Les bonnes nouvelles en matière d’accueil des réfugiés se font plutôt rares ces jours-ci. En voici une qui mérite d’être saluée : après la médiatisation de l’histoire kafkaïenne de parrainage d’Emmanuel Ndikuriyo, un réfugié forcé par Québec d’abandonner ses frères et sœurs orphelins pour voir son espoir d’une vie meilleure se réaliser, le ministère québécois de l’Immigration vient de changer sa loi relative au parrainage collectif pour permettre à tout réfugié pris dans la même situation inhumaine d’en sortir.

« Je suis dépassé par la joie après avoir entendu cette nouvelle. Toute la famille est contente », m’a dit par WhatsApp Emmanuel, réfugié burundais qui vit avec ses six frères et sœurs dans le camp de réfugiés de Nakivale, en Ouganda.

Cette lueur d’espoir à laquelle Emmanuel peut maintenant s’accrocher a été rendue possible grâce à la détermination de Sylvain Thibault, représentant bénévole du groupe de parrains et marraines de la famille. C’est lui qui a porté cette affaire à mon attention l’automne dernier. Depuis plusieurs mois, cet homme, qui est tombé dans le parrainage quand il était petit et a fait de la défense des droits des réfugiés la cause de sa vie, remue ciel et terre pour dénoncer la situation intenable dans laquelle le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) plaçait ces réfugiés⁠1.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Sylvain Thibault

Il a alerté ses anciens collègues de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI). Il a alerté les médias. Mon confrère de Radio-Canada Romain Schué en a fait un reportage. J’en ai fait une chronique. Dans la foulée, plusieurs voix se sont élevées pour tenter de faire pression sur le cabinet de la ministre Christine Fréchette.

Cinq mois plus tard, Sylvain peut dire mission accomplie. « Je dors beaucoup mieux et j’ai l’impression qu’une injustice a été réparée. »

L’histoire d’Emmanuel est celle assez classique d’un réfugié en quête d’espoir pour lui et sa famille. Avec ses frères et sœurs, il a été forcé de fuir la répression au Burundi après l’assassinat de leurs deux parents, le 30 juin 2015. Seul adulte de sa fratrie au moment de cet assassinat, Emmanuel, qui, comme ses frères et sœurs, a un statut de réfugié reconnu par les Nations unies, est devenu en quelque sorte leur père. C’est lui qui, depuis près de dix ans, veille sur eux dans un camp de réfugiés où les conditions de vie sont pénibles.

Dans sa malchance, Emmanuel a tout de même eu de la chance : en 2021, un groupe de citoyens québécois s’est porté volontaire pour le parrainer avec sa famille et lui permettre d’aspirer à une vie meilleure. Mais la volonté d’accueil de ses parrains et marraines s’est butée l’automne dernier à la froideur des petites cases administratives du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration.

Québec plaçait Emmanuel devant un choix cornélien : s’il voulait que sa demande de parrainage aille de l’avant, il lui fallait se résoudre à laisser derrière lui, dans le camp de réfugiés, ses frères et sœurs.

Car, en vertu des petites cases de Québec, ils ne pouvaient être considérés comme des membres de sa famille ou des enfants à charge pouvant être inclus dans la même demande de parrainage.

D’où cette question posée l’automne dernier : si les frères et sœurs dont ce réfugié prend soin depuis qu’ils sont orphelins ne sont pas considérés comme sa famille, qu’est-ce donc qu’une famille aux yeux du MIFI ?

Considérant que, selon Ottawa, dont relève ultimement toute demande de parrainage, ces mêmes frères et sœurs orphelins, qui dépendent de leur grand frère, sont sans conteste des membres de sa famille et répondent à la définition de « personnes à charge de fait » d’Immigration Canada, pourquoi Québec ne peut-il pas aussi les considérer comme tels ?

Pourquoi ? Parce que c’est comme ça, m’avait répondu, en décembre, la direction des communications du MIFI dans un courriel laconique. « Le Ministère est bien au fait du dossier et les décisions reflètent la loi et les règlements en vigueur. »

Selon les critères alors en vigueur, seuls les enfants biologiques ou adoptifs d’Emmanuel auraient pu rentrer ici dans la petite case « famille » de son dossier de parrainage.

La loi a finalement été modifiée il y a quelques jours semaine, corrigeant cette faille administrative et arrimant les critères de Québec et d’Ottawa⁠2. Le MIFI reconnaît désormais que les frères et sœurs d’Emmanuel, même s’ils ne sont pas à proprement parler des « enfants à charge », sont des « personnes à charge de fait » pour des raisons humanitaires, car ils entretiennent un lien de dépendance émotive et économique avec lui. L’humanité aura pris le pas sur l’absurdité.

« On salue ce changement et on encourage le MIFI à prioriser les cas humanitaires, surtout quand il y a des enfants », me dit Stephan Reichhold, directeur général de la TCRI.

Ce qu’il faut particulièrement saluer ici, c’est que la ministre Christine Fréchette ne s’est pas contentée d’utiliser son pouvoir discrétionnaire pour régler ce seul dossier médiatisé, comme cela se fait souvent lorsque des histoires kafkaïennes d’immigration sont mises en lumière.

Lorsqu’une telle chose arrive, bien que ça demeure une bonne nouvelle pour ceux dont la vie s’en trouvera changée, on n’a, en réalité, pas réglé grand-chose. La faille dénoncée demeure la même pour tous les autres qui suivront et dont l’histoire ne sera jamais racontée. En modifiant la loi pour tous les réfugiés parrainés dont l’avenir se retrouvait aussi entre deux cases du MIFI, on s’assure que cela n’arrive plus.

Bien que ce soit une bonne nouvelle, cette modification ne règle pas tout, évidemment, pour la majorité des réfugiés en attente de parrainage. Alors que 1626 demandes ont été déposées en 2023 au MIFI par des groupes de parrains québécois (de 2 à 5 personnes) prêts à participer à ce programme exemplaire qui n’est plus que l’ombre de lui-même, Québec a limité à 425 le nombre de dossiers acceptés par tirage au sort⁠3. En d’autres termes, les cases du MIFI demeurent beaucoup trop étroites pour la générosité et la conscience sociale de citoyens québécois qui souhaitent faire ce qu’ils peuvent dans un monde en crise où le nombre de réfugiés augmente.

Quant aux heureux gagnants de cette loterie humanitaire, si la tendance se maintient, il leur faudra encore en moyenne patienter plus de 33 mois pour qu’Ottawa traite leur dossier. En dépit de cette nouvelle lueur au bout du long tunnel bureaucratique Québec-Ottawa, ils sont, hélas, loin d’en être sortis.

1. Lisez « De Ru à la réalité » 2. Consultez les modifications légales 3. Lisez « Le parrainage en héritage »