La Fonderie Horne paie une somme « dérisoire » pour les importantes quantités d’eau qu’elle puise, s’indignent différents observateurs, qui s’inquiètent par ailleurs que la Ville de Rouyn-Noranda dépende de l’entreprise pour son alimentation en eau.

21 000 $ pour 8,3 milliards de litres d’eau

La Fonderie Horne a versé à peine 21 000 $ à l’État québécois pour les 8,3 milliards de litres d’eau qu’elle a puisés pour ses opérations en 2021, un montant attribuable aux faibles redevances sur l’eau en vigueur au Québec et à une entente vieille de 75 ans que le gouvernement entend maintenant modifier.

L’entreprise de Rouyn-Noranda appartenant à la multinationale anglo-suisse de négoce Glencore paie un loyer de 1 315,30 $ par année au gouvernement québécois pour l’exploitation sur des terres publiques d’un barrage et d’une prise d’eau à l’exutoire du lac Dufault, à un peu plus de deux kilomètres au nord de la fonderie.

PHOTO DOMINIC LECLERC, COLLABORATION SPÉCIALE

La Fonderie Horne, dont on voit les cheminées au loin, puise l’eau du lac Dufault, d’une prise située à environ deux kilomètres de ses installations.

Glencore jouit ainsi du droit accordé par un « arrêté » du conseil des ministres du 10 janvier 1946 à la Noranda Mines Limited, puis consigné dans un bail emphytéotique signé le 20 novembre 1947, des documents que La Presse a obtenus par la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

La location de trois parcelles totalisant 21 acres (8,5 hectares), sur lesquelles se trouvait un barrage construit antérieurement par l’entreprise pour rehausser le niveau du lac Dufault ainsi qu’un chemin d’accès et une ligne électrique, avait alors été fixée à 500 $ par année ; le loyer a été haussé au montant actuel lors du renouvellement du bail, en 1971.

Reconduit d’année en année depuis, le bail « est toujours en vigueur à ce jour », a confirmé à La Presse le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) du Québec – le Ministère avait d’abord affirmé en novembre ne détenir « aucun » de ces documents, avant de les faire parvenir à La Presse le 28 décembre.

L’entente permettant à la Fonderie Horne de puiser l’eau du lac Dufault « est absurde et mérite d’être révisée », a déclaré à La Presse le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, qui dit avoir été informé « récemment ». Le ministre Charette a annoncé par le fait même son intention de revoir la réglementation sur les ouvrages de retenue d’eau afin que ce type de baux soit adapté « aux réalités économiques actuelles et futures ».

Redevance sur l’eau

En plus de ce loyer annuel, « la Fonderie Horne est sujette à la redevance exigible sur l’utilisation de l’eau », comme toute organisation prélevant plus de 75 m3 par jour, a précisé une porte-parole du Ministère, Sara Bouvelle.

À 0,0025 $ le mètre cube (m3), selon le tarif qui lui est applicable dans le Règlement sur la redevance exigible pour l’utilisation de l’eau, les 8 305 042 m3 (8,3 milliards de litres) puisés en 2021 par la fonderie pour ses besoins lui ont ainsi coûté 20 762,61 $.

Les quantités d’eau prélevées et les redevances payées au Québec sont protégées par le secret industriel, empêchant le public de savoir ce que les entreprises consomment et paient ; le cas de la Fonderie Horne diffère parce qu’elle approvisionne en eau la Ville de Rouyn-Noranda (voir autre texte), auprès de qui La Presse a obtenu les quantités prélevées en 2021.

En plus de l’eau puisée pour ses propres besoins, la Fonderie Horne a ainsi prélevé 4 069 125 m3 pour approvisionner Rouyn-Noranda, payant une redevance de 10 173 $ ; la Ville paie à l’entreprise l’eau brute qu’elle reçoit environ 125 000 $ par année, en vertu d’une entente sur le partage des coûts d’entretien des installations de l’entreprise.

Le gouvernement Legault s’est engagé en décembre à revoir à la hausse le montant de la redevance et à rendre les données publiques.

Système « inefficace »

La somme payée par la Fonderie Horne pour l’eau utilisée pour ses propres besoins montre que le système québécois de redevance est « inefficace », déplore Olivier Pitre, directeur général de la Société de l’eau souterraine de l’Abitibi-Témiscamingue.

L’objectif du règlement [sur la redevance] est de réduire la consommation et d’encourager une consommation industrielle plus efficace. Avec une redevance d’un quart de cenne du mètre cube […], ce n’est absolument pas un incitatif à le faire !

Olivier Pitre, directeur général de la Société de l’eau souterraine de l’Abitibi-Témiscamingue

Cette redevance n’est imposée que depuis 2010, au Québec, rappelle Émile Cloutier-Brassard, analyste minier pour l’organisation écologiste Eau Secours, qui s’étonne du montant « absolument dérisoire » du loyer exigé par Québec à la Fonderie Horne.

« Ces droits ancestraux leur donnaient le droit d’avoir de l’eau presque gratuitement jusqu’en 2010 », observe-t-il.

« C’est une aberration historique qui n’a jamais été modifiée », renchérit l’avocate Anne-Sophie Doré, du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE).

