Une quarantaine d’articles de journaux et de magazines en français et en anglais, une pétition, une motion de blâme adoptée par une majorité de députés fédéraux, des comparutions de ministres devant le comité des anciens combattants. Et j’en passe.

On peut dire que ça a brassé pas mal en six mois depuis que j’ai écrit en août dernier dans une chronique1 que le gouvernement Trudeau a écarté sans cérémonie l’équipe québécoise qui a remporté le concours de design pour la conception d’un monument commémorant la mission canadienne en Afghanistan.

L’équipe Daoust a été le choix unanime du jury sélectionné par le même gouvernement, qui, un an et demi après avoir reçu la décision, a mis aux poubelles ses propres règles et accordé le contrat de 3 millions à l’équipe Stimson, du nom de l’artiste autochtone de l’Alberta, vétéran des forces armées, au cœur de la proposition.

IMAGE FOURNIE PAR LE GOUVERNEMENT DU CANADA

Vue aérienne du concept de l’équipe Stimson, choisi par le gouvernement, bien que n’ayant pas remporté le concours

Le ministre des Anciens Combattants de l’époque, Lawrence MacAulay, a avisé l’équipe vainqueure boudée – composée de l’architecte Renée Daoust, de l’artiste Luca Fortin et de l’ancienne juge de la Cour suprême Louise Arbour – à peine quelques minutes avant la conférence de presse annonçant le couronnement de l’équipe rivale. Le jury a connu exactement le même sort.

La nouvelle a soulevé l’ire du milieu de l’architecture et des arts publics, qui note que le gouvernement fédéral torpille ainsi la crédibilité des concours d’art public à venir. Des partis de l’opposition et des personnalités publiques sont montés au créneau pour demander l’annulation de la décision.

Et puis ? Et puis rien. Le gouvernement Trudeau ne bouge pas. Il reste sur sa position. Depuis six mois.

Et quelle est cette position ? « On a pris la décision d’écouter les vétérans », a dit la ministre des Anciens Combattants, Ginette Petitpas Taylor, lorsqu’elle a témoigné devant le comité parlementaire des anciens combattants, en faisant référence à un sondage réalisé en mai et juin 2021 auprès de plus de 10 000 Canadiens. Ce sondage – auquel ont participé plus de 3000 vétérans de la mission en Afghanistan – avantageait l’équipe Stimson.

La ministre a répété la même chose sur toutes les tribunes et dans toutes ses communications avec les journalistes. Ad nauseam.

Le problème, c’est que cette explication, la seule et unique donnée par le gouvernement, ne tient pas la route depuis le début.

Le sondage faisait partie du processus de sélection de l’équipe gagnante et ne se voulait pas décisif. Il servait à éclairer le jury dans ses choix et il a été pris en considération comme dans tous les autres concours qui ont mené à l’érection de monuments nationaux au cours des dernières années.

Selon le sondeur Jean-Marc Léger, le sondage, qui n’a pas été fait dans les règles de l’art, n’a pas de valeur scientifique. En regardant les résultats, on peut notamment voir que le Québec est clairement sous-représenté dans les opinions émises2.

Par ailleurs, si le gouvernement tenait tant à écouter les anciens combattants et leurs proches, pourquoi a-t-il abandonné une consultation subséquente auprès des familles des Canadiens qui ont péri en Afghanistan ?

Le gouvernement semble aussi fermer les yeux sur le fait que les forces armées et les anciens combattants avaient beaucoup de poids au sein du jury du concours de design. Un militaire en service, un historien militaire qui a évolué au sein des forces armées ainsi qu’une représentante des familles des disparus en faisaient partie. Un ancien ambassadeur du Canada en Afghanistan était aussi membre du jury. Les trois autres jurés étaient issus du monde des arts et de l’architecture. Après avoir délibéré, tout ce beau monde est arrivé à une décision commune.

Faut-il conclure que les vétérans qui ont répondu au sondage dans leur salon, en ayant entre les mains peu de détails sur le concours, valent mieux que ceux qui ont participé à tout le processus décisionnel ?

C’est terriblement bancal.

Dans cette histoire, il n’est pas seulement question d’un monument à 3 millions. Il est question de justice, d’équité et de transparence des processus d’approvisionnement.

Il est aussi question du manque de reddition de comptes de ministres qui se cachent derrière les anciens combattants pour faire oublier qu’ils ont eux-mêmes enfreint leurs propres règles.

Que risquent-ils ? En cas de poursuite, ils sont défendus par les avocats du gouvernement, payés par les contribuables. Bien sûr, ils pourraient être punis aux urnes, mais encore faudrait-il que les électeurs se souviennent de cet enjeu, parmi tant d’autres, lors des prochaines élections.

Dans tout ça, le plus triste, c’est que le monument qui devait commémorer les efforts et les sacrifices des 40 000 Canadiens qui ont servi en Afghanistan est en train de devenir un monument d’entêtement gouvernemental et de piètre gouvernance.

1. Lisez la chronique originale 2. Consultez les résultats du sondage