Les processus d’évaluation environnementale du Québec sont-ils aussi longs que l’affirme le ministre de l’Environnement ? Le projet de Northvolt aurait-il été retardé d’au moins 18 mois par un examen du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) ? Rien n’est moins sûr. Explications.

Une évaluation du BAPE dure quatre mois, au maximum, prévoit la Loi sur la qualité de l’environnement. Mais cela n’est qu’une étape de la procédure gouvernementale, qui n’aurait pu dépasser 13 mois dans le cas de Northvolt.

« C’est le maximal, il n’y a rien qui empêche le ministère de l’Environnement de prendre moins de temps, de mettre plus de gens sur l’analyse du dossier », souligne la professeure Paule Halley, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement de l’Université Laval.

Les projets ayant un niveau de risque environnemental élevé sont assujettis, lorsqu’ils dépassent certains seuils, au Règlement relatif à l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement de certains projets (REEIE), qui peut inclure le BAPE.

Il en existe 38 catégories, dont la fabrication d’équipements de stockage d’énergie, le transport d’énergie, les activités minières, l’élimination de déchets ou encore la fabrication d’explosifs.

Lorsqu’un tel projet est déposé, le ministre de l’Environnement dispose de 15 jours pour indiquer à l’initiateur ce que l’étude d’impact sur l’environnement doit contenir, et une consultation publique sur ce que l’étude devrait aborder est menée parallèlement, pendant 30 jours. L’initiateur du projet prend ensuite le temps qu’il veut pour réaliser cette étude.

C’est lorsque l’étude d’impact est déposée que le compte à rebours s’amorce : le REEIE impose au ministre un délai maximal de 13 ou 18 mois, selon la catégorie de projet, pour recommander au Conseil des ministres d’accepter ou de refuser le projet.

Dans le cas de Northvolt, le délai aurait été de 13 mois, au maximum.

Il s’agit d’un délai « gouvernemental », qui exclut toute période durant laquelle le Ministère attend des réponses de l’initiateur du projet.

Le Ministère doit d’abord vérifier la recevabilité de l’étude d’impact, pour s’assurer que les enjeux sont bien ciblés et que les informations requises s’y trouvent. Lorsque l’étude d’impact est jugée recevable, le Ministère entreprend l’analyse du projet, en consultant les ministères et organismes gouvernementaux concernés.

Au même moment, une période d’information publique de 30 jours est menée par l’initiateur du projet. C’est à ce moment qu’un examen du BAPE peut être demandé par le public, et une seule demande suffit.

Si une demande d’examen est formulée, le BAPE dispose de 20 jours pour recommander au ministre quelle forme de mandat devrait lui être confiée. La plus courante est l’audience publique ; mais il existe aussi la « consultation ciblée », quand les enjeux sont plus circonscrits ; ou encore la « médiation », entre l’initiateur et les parties intéressées – cette dernière est rarement utilisée.

Le BAPE dispose de quatre mois pour réaliser son examen et remettre son rapport, s’il s’agit d’une audience publique ; de trois mois, s’il s’agit d’une consultation ciblée ; ou de deux mois, s’il s’agit d’une médiation.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ LAVAL

Paule Halley, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement de l’Université Laval

Le BAPE n’aurait pas fait dérailler le projet [de Northvolt], ce n’est pas ça qui prend du temps dans la procédure.

Paule Halley, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement de l’Université Laval

Dans de rares cas, le BAPE peut demander une prolongation de délai, ce qui n’est arrivé que six fois sur les quelque 250 audiences publiques réalisées depuis 1990, dont quatre étaient des commissions d’enquête menées conjointement avec l’instance fédérale d’évaluation environnementale.

Après avoir reçu le rapport du BAPE, le ministre dispose ensuite de 15 jours pour le rendre public.

Et les autres projets ?