PHOTO DOMINIC LECLERC, COLLABORATION SPÉCIALE

La Fonderie Horne, au bord du lac Osisko, à Rouyn-Noranda

Les redevances sur l’eau doivent être augmentées, plaident les trois organisations.

Au taux actuel, « c’est comme si c’était une ressource qu’on fournissait à l’infini à l’industrie », déplore Émile Cloutier-Brassard, qui souligne que l’eau se raréfie même au Québec, comme en témoignent les pénuries auxquelles font face certaines municipalités du sud de la province.

Contactée par La Presse, Glencore a déclaré par la bouche de son porte-parole Alexis Segal qu’elle « respecte ses obligations légales et réglementaires et acquitte toutes les redevances qui lui sont exigées, y compris celles liées à son utilisation de l’eau ».

1927

Année du début des activités de la Fonderie Horne de Rouyn-Noranda, qui comportait aussi une mine jusqu’en 1976

Source : Fonderie Horne

43 092

Population de la ville de Rouyn-Noranda

Source : ministère des Affaires municipales et de l’Habitation du Québec

« Dépendance » de la Ville face à Glencore

La Ville de Rouyn-Noranda dépend de la Fonderie Horne pour son approvisionnement en eau, une situation unique au Québec qui la place dans une situation de « dépendance », estiment divers observateurs.

L’entreprise est tenue d’acheminer quotidiennement un maximum de 3,4 millions de gallons impériaux (15 457 m3) d’eau brute à l’usine de traitement de la Ville.

L’entente signée le 1er juin 1965 entre ce qui était à l’époque la Noranda Mines Limited et la Cité de Noranda stipulait à l’origine que les besoins de l’entreprise avaient préséance sur ceux de la municipalité et que si la quantité d’eau disponible s’avérait « insuffisante pour répondre aux besoins de la Compagnie, de la Cité [de Noranda et de celle] de Rouyn, la Cité devra alors prendre seulement la quantité d’eau que la Compagnie mettra à sa disposition ».

PHOTO DOMINIC LECLERC, COLLABORATION SPÉCIALE

La Ville de Rouyn-Noranda paie 125 000 $ par année à la Fonderie Horne pour son alimentation en eau.

L’entente a été modifiée en 1998 et prévoit maintenant que dans le cas où l’eau disponible serait insuffisante pour les besoins des deux parties, celles-ci « s’entendront pour déterminer » la quantité qui sera acheminée à la Ville.

Les tarifs ont aussi été modifiés : plutôt qu’un montant fixe, le prix de l’eau brute repose maintenant sur un calcul basé sur la quantité consommée par la Ville, la quantité totale puisée par l’entreprise et les coûts d’opération.

« En moyenne, l’eau brute coûte entre 120 000 $ et 125 000 $ par année » à la Ville, a indiqué à La Presse sa directrice des communications, Anne-Marie Nadeau.

Le contrat prévoit par ailleurs le prix auquel la Ville vend l’eau traitée à la Fonderie Horne, qui a ainsi versé 479 673,92 $ dans les coffres municipaux en 2021.

Une « belle solution », dit la mairesse

L’approvisionnement en eau de la Ville par la Fonderie Horne est « vraiment une belle solution pour Rouyn-Noranda », estime sa mairesse, Diane Dallaire.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Diane Dallaire, mairesse de Rouyn-Noranda

« Le principal utilisateur s’occupe de l’approvisionnement, pour nous il y a une logique à ça et la tarification, d’un point de vue financier, est à sa juste valeur », a-t-elle déclaré à La Presse au cours d’un entretien réalisé à l’automne.

À ce jour, cette entente-là convient aux deux parties.

Diane Dallaire, mairesse de Rouyn-Noranda

Les choses seraient faites différemment aujourd’hui, reconnaît la mairesse, mais elle ne « voit pas pourquoi » il faudrait changer l’entente actuelle.

« On n’ira pas construire [un autre réseau] en parallèle », dit-elle.

Cette entente est le seul cas d’une prise d’eau privée qui alimente une installation municipale de production d’eau potable alimentant plus de 500 personnes au Québec, a indiqué à La Presse le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP).

Rapport de force inégal

La situation « place la municipalité dans un genre de dépendance », observe Danielle Pilette, professeure en gestion municipale à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Une telle chose ne serait plus possible aujourd’hui au nom de la bonne gouvernance, estime-t-elle.

L’eau, c’est une ressource collective qui doit en principe servir d’abord à la collectivité.

Danielle Pilette, professeure en gestion municipale à l’Université du Québec à Montréal

Le rapport de force entre les deux parties est inégal et la Ville « n’est pas tellement en position de négocier son accès à l’eau comme elle le devrait », déplore Émile Cloutier-Brassard, analyste minier pour l’organisation écologiste Eau Secours.

La situation place également la Ville dans une position délicate relativement à la pollution générée par la Fonderie Horne.

« Est-ce que dans ce contexte-là, la Ville a toute la liberté pour s’exprimer quand elle est consultée sur les menaces à la santé publique ? », se demande Danielle Pilette.

Émile Cloutier-Brassard est d’avis que non : « Ça limite franchement la capacité de la Ville de prendre position sur les enjeux liés à la fonderie ».