Lino Zambito défie ceux qui le traitent de «menteur» dans les médias d'aller «mentir sous serment» devant la juge France Charbonneau. Notamment, dit-il en entrevue avec La Presse, parce qu'il a pu juger de la qualité des «informations» colligées par les enquêteurs de la Commission.



Assis au fond de sa pizzeria, Lino Zambito, l'ex-propriétaire d'Infrabec, se «sent bien». Et pas seulement parce qu'il a retrouvé sa routine quotidienne. «C'est un moment de ma vie que je devais traverser», raconte-t-il à La Presse, son témoignage achevé.

«Bandit et menteur» pour les uns, héros à la Jean Brault qui a déballé son sac à la commission Gomery pour les autres, il sourit lorsqu'on lui dit qu'un hebdomadaire français écrit qu'il a la «gueule de l'emploi» avec «ses faux airs de Robert de Niro» sa «carrure de taureau, ses cheveux soigneusement coiffés et son costume impeccable».

À l'écouter, on sent qu'il est ébahi de la qualité du travail effectué en coulisse par l'équipe «d'enquêteurs chevronnés». Ceux-ci auraient en main des informations parfois très confidentielles et connues que d'un cercle restreint. Certaines embarrassantes même! Alors, Lino Zambito se permet ce conseil aux témoins, incluant Gilles Surprenant:

«J'ai allégué des faits, dit-il. Certains sont montés aux barricades en niant, niant, niant... Ces gens-là ont été ou vont certainement être assignés à comparaître. À leur place je ne nierais pas sous serment. C'est le meilleur conseil que je peux leur donner selon mon expérience. Qu'ils réfléchissent bien!»

Un gros stress

Son témoignage a commencé le jeudi 27 septembre à 16 h. Le mardi précédent, Lino Zambito ne savait pas, dit-il, qu'il allait être le premier témoin-choc, celui qui allait sortir la population et les médias de leur torpeur après des journées de cours de «mafia 101». «J'avais rencontré les enquêteurs à plusieurs reprises au cours de l'été. Ensuite, j'ai reçu un subpoena qui s'étendait jusqu'en février 2013. Puis, plus rien jusqu'au mardi 25 septembre. Ils ont débarqué vers 14 h au restaurant en me disant de régler mes affaires, puis de préparer une valise pour partir à Montréal». Lino Zambito entrait dans l'arène. «La première demi-heure, j'ai ressenti un gros stress», se souvient-il. Il y a beaucoup de monde qui peut vous interroger, sans oublier les 25 avocats qui prennent des notes dans votre dos! La pression est là. Faut peser ses mots. J'ai témoigné sous serment, en n'oubliant pas qu'on est passible de 15 ans de prison si on se parjure. J'ai donné les faits. Je ne voulais pas avoir l'air du gars qui a des trous de mémoire. Je n'étais pas là pour salir. Il ne s'agit pas non plus d'une revanche.» L'ex-entrepreneur ne boude pas son plaisir devant tout le brouhaha causé par ses déclarations. «Soyez patients, la Commission sait où elle s'en va. Laissons là oeuvrer. Vous verrez qu'avec le temps mon témoignage sera corroboré. Le meilleur est à venir». Il observe l'ingénieur Gilles Surprenant raconter avoir perçu contre son gré des pots-de-vin. Lino Zambito avait affirmé qu'au contraire, Monsieur TPS était très proactif lorsqu'il s'agissait de réclamer son 1%.

Abdallah: des «fast track»?

Lino Zambito revient aussi sur Robert Abdallah, qui serait surnommé «Le Système» dans le milieu, révèle-t-il. L'ex-DG de Montréal venait d'exhiber devant les journalistes une pile de documents pour plaider son innocence: «Monsieur Abdallah a le droit de faire des conférences de presse, réplique Lino Zambito. Mais les documents officiels, c'est un show de boucane. Il n'y a aucun document officiel qui dit qu'il y a de la collusion. Il n'y a aucun document officiel qui dit qu'il y a des cotes qui se payaient. Je le mets au défi d'aller nier devant la Commission». Il suggère aussi de «vérifier quels contrats de quels entrepreneurs avaient plus de facilité d'être amenés au Comité exécutif et ceux qui étaient renvoyés tout le temps et cassés».

A-t-il conclu une entente en échange de son témoignage accablant? L'ex-entrepreneur est formel: «J'avais un subpoena. Il n'y a aucun deal, ni avec la SQ, ni avec les procureurs de la Couronne, ni avec la mafia et je ne suis pas non plus le représentant de la mafia comme on l'a raconté.».

Sur le même registre, certains ont perçu une prudence de sa part lorsque les questions portaient sur ce qui se tramait dans l'arrière-salle du Consenza, sur le rôle de la mafia dans le «système» incluant celui du défunt patriarche Nicolo Rizzuto. Avec en toile de fond le retour au pays de Vito, le fils...

Des noms intimidants

Lino Zambito concède que le sujet peut paraître «délicat»: «Moi j'avais un intermédiaire (Nicolo Molioto) [...] Mais je n'ai pas pesé mes mots, répond-il. Bien sûr ce sont des noms qui peuvent paraître intimidants. [...] Ce sont des gens que je connais. Mon père est né dans le même village (Cattolica Eraclea), ils sont venus sur le même bateau. Ils ne m'ont jamais fait de mal ou menacé. Il n'était pas question de faire un show avec des mensonges que certains auraient bien aimé m'entendre dire. Voilà pourquoi le lendemain on a raconté que j'avais un deal avec eux.»

La chute de Lino Zambito est survenue en février 2011, arrêté lors de la première opération de Marteau. L'enquête porte sur des malversations à Boisbriand: «Boisbriand est un dossier politique, une commande pour prouver que Marteau, qui venait d'être créée, fonctionnait et parce le gouvernement était sur la sellette. Boisbriand, c'est de la petite bière» répète-t-il. Sa compagnie Infrabec ne s'en relèvera jamais, acculée à la faillite. «Je ne suis pas fier de ce que j'ai fait. Mais je vais assumer.[...] Et j'ai hâte d'être jugé, de me défendre, que la vraie vérité sorte, puis de passer à autre chose. Pour de bon».