Les projets qui ne sont pas assujettis au REEIE, ou qui le sont, mais qui ne dépassent pas les seuils fixés dans le règlement, comme le projet de Northvolt, sont évalués dans le cadre du processus d’autorisation ministérielle, en vertu duquel le Ministère exige de l’initiateur des études environnementales ciblant certains aspects spécifiques, mais pas d’étude d’impact globale. Ce processus ne prévoit pas de délai maximum, mais le Ministère se donne l’objectif de rendre une décision dans un délai de 75 jours ouvrables. Or, un même projet peut nécessiter différentes autorisations ministérielles, comme dans le cas de Northvolt, qui fait avancer son projet par étapes. Il faut donc additionner ces délais pour les comparer à la durée d’une évaluation globale. En revanche, cette procédure permet à l’initiateur d’amorcer ses travaux sans avoir à attendre l’analyse complète de son projet.

Trop tard pour Northvolt ?

Il n’est pas trop tard pour que le projet de Northvolt soit examiné par le BAPE, car la Loi sur la qualité de l’environnement prévoit que le gouvernement peut exceptionnellement y assujettir un projet qui y aurait autrement échappé. Québec a jusqu’à vendredi, le 22 mars, pour agir, puisqu’il doit le faire dans les trois mois suivant le dépôt d’une demande d’autorisation, et Northvolt a déposé le 22 décembre sa demande de « construction d’une giga-usine de production de batteries ». La multinationale suédoise a déjà déposé des milliers de pages de documents auprès du Ministère, si bien qu’elle pourrait rapidement produire une étude d’impact environnemental et enclencher le processus, estime Patrick Bonin, responsable de la campagne climat-énergie de Greenpeace Canada, qui croit réaliste qu’un rapport du BAPE soit produit d’ici la fin de l’été. « Ils ont déjà reçu des millions en fonds publics, je ne peux pas croire qu’ils n’ont pas [les ressources] pour produire une telle étude, dit-il. Il n’y a aucune raison de bafouer la démocratie environnementale et les processus en place au Québec. »

Quelques exemples d’évaluation environnementale

Projet de réaménagement de la cellule no 6 au centre de traitement Stablex à Blainville

  • Réception de l’étude d’impact : 8 décembre 2020
  • Début de l’audience publique du BAPE : 9 mai 2023
  • Dépôt du rapport du BAPE : 8 septembre 2023
  • Décision du gouvernement : attendue
  • Délai total entre le dépôt de l’étude d’impact et le rapport du BAPE : 33 mois (dont 21 attribuables à l’initiateur, 5 au Ministère et 4 au BAPE)

Projet de ligne d’interconnexion Hertel-New York d’Hydro-Québec

  • Réception de l’étude d’impact : 12 mars 2022
  • Début de la consultation ciblée du BAPE : 13 décembre 2022
  • Dépôt du rapport du BAPE : 1er mars 2023
  • Décision du gouvernement : autorisation
  • Délai total entre le dépôt de l’étude d’impact et le rapport du BAPE : moins de 12 mois (dont 4 attribuables à l’initiateur, 2 au Ministère et 4 au BAPE)

Projet d’augmentation de la capacité d’entreposage des résidus miniers et des stériles à la mine de fer du lac Bloom

  • Réception de l’étude d’impact : 28 janvier 2014
  • Début de l’audience publique du BAPE : 20 octobre 2020
  • Dépôt du rapport du BAPE : 18 février 2021
  • Décision du gouvernement : autorisation*
  • Délai total entre le dépôt de l’étude d’impact et le rapport du BAPE : 7 ans et 1 mois (dont 5 ans et 7 mois attribuables à l’initiateur, 9 mois au Ministère et 4 mois au BAPE)

* Ce projet, autorisé par le gouvernement Legault malgré un avis très défavorable du BAPE, doit aussi obtenir une autorisation du gouvernement fédéral pour aller de l’avant.

Lisez l’article « Ottawa a le pouvoir de dire non à Québec »