réussir », ajoute Étienne Hébert, son vice-recteur aux études. « Les actions qu’on pose sont très nombreuses, dit-il. On a tendance à sous-estimer les différences culturelles, même avec les Français. Il y a beaucoup d’éducation et d’intégration à faire. »

Il faut aussi accompagner les étudiants québécois et les professeurs dans « l’adaptation à cette nouvelle réalité ».

Donc, la croissance, oui, mais pas à tout prix.

Selon le recteur Ghislain Samson, « ça se passe bien, mais il y a encore des enjeux avec la population parce que le Saguenay–Lac-Saint-Jean n’a pas été habitué à ça dans le passé. De voir débarquer 2000 étudiants qui se retrouvent dans les restos, qui travaillent au centre commercial, c’est assez inusité ! »

En savoir plus
  • 13 %
    C’est le taux de croissance des étudiants étrangers inscrits au baccalauréat, entre 2022 et 2023, à l’UQAC.
    Bureau de coopération interuniversitaire