Vous ne comprenez plus rien dans le dossier de l’usine de batteries Northvolt ? Vous ne vous y retrouvez pas dans les seuils et les raisons pour lesquelles il n’a pas été assujetti au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) ?

Vous n’êtes pas seul.

Le ministre de l’Environnement Benoit Charette et son collègue à l’Économie, Pierre Fitzgibbon, semblent dire une chose et son contraire à ce sujet.

On parle d’un seuil de 50 000 tonnes qui a été relevé à 60 000 tonnes. On évoque un deuxième seuil de 30 ou de 40 gigawattheures qui a été étudié sans jamais être adopté.

Bref, on nage dans les détails techniques.

Je vous propose ici de prendre une grande respiration, deux pas de recul et trois gorgées de tisane relaxante. Et de poser deux questions très simples.

La première : au-delà des chiffres et des seuils, est-il normal que le plus gros projet privé de l’histoire du Québec ne fasse pas l’objet d’une évaluation d’impact environnemental ?

La deuxième : on fait quoi, à partir de maintenant ?

Est-il normal qu’un projet de l’ampleur de Northvolt échappe au BAPE ?

À première vue, je ne voyais pas comment répondre « oui » à cette question sans remettre en question la pertinence même de ce bureau créé en 1978. Trois avocats spécialisés en droit de l’environnement ont confirmé mon impression.

On se serait attendu, dans les règles du jeu ordinaire, que cette activité soit soumise parce qu’elle répond aux critères objectifs des activités qui sont soumises à des études d’impact, soit avoir des impacts environnementaux importants.

Paule Halley, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement à l’Université Laval

« Le projet aurait dû être assujetti », tranche aussi Hugo Tremblay, professeur de la faculté de droit de l’Université de Montréal et expert en droit des ressources naturelles, de l’énergie et de l’environnement.

« Le projet devrait être soumis à l’examen du BAPE, ça nous semble une évidence », dit également Camille Cloutier, avocate au Centre québécois du droit de l’environnement – une organisation qui a tenté devant les tribunaux de freiner (en vain) la construction de l’usine.

On parle du BAPE, mais Paule Halley, de l’Université Laval, précise que c’est d’abord à une « procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement » que le projet aurait dû être soumis. Une fois cette évaluation faite, des audiences publiques menées par le BAPE auraient pu être demandées.

Le BAPE « garantit aux citoyens le droit à une audience publique préalablement aux grands travaux et aux grands aménagements susceptibles d’affecter l’environnement », comme l’a affirmé lors de sa création le ministre de l’Environnement de l’époque, Marcel Léger.

Difficile de prétendre que Northvolt ne s’inscrit pas dans les « grands travaux ».

« C’est le plus grand investissement manufacturier de toute l’histoire du Québec », se réjouissait François Legault lors de l’annonce du projet.

« C’est gros en tabarouette », ajoutait-il à la même occasion.

Il est évident qu’un projet d’une telle ampleur entraîne d’importants impacts environnementaux, sociaux et économiques – toutes des dimensions sur lesquelles se penche le BAPE, qui écoute les citoyens et émet des recommandations.

Au cours des dernières années, le BAPE s’est penché sur le rehaussement de la route 349 entre Saint-Paulin et Saint-Alexis-des-Monts. Sur l’augmentation du cheptel laitier de deux fermes de Saint-Albert. Sur le dragage de canaux de navigation à Saint-Paul-de-l’Île-aux-Noix.

Mais la création d’une usine qui créera 3000 emplois, occupera une superficie égale à 75 terrains de football, manipulera toute une gamme de métaux et de produits chimiques et bénéficiera d’une injection record qui pourrait atteindre 7 milliards de fonds publics échapperait à son radar ?

« Si on parlait d’une usine de confection de poupées, ce serait peut-être différent », lance en boutade la professeure Paule Halley.

N’en déplaise à M. Fitzgibbon, il n’y a aucune logique là-dedans – hormis celle, économique et politique, de ne pas rebuter des investisseurs étrangers.

« Les règles du BAPE n’existaient pas dans la filière batterie », a par ailleurs soutenu le ministre en entrevue à La Presse, plaidant que son gouvernement n’en a donc violé aucune.

C’est trop facile. Il est vrai qu’avant juillet dernier, aucune règle spécifique sur les batteries ne figurait dans le règlement qui dicte quels projets doivent être soumis à une évaluation d’impact environnemental. Mais c’est tout simplement parce qu’il s’agit d’une nouvelle filière technologique ! Un règlement n’est pas une œuvre de science-fiction et ne peut prédire l’avenir.

« Il va de soi que ce règlement est appelé à être modifié périodiquement avec l’arrivée de nouvelles technologies », observe l’avocate Camille Cloutier.

On aura donc beau brandir des seuils, la simple logique veut que Northvolt aurait dû être soumis à une évaluation d’impact et à des audiences publiques. Les éclairages amenés auraient pu permettre d’en faire un meilleur projet.

Une fois qu’on a dit ça, on fait quoi ?

Selon la professeure Paule Halley, le gouvernement Legault ne peut plus exiger une évaluation d’impact pour la phase de préparation du terrain du projet de Northvolt : les délais sont passés. La seule façon serait de l’imposer par loi spéciale, mais je ne parierais même pas une chaussette trouée là-dessus. L’image du Québec auprès des investisseurs étrangers en prendrait pour son rhume, et disons que je vois très mal François Legault et Pierre Fitzgibbon jouer dans ce film.

Il reste toutefois un peu plus d’une semaine au gouvernement pour exiger une telle procédure pour la construction de l’usine (la date butoir est le 22 mars).

Après ce délai, la balle sera dans le camp de Northvolt. L’entreprise pourrait demander elle-même de se soumettre à une procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement. Ou elle pourrait tout faire pour corriger les affligeantes erreurs de communication du gouvernement.

« Le promoteur pourrait faire preuve d’une grande ouverture, illustre la professeure Paule Halley. Il pourrait s’assurer que tous les documents qui touchent les espèces menacées, les cours d’eau, que toutes ces informations soient rendus publics. Il pourrait créer un comité de suivi, impliquer les citoyens. »

Dans les circonstances, ça me semble la meilleure avenue. Chers patrons de Northvolt, l’appel est lancé.

Dans une version antérieure de ce texte, nous citions une experte qui affirmait qu’il était trop tard pour exiger une procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement de l’entreprise Northvolt pour son usine de batteries en Montérégie. Il est exact que les délais sont expirés pour la phase de préparation du terrain (coupe d’arbres, interventions en milieux humides). Or, le gouvernement peut, jusqu'au 22 mars, exiger une telle procédure pour la construction de l’usine.

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