Il y a peu d’aspects de la politique qui me mettent autant en furie que ce principe de payer pour un accès aux élus. Parmi mes plus grandes colères de chroniqueur, il y a eu toutes ces histoires nauséabondes sous les libéraux de Jean Charest… 

Les places en garderies privées (des machines à imprimer du cash) refilées de manière disproportionnée aux donateurs du Parti.

La nomination de l’incapable à Tomassi au Conseil des ministres.

Les ministres qu’on transformait en quêteux (dixit Pierre Paradis) en leur imposant des objectifs de financement de 100 000 $ par année.

Et si vous voulez d’autres exemples de dérapages en matière de financement politique, vous irez lire les pages 692 et 693 du rapport de la commission Charbonneau1

Le péché moral est dans l’équivoque : Donne au parti, on sait jamais, ça peut pas nuire…

Depuis le début du cocktailgate caquiste, un peu avant Noël, tout le monde tempère : « Ouais, c’est sûr que demander 100 $ pour accéder à un cocktail où on pourra jaser avec une ministre caquiste, c’est pas top, mais c’est pas du registre de la commission Charbonneau… »

Même les partis de l’opposition ont été tempérés, mesurés, là-dessus.

Ce qui ne veut pas dire que ce qu’ont fait les caquistes sent la rose.

Je résume le brouhaha : des petits joueurs caquistes, députés inconnus ou attachés politiques, ont fait du financement politique sur le dos de l’équivoque : Viens au cocktail de financement, la ministre sera là, c’est 100 $, tu pourras lui parler, peut-être que ça va faire avancer ton dossier…

Cent dollars, c’est la limite du don politique annuel depuis la réforme Drainville sous le PQ de Mme Marois. C’est 200 $, les années d’élections.

Depuis le début du cocktailgate, les ministres vont défendre leur intégrité : On ne m’achètera jamais pour 100 $ !

Le PM Legault, excédé de voir sa rentrée parlementaire entachée par une autre distraction, soit une autre histoire de cocktail, a décrété que son parti renonçait à tout financement politique populaire, soit les 100 $ versés par les citoyens. Il a invité, pardon, il a défié les autres partis d’en faire autant…

Mais le cocktailgate n’est pas un problème de financement populaire des partis : c’est un problème de peddlers caquistes qui considéraient que c’était une bonne idée d’utiliser Geneviève Guilbault ou Pierre Fitzgibbon comme appât pour attirer des poissons prêts à payer 100 $ pour « faire avancer un dossier ».

Je veux bien que les caquistes ne soient pas les libéraux de l’ère Charest. Mais le problème, dans la phrase Donne au parti, on sait jamais, ça peut pas nuire…, c’est pas le montant demandé, c’est l’équivoque qui préside à la transaction.

J’ai ressenti un gros malaise en prenant connaissance du dernier rebondissement du cocktailgate, jeudi2. Le député libéral Monsef Derraji questionnait un couple endeuillé dans le cadre de la commission parlementaire sur le projet de loi sur la sécurité routière de la ministre des Transports.

Elizabeth Rivera et Antoine Bittar ont perdu leur fille Jessica dans une tragédie provoquée par un récidiviste de l’alcool au volant. Après avoir recollé les morceaux de leur vie, ils se sont lancés dans une croisade : celle de convaincre Québec de se mettre au diapason de toutes les autres provinces canadiennes et d’imposer des sanctions administratives dès qu’un automobiliste est pincé avec plus de 0,05 mg d’alcool par 100 ml de sang.

En répondant aux questions du député Derraji, le couple Rivera-Bittar a lancé cette bombe : après avoir rencontré la députée caquiste Marilyne Picard pour la sensibiliser à cette cause, ils ont été invités à un cocktail de financement où se trouverait justement la ministre responsable, Mme Guilbault !

Je laisse Mme Rivera raconter ce qu’un membre du bureau de la députée Picard leur a dit : « On nous a dit : “Vous achetez les billets et vous rencontrez la ministre, vous avez deux minutes chacun.” »

Et c’est ainsi que ce couple de parents endeuillés, militants de MADD (Les mères contre l’alcool au volant), s’est résigné à payer 200 $ à la CAQ pour le « privilège » de faire « avancer le dossier » de serrer la vis à l’alcool au volant comme on le fait partout au Canada.

C’est cheap, oui.

Mais il semble qu’il n’y avait pas de mauvais prétexte chez les pêcheurs de 100 $ caquistes pour tirer profit des demandes de citoyens, à cette époque. Solliciter un permis de bière, une subvention à l’exportation ou donner un sens à la mort absurde de son enfant : les « dossiers à faire avancer » étaient assez nombreux pour que ce soit une belle talle de financement pour les peddlers de la CAQ.

Un mot sur les dénégations de Geneviève Guilbault, qui a eu cette réaction jeudi à la sortie du couple Rivera-Bittar : « En aucun cas une personne n’a besoin de payer 100 $ pour me parler. […] Il n’y a rien de douteux ou de malveillant qui s’est produit dans cette affaire-là. »

Premièrement, le couple Rivera-Bittar a dû payer pour parler à la ministre.

Deuxièmement, exploiter le deuil de parents qui ont perdu leur fille aux mains d’un ivrogne pour quelques miettes d’attention d’une ministre en échange de 200 $, ça commence à ramper en banlieue de mots comme douteux et malveillant.

Jusqu’à jeudi, je pensais que cette singerie de cocktails à 100 $ était justement une affaire de peddlers sans culture qui avaient raté les grandes nouvelles de la fin des années 2000 et du début des années 2010.

Mais depuis jeudi, mon point de vue a évolué. C’est sûr qu’il faut être un peddler pour lier un don de 100 $ à l’accès à un ministre, en jouant sur l’équivoque, en faisant miroiter l’avancement du dossier.

Mais ce qu’on voit, c’est que des petits joueurs caquistes se sont livrés à ces combines partout dans la province.

Je ne suis pas naïf au point de croire qu’ils ont tous eu la même idée d’utiliser des ministres comme appât pour attirer des poissons prêts à payer 100 $ à la CAQ.

Il y a un mot pour décrire ce que la CAQ a fait : « système ». Et que ça implique « juste » des 100 $ ne change rien à l’affaire. Monnayer l’accès aux ministres, c’est… monnayer l’accès aux ministres.

Bref, qui a eu l’idée de génie d’utiliser des ministres comme appâts à cocktail de financement ? Qui a fait ruisseler cette idée pourrie dans les bureaux de circonscription ?

C’est la question.