Si l’on se fie à l’auteur Dany Laferrière, les Haïtiens ne seront jamais à court d’espoir. « Ils sont tellement habitués à chercher la vie dans des conditions difficiles qu’ils porteront l’espérance jusqu’en enfer », écrivait le membre de l’Académie française dans Tout bouge autour de moi, après le séisme de 2010 qui a fait plus de 200 000 victimes.

De l’espoir, il en faut beaucoup aujourd’hui, alors que le pays s’écroule politiquement et économiquement.

Cette semaine, un ballet d’hélicoptères s’affairait à évacuer les ressortissants canadiens, pendant que les 11,5 millions d’Haïtiens continuent de vivre dans la peur des gangs qui contrôlent environ 80 % de la capitale Port-au-Prince.

Après avoir libéré plus de 4000 bandits de prison, ces gangs fédérés par Jimmy Chérizier, alias Barbecue, ont attaqué les commissariats de la Police nationale d’Haïti, trop faible pour rétablir l’ordre.

La population se réveille la nuit au son des coups de feu et trouve des cadavres dans la rue au petit matin. L’aéroport est fermé depuis un mois. Les hôpitaux et les écoles sont en déroute. Même la Bibliothèque nationale a été pillée cette semaine.

Que peut-on faire pour aider Haïti ?

Le plus utile, pour la communauté internationale, serait d’admettre qu’elle a joué un rôle dans ce drame, répond Michaëlle Jean, ancienne gouverneure générale du Canada et ex-secrétaire générale de la Francophonie.

Des centaines de millions en « réparations » que la France a forcé son ancienne colonie à payer, après l’indépendance de 1804, jusqu’à l’occupation du pays par les Américains, il y a eu « une obstination à faire que le pays ne s’en sorte pas », explique-t-elle.

Force est de constater que la recette de l’aide étrangère des dernières décennies a été un cuisant échec. Mettre un couvercle sur la marmite en envoyant des troupes étrangères, pour ensuite organiser des élections en pensant que ce sera suffisant pour rétablir une démocratie durable, c’était comme mettre un pansement sur un cancer.

En plus d’apporter le choléra en Haïti, les troupes étrangères ont offert une clientèle en or aux grandes familles haïtiennes qui fournissent logement, véhicule, essence, nourriture… Or, cette élite qui contrôle l’économie est aussi liée aux « gangs criminels armés », au « blanchiment d’argent » et à d’autres « actes de corruption », selon le gouvernement canadien qui a distribué les sanctions.

Infantiliser Haïti ne mène nulle part. Mais prôner des « solutions haïtiennes » ne doit pas être une manière hypocrite d’abandonner le pays à son sort.

Avec le bon dosage, le Canada pourrait jouer un rôle clé, en s’appuyant sur sa forte diaspora qui crée déjà des ponts naturels pour soutenir son pays d’origine.

Ottawa peut exercer un leadership international, comme Brian Mulroney l’avait fait pour lutter contre l’apartheid en Afrique du Sud. Il peut se distinguer des États-Unis, comme Jean Chrétien l’avait fait en refusant de participer à l’invasion de l’Irak.

Par où commencer ?

En premier lieu, il faut continuer d’appuyer la réforme de la Police nationale d’Haïti, la seule force de l’ordre du pays, qui n’a pas d’armée. Le Canada a annoncé des millions. Mais au-delà des communiqués de presse, il faudra voir si les agents sur le terrain sont mieux équipés et formés.

Cela dit, la police haïtienne n’y arrivera pas toute seule, même les Haïtiens les plus nationalistes le reconnaissent. C’est pourquoi il faut espérer que la mission internationale autorisée par l’ONU en octobre apportera au plus vite son appui tactique – ce qui est très différent des missions antérieures. Plus on tarde, plus les gangs renforcent leur emprise.

Mais, dans le vide politique actuel, on peut quand même reconnaître les récentes avancées, si fragiles soient-elles. À la mi-mars, un comité de transition présidentiel a été mis en place, pour prendre le relais du premier ministre en exil Ariel Henry et tracer la voie d’une sortie de crise.

Constitué de sept membres et deux observateurs d’horizons variés, le comité a certainement plus de légitimité que M. Henry, dont l’arrivée au pouvoir, à la suite de l’assassinat du président Jovenel Moïse, n’avait rien de très démocratique.

Reste à voir si les membres du nouveau comité sauront s’élever au-dessus de leurs intérêts personnels et se montrer à la hauteur des attentes immenses de la population. Le défi est titanesque : les fondations du pays sont à reconstruire.

Faut-il revoir la Constitution ? Éliminer le Sénat, haut lieu de corruption ?

Comment réformer le système de justice affaibli ? Devrait-on mener une commission de vérité et réconciliation pour faire la paix avec le passé ? Le fait que Jean-Claude Duvalier ait pu rentrer d’exil pour finir ses jours en Haïti a envoyé un mauvais signal d’impunité. Si l’ancien dictateur n’est pas jugé pour ses crimes, qui le sera ?

Justice, santé, éducation… Dans bien des domaines, le Canada a une expertise qui pourrait être mise à la disposition d’Haïti. Cela se fait déjà de façon naturelle, grâce à la diaspora.

Un très bel exemple : après le séisme de 2010, le professeur de Polytechnique Montréal Samuel Pierre a fondé, près de Cap-Haïtien, une université qui permet aux jeunes d’accéder aux cycles supérieurs, de décrocher une maîtrise ou un doctorat, grâce à des professeurs de la diaspora qui enseignent bénévolement, à distance⁠1.

Aider Haïti à former et à garder des cerveaux. Agir en région, là où les bandits ne font pas encore la loi.

Multiplions ce genre d’initiatives et, comme le dit Samuel Pierre, « gardons espoir que le pays aura le destin qu’il mérite ».

Lisez « Reconstruction d’Haïti : La diaspora prend les choses en main »