Avec ses déclarations sibyllines, le ministre de l’Énergie Pierre Fitzgibbon n’est pas toujours facile à suivre.

L’été dernier, il a déclaré qu’il faudrait « la moitié moins » de véhicules pour que le Québec soit carboneutre en 2050… sachant fort bien que la Coalition avenir Québec (CAQ) n’a aucun objectif de réduction du parc automobile.

En mai dernier, il a lancé qu’il faudrait augmenter les taxes sur l’essence… avant d’expliquer que c’était une boutade. Vraiment ? Ce serait pourtant plein de bon sens, ne serait-ce que pour financer la réparation de nos routes en piteux état1.

Cette semaine, avec le dépôt de son projet de loi 69, on l’a encore senti assis entre deux chaises.

Prenez la tarification dynamique qui permettrait d’encourager les ménages à réduire leur consommation d’électricité lors des pointes hivernales.

« La modulation, c’est la logique même, on le voit partout dans le monde », a affirmé le ministre. Mais un instant ! On ne va rien forcer. En fait, on va « forcer le débat ». Au bout du compte, ce n’est pas clair, ce que le projet de loi changera, puisqu’Hydro-Québec a déjà le programme facultatif Hilo.

L’ambiguïté du ministre ressort aussi à propos de la hausse des tarifs résidentiels que la CAQ avait plafonnée à 3 % par année, un seuil déterminé de façon complètement arbitraire et déconnectée des coûts d’Hydro-Québec.

On salue donc la décision de redonner à la Régie de l’énergie le mandat de fixer les tarifs de manière indépendante. Mais attention ! Si la hausse dépasse 3 %, le gouvernement va compenser par-derrière. Du moins jusqu’aux prochaines élections. Ensuite, ça reste à voir…

De toute façon, cette mécanique tarabiscotée est un leurre, car ce sont les contribuables qui paieront l’excédent. Et les ménages n’auront pas le signal de prix qui les encouragerait à réduire leur consommation.

Mais avant d’imposer des décisions difficiles, Pierre Fitzgibbon estime qu’il faut être plus transparent avec les Québécois et prendre le temps de faire un débat public. Dans cette optique, le ministre présentera un plan de gestion intégrée des ressources énergétiques (PGIRE).

Voilà une excellente nouvelle.

Le gouvernement doit prendre le leadership pour arriver à la carboneutralité en 2050. Aujourd’hui, l’énergie sale représente la moitié de la consommation du Québec. Toute l’industrie devra être reconfigurée. Le virage ne se fera pas tout seul.

Ce plan sera donc très bienvenu. Mais il est crucial qu’il ne soit pas conçu en vase clos par le ministre, en collaboration avec Hydro-Québec et Énergir. Les experts de tous les horizons – patronat, syndicats, groupes environnementaux, chercheurs universitaires – devraient enrichir cet exercice crucial pour l’avenir du Québec.

Et surtout, la population entière devrait être mise dans le coup, le plus tôt possible. L’acceptabilité, ça se bâtit en amont. La grogne contre l’usine de batteries Northvolt l’a malheureusement prouvé.

Québec devrait donc organiser de véritables états généraux sur la transition énergétique, comme La Presse l’a déjà plaidé2. C’est en prenant le temps de développer un consensus social solide que le gouvernement pourra ensuite aller de l’avant avec toute la légitimité requise.

Mais le projet de loi 69, déposé une seule journée avant la fin de la session parlementaire, nous laisse craindre que la CAQ ne veuille pas trop braquer les projecteurs sur les questions difficiles que nous devrons nous poser.

En voici quelques-unes…

— Jusqu’à quel point sommes-nous prêts à réduire notre consommation ?

Il peut être très agréable de se prélasser dans un spa bien chaud au milieu de l’hiver, mais on est quand même loin de l’époque où nos parents nous lançaient dans leur grande sagesse : « Ferme la porte, on chauffe dehors ! »

Adopter une meilleure discipline de consommation réduirait le gaspillage et créerait de la richesse collective.

— Quelles sources d’énergie pourront répondre à nos besoins ?

Mais sortir des énergies polluantes exigera néanmoins une augmentation majeure de notre capacité de production d’énergie propre, ce qui aura des conséquences sur notre territoire.

Un spa dans la cour, c’est plus populaire qu’une éolienne. On l’a vu à Salaberry-de-Valleyfield où un projet d’éoliennes est tombé à l’eau parce que les citoyens se sentaient bousculés.

Préfère-t-on un barrage qui dénature une rivière ? Du nucléaire qui présente des risques de sécurité ? Comme société, il faudra déterminer quelle option nous convient le mieux.

— Et puis, qui paiera la note ?

À l’heure actuelle, les ménages paient seulement 86 % du coût réel de leur électricité, tandis que les commerces assurent 134 % de la facture.

Cette forme de « subvention » ne fera que s’amplifier si Québec s’entête à plafonner les tarifs résidentiels, car le coût de développement des nouvelles sources d’approvisionnement (facilement 10 à 12 cents le kilowattheure) est supérieur aux tarifs payés par les ménages (environ 8 cents le kilowattheure en moyenne).

Mais la bonne nouvelle qu’on occulte trop souvent, c’est qu’on paie déjà très cher l’énergie sale que l’on veut remplacer, autour de 25 milliards par année. Ces dépenses disparaîtront de notre budget avec la transition verte.

Le Québec est à l’heure des choix. On ne peut plus rester assis entre deux chaises.

1. Lisez « Le méga nid-de-poule qu’on refuse de boucher » 2. Lisez « Il faut des états généraux sur l’énergie »