(Québec) Elizabeth Rivera et Antoine Bittar, qui ont perdu leur fille dans un accident de la route, ont été invités par une employée politique d’une députée caquiste à payer 200 $ pour assister à un cocktail de financement en présence de la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, afin de faire avancer leur cause pour resserrer les sanctions contre l’alcool au volant.

Les deux parents endeuillés, qui sont respectivement présidente et directeur au sein de la branche montréalaise de l’organisme Les mères contre l’alcool au volant (MADD Montréal), ont témoigné jeudi dans le cadre des auditions publiques de la commission parlementaire concernant le projet de loi 48 sur la sécurité routière. Ils plaident pour que Québec adopte des sanctions administratives pour les conducteurs avec un taux d’alcoolémie à partir de 0,05.

Dans un échange avec le député libéral Monsef Derraji, Mme Rivera a expliqué que M. Bittar avait rencontré en juin dernier la députée caquiste de Soulanges, Marilyne Picard. Une employée de son cabinet, a-t-elle dit, a ensuite contacté le couple pour l’informer que la ministre Geneviève Guilbault serait présente à une activité de financement de la CAQ, en octobre. Mme Rivera et M. Bittar ont été invités à se procurer chacun un billet (au coût de 100 $) pour avoir deux minutes avec elle.

« On a eu nos deux minutes et honnêtement, quand j’ai quitté l’endroit, j’étais vraiment déçue. J’ai trouvé ça inacceptable qu’on nous demande de payer 200 $ pour rencontrer la ministre », a raconté Mme Rivera.

« Pour moi, […] c’était important qu’on rencontre la ministre. On me disait c’est l’opportunité de pouvoir parler de notre histoire, du 0,05 », a-t-elle expliqué. M. Bittar a également affirmé qu’il s’agissait selon lui de « la seule chance [qu’ils avaient] de pouvoir parler à Mme Guilbault » et qu’il ne comprenait pas pourquoi il devait payer 100 $.

Quand M. Derraji a posé d’autres questions à Mme Rivera et à M. Bittar sur leur rencontre avec Geneviève Guilbault, le président de la commission, le député caquiste François Jacques, est intervenu pour que cesse l’échange. Il a affirmé que le député libéral s’écartait du sujet du projet de loi.

Guilbault se défend, Picard s’excuse

À la sortie de la commission, la ministre Guilbault a confirmé qu’elle a rencontré Mme Rivera et M. Bittar lors d’un cocktail de financement dans Soulanges en octobre dernier. « Je ne savais pas qu’ils seraient présents quand je suis allée à l’évènement », a-t-elle précisé, soulignant que le cocktail était organisé par sa collègue députée Marilyne Picard et son équipe.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La députée de Soulanges Marilyne Picard

Dans une longue mêlée de presse, plus tard en après-midi, Mme Guilbault a vivement défendu son intégrité et celle de sa collègue. Elle a reconnu que le couple n’aurait jamais dû avoir à contribuer au parti pour la rencontrer.

« Ça me désole si cette personne-là, rétrospectivement, n’a pas apprécié ou aurait préféré procéder autrement. Comme je vous dis, s’ils m’avaient envoyé une demande, j’aurais pu les rencontrer », a-t-elle dit.

« S’il y a eu maladresse, s’il y a eu malencontreusement des gens mal à l’aise à cause de quelque chose qui, oui, respectait les règles, mais qui a peut-être fait sentir mal à l’aise cette dame-là, je me désole de ça », a ajouté Mme Guilbault. Elle a ensuite accusé ses adversaires d’utiliser cette histoire « pour servir une cause politique partisane ».

Selon la ministre, c’est de façon « involontaire » si la CAQ leur a donné l’impression qu’il fallait faire un don pour obtenir un entretien avec elle. « S’ils se sont sentis coincés, c’est malheureux », a-t-elle laissé tomber. Depuis la semaine dernière, « on ne fait plus de financement populaire, la question est réglée. Notre accès n’est pas monnayable », a-t-elle ajouté.

Sur les réseaux sociaux, Mme Picard a pour sa part confirmé qu’une de ses « collaboratrices [a informé MmRivera et M. Bittar] de la tenue d’une activité de financement à laquelle participait » la ministre Guilbault.

« C’était une erreur de jugement, et je m’en excuse sincèrement, en mon nom et celui de mon équipe », a-t-elle écrit.

« Ma famille et moi avons vécu un drame similaire. C’est ce qui nous a réunis, Mme Rivera, M. Bittar et moi, alors qu’ils m’ont approchée pour que je les accompagne dans la cause qu’ils portent », a expliqué Mme Picard.

Finalement, dit M. Bittar, « ce qui me dérange le plus, c’est qu’on est venus pour […] demander au gouvernement de descendre du .08 au .05 en visant à la convaincre de l’importance de sauver des vies ». Il craint que l’histoire du cocktail de financement puisse faire dérailler son message.

Mais sur le fond, a tranché jeudi Mme Guibault, mettre en place des sanctions administratives pour les conducteurs avec un taux d’alcoolémie à partir de 0,05, comme le demande le couple, « ça ne fait pas partie [du] plan d’action en sécurité routière » du gouvernement.

Legault jette la pierre à ses adversaires

En matinée, avant le témoignage des deux parents endeuillés en commission parlementaire, le premier ministre François Legault a pour sa part accusé ses adversaires d’avoir jeté de la « boue » sur son parti, au cours des dernières semaines, son équipe étant accusée d’avoir monnayé l’accès à des ministres. La semaine dernière, la CAQ a annoncé qu’elle renonçait à son financement populaire.

À la sortie de la commission parlementaire, où Mme Rivera et M. Bittar ont témoigné, jeudi, les députés de l’opposition étaient sous le choc.

« On est à un niveau extrêmement élevé de décisions qui sont complètement immondes. C’est hallucinant », a dénoncé le député de Québec solidaire Etienne Grandmont.

Le député péquiste Pascal Bérubé a affirmé avoir une « longue » liste de cas uniquement pour la circonscription de Rimouski. Il a notamment cité le cas du président du syndicat des producteurs forestiers du Bas-Saint-Laurent et d’un dirigeant d’une fondation qui « récolte des fonds pour un hôpital » qui auraient participé à un cocktail de financement pour avoir accès à un ministre caquiste.