Il y a beaucoup de vols d’autos, mais il n’y a pas de « crise ». L’augmentation récente et spectaculaire du nombre de vols cache une bonne nouvelle : on avait atteint un creux historique.

C’est normal : en matière de criminalité, les bonnes nouvelles sont invisibles. Exemple : le nombre d’incidents impliquant des armes à feu a diminué de 26 % en un an seulement sur le territoire de la ville de Montréal, essentiellement grâce au travail policier. C’est spectaculaire. Mais ça s’efface vite devant une nouvelle fusillade.

Examinons un peu la gueule du « fléau » des vols d’autos. Quelques chiffres.

En 2022, selon Statistique Canada, il y a eu 105 673  vols de véhicules sur le territoire canadien. C’est une importante hausse par rapport à 2021, où 83 416 véhicules avaient été volés. Une hausse de 21 % – près de 50 % au Québec. Les vols ont encore augmenté un peu en 2023.

Mais on est encore loin de l’année 1996, où 178 580 véhicules ont été volés au Canada. Il y avait pourtant beaucoup moins de voitures enregistrées à l’époque : seulement 17,2 millions, contre 26,3 millions en 2022.

Cela veut dire qu’en 1996, 1 % des véhicules enregistrés étaient volés. En 2022, annus horribilis nous dit-on, ce n’était que 0,4 %.

Bref, vous avez deux fois et demie moins de probabilités de vous faire voler votre char maintenant qu’il y a 28 ans – surtout si vous avez gardé le même, ce qui est très rusé pour éloigner les voleurs.

Il est assez divertissant de relire les manchettes des journaux sur le vol de voitures depuis 30 ans.

  • 12 mars 1991 : « Le nombre des vols d’automobiles n’en finit plus d’augmenter au Québec ».
  • 28 février 1992 : « Aux prises avec une augmentation sans précédent de vols d’automobiles, la Sûreté du Québec a annoncé, hier, une série de mesures pour contrer ce fléau ».
  • 23 mars 1992 : « Dans le cadre de l’épidémie de vols de voitures que connaît présentement le Québec, ces voitures allemandes sont parmi les plus appréciées des malfaiteurs ».
  • 29 avril 1993 : Un colloque régional pour contrer les vols d’auto est organisé.
  • 2 juillet 1993 : « Ce genre de crime demeure un véritable fléau qui a pris des proportions dramatiques ».
  • 26 juin 1998 : « On le sait, le vol de véhicules est un véritable fléau à Montréal ».

Il y a l’inévitable « une voiture est volée toutes les x minutes », selon l’année ou le territoire choisi.

Le 9 septembre 1998, une avocate d’assurance a écrit dans La Presse que « les vols de véhicules sont le fléau de l’heure ».

Le fléau de l’heure, ce n’est pas rien !

Ah tiens, ai-je mentionné « assurance » ? C’est en effet l’industrie de l’assurance qui nous tient au courant de ce « fléau », de ces « records » et de ces augmentations « sans précédent ».

Cela a du bon : c’est un crime qui touche la plupart des gens, et contre lequel il est possible de prendre certaines mesures de prévention. Ça secoue aussi les puces des corps de police, qui ont toujours plus urgent à faire. C’est ainsi qu’on voit soudainement des offensives de tous les corps de police, qui ne manqueront pas d’avoir un impact à moyen terme. Peut-être même qu’un jour, rêvons un peu, les manufacturiers de voitures trouveront-ils des systèmes antivols à moitié efficaces…

Mais déjà, malgré l’atmosphère de panique entourant le sujet, et malgré les récents rebonds inquiétants, la situation est nettement meilleure qu’il y a 15, 20 et 30 ans. Même avec l’augmentation récente, le nombre de vols est revenu au niveau de 2008 en chiffres absolus – en proportion du nombre de véhicules en circulation, c’est donc une diminution nette.

Comprenez-moi bien : je n’ai rien contre les colloques et l’amélioration continue des techniques policières. Il est sûrement temps de donner un grand coup avant que les bagnoles volées soient le principal bien en partance du port de Montréal.

OK.

Mais le problème avec la théorie du fléau, c’est qu’elle inspire des solutions faciles, spectaculaires, et souvent bidon.

Tant les conservateurs que les libéraux ont compris que le sujet inquiète et touche les gens concrètement. Parmi la panoplie de mesures proposées : augmenter les peines de prison des voleurs de voitures.

Il se peut que dans certains cas, les peines ne soient pas assez sévères. Mais ce n’est pas simplement en augmentant la durée des peines des petits voleurs – souvent des adolescents utilisés par les groupes criminels – qu’on fera diminuer le nombre de vols. Les études criminologiques le disent et le répètent : ce qui empêche le mieux les crimes, c’est la crainte d’être arrêté, la meilleure surveillance, les resserrements des contrôles.

Ce n’est pas parce que les peines ont soudainement augmenté pour les auteurs de fusillade qu’il y en a eu moins l’an dernier. C’est parce que la police de Montréal, avec la Sûreté du Québec et d’autres, s’y est attelée avec énergie et compétence. On y a consacré les budgets et les ressources. On en a fait une priorité de sécurité publique.

Tout est en place pour le même genre d’opérations contre les vols de voitures. Nul besoin de récrire le Code criminel pour ça.