(Ottawa) La santé est le prochain domaine où les Premières Nations pourraient obtenir leur pleine autonomie. La ministre Patty Hajdu espère pouvoir déposer un projet de loi en ce sens d’ici « six à huit mois ». La Cour suprême a déclaré constitutionnelle vendredi une loi fédérale qui reconnaît leurs pleins pouvoirs en matière de protection de la jeunesse.

Ce qu’il faut savoir

La Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis (projet de loi C-92), entrée en vigueur en 2020, reconnaît le droit des Autochtones, des Inuits et des Métis à déterminer leurs pratiques en matière de protection de l’enfance.

Elle donne prépondérance aux lois de ces communautés pour la protection de la jeunesse sur les législations fédérale et provinciale.

Le gouvernement québécois, qui en a fait une bataille constitutionnelle, a été débouté vendredi par la Cour suprême.

La Nation atikamekw d’Opitciwan, en Mauricie, a été la première à s’en prévaloir au Québec il y a deux ans. Son conseil a adopté sa propre loi pour s’affranchir de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), ce qui constituait un pas vers son autodétermination. Il s’agit d’un modèle qui a fait ses preuves, comme l’a rapporté La Presse en janvier.

« C’est un moment que je n’oublierai jamais dans mon mandat de chef », a déclaré le chef d’Opitciwan, Jean-Claude Mequish, visiblement ému.

Une forte délégation de sa communauté, dont de nombreux enfants, a fait le long voyage de la Haute-Mauricie jusqu’à Ottawa pour assister à la conférence de presse de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) après la publication du jugement.

La Nation atikamekw d’Opitciwan pourra donc continuer de gérer son propre système de protection de la jeunesse. Dans un jugement unanime, la Cour suprême rejette l’argumentaire du gouvernement du Québec qui considère que la loi C-92 empiète sur ses compétences.

C’est une décision qui va prendre en considération notre culture, contrairement à ce qui s’est passé dans les années passées. [Avec la] protection de la jeunesse, beaucoup de nos membres qui ont été placés en majorité. Ils ont perdu leur langue. Ils ont perdu leur culture.

Jean-Claude Mequish, chef d’Opitciwan

Une décision « extrêmement importante pour la réconciliation », a affirmé le premier ministre Justin Trudeau. La ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, a souligné qu’elle venait mettre un frein à ces pratiques coloniales. Le gouvernement a déjà attribué 23 milliards pour financer les services de protection de la jeunesse des communautés.

« Cela éclaire effectivement des choses comme la législation pour affirmer l’autodétermination en matière de prestation de soins de santé », a-t-elle reconnu. La ministre estime que le jugement facilitera également le débat entourant le projet de loi C-61 sur la gestion et le contrôle des sources d’eau potable pour les Premières Nations.

Il s’agit d’un jugement crucial pour les communautés autochtones partout au pays parce qu’il vient changer leur rapport de forces et ouvre la porte à la reconnaissance d’autres pouvoirs dans « tous les domaines qui affectent leur quotidien », selon le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), Ghislain Picard.

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Le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, Ghislain Picard

La décision a également été saluée par la cheffe de l’Assemblée des Premières Nations, Cindy Woodhouse Nepinak, le président d’Inuit Tapiriit Kanatami, Natan Obed, la présidente du Ralliement national des Métis, Cassidy Caron, et la Société Makivik qui représente les Inuits du Nunavik.

« Nous habitons toujours un pays où nos droits sont contestés, particulièrement par des administrations qui s’imaginent que leur contrôle est toujours supérieur aux droits des peuples autochtones », a affirmé M. Obed en point de presse.

M. Picard a déploré que la contestation judiciaire du Québec ait fait perdre quatre ans aux communautés qui désirent emboîter le pas à Opitciwan et a appelé le gouvernement Legault à collaborer dès aujourd’hui. Il a révélé qu’elles sont maintenant une quinzaine à vouloir développer leurs propres services de protection de l’enfance.

Le gouvernement du Québec doit cesser de nier la légitimité de nos gouvernements. Il doit maintenant reconnaître et respecter la compétence des Premières Nations à se gouverner et à exercer leurs droits inhérents.

Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador

À Québec, c’est le ministre délégué aux Services sociaux, Lionel Carmant, qui a été désigné pour réagir à la décision du plus haut tribunal du pays. Ce dernier n’était pas disponible pour une entrevue, vendredi.

« Notre gouvernement prend acte du jugement de la Cour suprême du Canada rendu aujourd’hui. Il importe de réitérer que notre désaccord a toujours été avec le gouvernement fédéral, et non pas avec les Premières Nations et les Inuits », a indiqué le ministre dans une déclaration transmise par son cabinet.

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Le ministre délégué aux Services sociaux, Lionel Carmant

Le gouvernement Legault se dit « d’accord avec l’objectif de favoriser l’exercice, par les Premières Nations et les Inuits, d’une plus grande autonomie en matière de protection de la jeunesse, en harmonie avec le régime québécois ». Québec rappelle avoir procédé en 2022 à « d’importantes modifications » à la Loi sur la protection de la jeunesse pour tenir compte « des facteurs historiques, sociaux et culturels » des Premières Nations.

En commission parlementaire, le ministre Lionel Carmant avait soulevé des préoccupations à l’égard des enfants autochtones qui vivent hors communauté. Il évoquait le « risque » de la multiplication de lois autochtones distinctes qui pourrait compliquer les interventions en milieu urbain.

« Compte tenu des importantes répercussions du jugement, notamment sur la question de la protection des enfants vulnérables et de la gouvernance autochtone, le Québec continuera d’analyser attentivement la décision rendue par la Cour », a-t-on ajouté.

« Architecture constitutionnelle » préservée

« Rien n’empêche le Parlement d’affirmer que les peuples autochtones ont compétence pour adopter des lois en matière de services à l’enfance et à la famille », écrit la Cour suprême dans son jugement. « Contrairement à ce que plaide le procureur général du Québec, l’“architecture constitutionnelle” canadienne n’en est nullement ébranlée. »

Elle conclut donc que la loi est constitutionnelle dans son ensemble, contrairement à la Cour d’appel du Québec. Celle-ci avait estimé que la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis respectait la Constitution, sauf pour un article et un paragraphe qui accordaient une prépondérance à la législation autochtone en matière de protection de l’enfance sur les lois fédérales et provinciales. Or, le Parlement peut choisir de donner la même force de loi à une législation autochtone en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, souligne le plus haut tribunal du pays.

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La loi, entrée en vigueur en janvier 2020, reconnaît le droit des Autochtones, des Inuits et des Métis à déterminer leurs pratiques en matière de protection de l’enfance. La Nation atikamekw d’Opitciwan, en Mauricie, a été la première à s’en prévaloir au Québec il y a deux ans.

Il insiste sur le fait que la loi C-92 « représente un progrès significatif » pour la réconciliation avec les Premières Nations, qu’elle fait partie de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et qu’elle répond à l’un des appels à l’action de la Commission vérité et réconciliation pour établir des normes nationales en matière de protection de l’enfance autochtone.

« Considérée dans son intégralité, la Loi a pour caractère véritable de protéger le bien-être des enfants, des jeunes et des familles autochtones en favorisant la fourniture de services à l’enfance et à la famille culturellement adaptés et, ce faisant, de contribuer au processus de réconciliation avec les peuples autochtones », souligne-t-il.

Les neuf juges de la Cour suprême avaient entendu la cause, mais Russell Brown, qui a démissionné en juin, n’a pas participé à la rédaction du jugement.

La loi, entrée en vigueur en janvier 2020, reconnaît le droit des Autochtones, des Inuits et des Métis à déterminer leurs pratiques en matière de protection de l’enfance. La Nation atikamekw d’Opitciwan, en Mauricie, a été la première à s’en prévaloir au Québec il y a deux ans. Son conseil a adopté sa propre loi pour s’affranchir de la direction de la protection de la jeunesse (DPJ), ce qui constituait un pas vers son autodétermination. Il s’agit d’un modèle qui a fait ses preuves, comme l’avait rapporté La Presse en janvier.