Si ton seul outil est un marteau, tous les problèmes doivent être des clous.

Suivant ce dicton, le gouvernement est bien avisé de créer une véritable agence des transports, plutôt que de se fier à la Caisse de dépôt et placement du Québec dont le seul outil est le REM.

Avec Mobilité Infra Québec, dévoilé jeudi, le gouvernement aura un coffre mieux rempli pour gérer les projets de transport complexes, tant routier que collectif, qu’on a tellement de mal à faire aboutir au Québec.

À force de tergiverser, les délais s’étirent. La première phase du REM a été livrée avec trois ans de retard. Le projet de service rapide par bus (SRB) sur Pie-IX s’est fait attendre 15 ans. Et le prolongement de la ligne bleue du métro dont on parle depuis des décennies ne sera sûrement pas terminé avant 2030.

Le temps passe et les coûts explosent. La facture de six grands projets de transport au Québec a excédé de 45 % à 287 % les prévisions initiales, selon une analyse du professeur de HEC Montréal Jacques Roy1. C’est nettement plus que les dépassements observés à travers le monde (de 26 % à 40 %) pour des projets semblables.

Pour remettre le développement de nos transports sur la bonne voie, voici les 12 travaux qui attendent Mobilité Infra Québec (MIQ).

1. Un plan intégré en premier

Arrêtons de mettre la charrue devant les bœufs. Au lieu de lancer des solutions disparates et incohérentes, il faut commencer par avoir un plan d’aménagement pour chaque agglomération. Un plan qui inclut l’urbanisme, car ça ne sert à rien de dépenser des milliards en transport si les résidants ne veulent pas densifier autour des stations, comme on l’a vu avec le REM. Est-ce bien le rôle d’une agence provinciale de centraliser ce travail ? Chose certaine, MIQ ne peut agir en solo.

2. Sortir la politique du béton

Trop souvent, on lance des projets de transport en fonction des votes (ex. : le troisième lien, pour lequel il n’y avait même pas d’études). Pour éviter le gaspillage, il faut prioriser les projets qui présentent le meilleur rapport avantages-coûts. Prenez l’électrification des autobus urbains, dictée par Québec. Sur 10 ans, la facture sera de 13 milliards. Est-ce la meilleure façon de réduire nos GES ? Des experts estiment qu’on fait fausse route2.

3. Plus d’entretien, moins de rubans

Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, il faut aller à l’essentiel pour éviter de faire exploser les coûts de construction. L’essentiel, c’est l’entretien de nos infrastructures existantes. Imaginez : 37 % du réseau routier est en très mauvais état. Il faudrait 20 milliards pour le réparer. Concentrons-nous là-dessus, même si c’est politiquement moins payant que de lancer de nouveaux projets et de couper des rubans.

4. Voir plus loin que le bout de son nez…

Quand on attend à la dernière minute, on doit agir en toute urgence, ce qui coûte une fortune. C’est ainsi que le remplacement en accéléré du pont de l’Île d’Orléans coûtera 2,7 milliards. Incroyable ! C’est autant que l’argent dépensé par Québec en une année pour l’entretien de TOUT le réseau routier3.

5. Planifier longtemps, agir vite

Les auteurs du livre How Big Things Get Done ont analysé 16 000 projets dans 136 pays. Leur constat : on est tellement pressé d’avancer qu’on saute la planification. C’est ainsi que l’aéroport de Montréal avait aménagé une gare de train, dès 2008, avant même que soit connu le projet du REM. Résultat : il faut construire une autre gare, au coût de 600 millions.

6. Le syndrome du « tant qu’à y être »

Une saine planification évite de tomber dans le piège du « tant qu’à y être » qui fait grimper les coûts, comme on l’a vu avec le SRB sur Pie-IX. Conduites d’eau, égouts, chaussée, trottoirs… Les « extras » étaient peut-être justifiés, mais ils ont multiplié les intervenants et compliqué les travaux. Il vaut mieux garder le cap sur l’objectif.

7. Cultiver l’acceptabilité sociale en amont

Mobilité Infra aura plus de latitude, notamment pour faire des expropriations, un enjeu qui a retardé le développement de la ligne bleue. C’est bien beau d’avoir plus de pouvoirs, mais il reste essentiel de cultiver l’acceptabilité sociale en amont si on ne veut pas que les grands projets avortent, comme le REM de l’Est qu’on a mis à la poubelle face aux craintes (fort justifiées) qu’on dénature le centre-ville.

8. Collaborer avec les soumissionnaires

Au lieu de miser sur le soumissionnaire le plus bas et d’être ensuite coincé avec des dépassements de coûts qui créent des litiges, Québec adoptera une approche collaborative, comme cela se fait ailleurs. Bravo ! Cela évitera de se retrouver sans aucune soumission, comme pour le tramway de Québec, parce que les entreprises ne veulent pas s’aventurer dans un vaste projet urbain rempli d’inconnues. Le gouvernement devra assumer davantage de risques et prévoir une enveloppe pour les « extras »… mais sans le dire trop fort, car cela mène à des dépenses abusives, selon des études.

9. L’argent, toujours l’argent…

La facture des 17 projets qui pourraient être confiés à Mobilité Infra s’élève à 67 milliards. Qui paiera la note ? Mystère ! Il est prévu que le Fonds des réseaux de transport terrestre (FORT) soit mis à contribution. Or, le FORT est déficitaire, car on a refusé d’indexer la taxe sur l’essence qui l’alimente. C’est sans compter que le budget du Québec prévoit une diminution des investissements en infrastructures, à partir de 2024. Sans nouvelles sources de revenus, on fonce dans un cul-de-sac.

10. Dépenser sur le bras des municipalités ?

Étonnamment, Mobilité Infra pourra forcer les villes à payer une partie de la facture, selon le projet de loi. Déjà, les villes réclament de l’aide de Québec pour combler le déficit d’exploitation des sociétés de transport. Et on voudrait en plus qu’elles paient pour la construction de nouveaux projets lancés par Québec ? Tout cela en sachant que ces projets gonfleront les frais d’exploitation – et les déficits – des sociétés de transport pour des décennies ? Avant de s’avancer dans de nouveaux projets, il faut donner aux maires la visibilité qu’ils ont raison de réclamer.

11. Le bon monde

En créant Mobilité Infra, Québec se donne la possibilité d’offrir de meilleurs salaires pour recruter des experts chevronnés. C’est la clé. Pour commencer du bon pied, ce serait une excellente idée qu’il y ait des spécialistes du transport au C. A., ce qui n’est pas spécifiquement prévu dans le projet de loi.

12. Gare à la transition

En terminant, un mot sur la période de transition qui posera bien des défis. Québec devra s’assurer que les projets en cours ne s’enlisent pas en attendant que Mobilité Infra soit fonctionnel. Il devra aussi réduire les dédoublements, notamment avec l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) qui se fait tirer le tapis sous les pieds. Elle n’aura plus d’autorité que le nom.

1. Lisez l’analyse du professeur de HEC Montréal Jacques Roy 2. Lisez l’article sur l’électrification des autobus 3. Lisez le texte sur le remplacement du pont de l’île d’Orléans