Qu’un président américain puisse se retrouver derrière les barreaux pour avoir tenté de voler l’élection est déjà ahurissant. Mais le plus incroyable, c’est que Donald Trump pourrait être réélu… derrière les barreaux.

Au pays de la liberté, rien n’empêche un candidat de se présenter à la présidentielle à partir d’une cellule de prison.

D’ailleurs, cela s’est déjà produit en 1920. Incarcéré pour avoir critiqué le gouvernement durant la Première Guerre mondiale, le candidat socialiste Eugene V. Debs est même parvenu à récolter près d’un million de votes du fond de son cachot1, alors que ses partisans distribuaient des macarons de campagne au nom du « Prisonnier 9653 ».

Selon la Constitution américaine, un candidat à la présidence doit avoir au moins 35 ans, être né aux États-Unis et y vivre depuis au moins 14 ans. C’est tout.

Dans le berceau de la démocratie moderne, rien ne bloque le chemin vers la présidence à un candidat comme Donald Trump, même s’il est reconnu coupable d’avoir joué un rôle dans l’assaut du Capitole, symbole ultime de cette démocratie.

Cela dit, deux juristes américains, membres de la très conservatrice Federalist Society, viennent de dépoussiérer, dans un article étoffé de 126 pages, un amendement de la Constitution qui pourrait disqualifier Trump.

Instauré après la guerre de Sécession, le 14e amendement empêche l’élection d’anciens titulaires de charge publique qui ont pris part à une insurrection ou à une rébellion.

L’objectif était de bloquer la porte de Washington aux anciens élus des États du Sud à l’origine de la sécession qui a débouché sur un conflit sanglant, de 1861 à 1865. Mais les juristes estiment que l’amendement a une portée plus large et qu’il est applicable à Donald Trump aujourd’hui2.

Il y a loin de la coupe aux lèvres. Et la question ne manquera pas de semer la discorde, tant chez les juristes qu’au sein de la population déjà clivée.

Il n’en reste pas moins que Donald Trump devrait être mis hors jeu s’il est reconnu coupable. Quiconque bafoue les règles fondamentales de la démocratie devrait être écarté des élections.

Au Brésil, l’ancien président Jair Bolsonaro vient d’être disqualifié jusqu’en 2030 pour des mensonges électoraux moins considérables que ceux de Trump.

Chez nous, un Donald Trump ne pourrait pas se présenter non plus, s’il était reconnu coupable.

Au Canada, une personne incarcérée ne peut pas être candidate. Au Québec non plus, si la peine est de plus de deux ans.

En outre, une personne qui a enfreint la loi électorale est disqualifiée pour cinq ou sept ans de la Chambre des communes, tandis qu’au Québec, elle est bannie pour toujours de l’Assemblée nationale.

Mais aux États-Unis, on laisse les électeurs trancher.

Face à des accusations aussi lourdes, on aurait espéré que les républicains eux-mêmes montrent la sortie à Donald Trump. Mais plus il dit d’énormités, plus il devient populaire. Plus les inculpations s’accumulent, plus les dons et les intentions de vote s’élèvent.

Pourtant, cela ne veut pas dire que les poursuites sont malavisées ou contre-productives.

Justice doit être rendue, malgré les dommages collatéraux qui en découlent. On ne peut pas laisser impunis les crimes les plus graves qu’on puisse imaginer de la part d’un président qui s’en est pris aux institutions démocratiques de son pays. Autrement, on enverrait un dangereux signal aux futurs présidents, qui se croiraient tout permis.

Et puis, les accusations de groupe risquent de créer de la dissension parmi les coaccusés de Trump. Il n’y a qu’à voir comment Michael Cohen, l’ancien avocat du président, a retourné sa veste.

Avant de purger 13 mois de prison, il se disait prêt à « prendre une balle » pour son patron. Aujourd’hui, il est un de ses plus ardents détracteurs, un allié clé des procureurs qui mènent la charge contre Trump.

La preuve qui sera crûment étalée devant les tribunaux pourrait donc faire craquer l’image de « persécuté » que Donald Trump cultive si bien. Et les Américains pourraient se lasser de cette triste téléréalité où l’ancien président sur la défensive ne s’intéresse qu’à ses misères.

Une campagne électorale, c’est l’occasion de braquer les projecteurs sur les enjeux qui touchent les citoyens. Pas sur les problèmes personnels d’un candidat. Et les États-Unis doivent être dirigés du bureau Ovale. Pas du fond d’une cellule.

1. Lisez à propos du candidat Eugene V. Debs (en anglais) 2. Consultez l’étude « The Sweep and Force of Section Three » (en anglais)