Montréal est sur une pente glissante, et pas seulement à cause des montagnes de glace croustillante qui ont fait chuter des milliers de citoyens depuis deux semaines sur les trottoirs – moi y compris.

C’est gris, c’est sale, c’est février, quoi.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Trottoirs glacés de Montréal

Mais de façon plus tangible, plusieurs signaux pointent vers un ralentissement de l’économie. Il y a des éléments conjoncturels, qu’on observe aussi ailleurs au Canada et dans le reste du monde. Et d’autres, plus fondamentaux, qui devraient imposer une prise de décision rapide des autorités.

Ce n’est pas la catastrophe, mais Montréal a déjà eu beaucoup plus de pep dans le soulier. Ce n’est pas de bon augure, dans tous les cas, étant donné que la métropole demeure la locomotive financière du Québec.

Prenons les choses bloc par bloc.

Une donnée troublante a retenu mon attention cette semaine. L’industrie des technologies de l’information (TI), l’un des moteurs importants de l’économie locale, traverse une bien mauvaise passe.

Un peu partout, dans les boîtes de jeux vidéo et de développement de logiciels, l’heure est à la rationalisation. Quelque 17 000 postes ont été supprimés pendant la dernière année, selon une analyse de Montréal International, soit un recul de 9 % des effectifs totaux1.

C’est énorme. Et ce n’est pas fini.

Je connais une directrice dans une grosse boîte techno dont le job est précisément, depuis quelques semaines, de passer en revue tous les départements. Le fruit de son analyse servira à déterminer combien de postes seront supprimés dans son entreprise de plusieurs centaines d’employés.

Appelons ça le couperet ou la guillotine : ça va faire mal.

Ce même scénario s’observe un peu partout en ville. C’est un coup dur pour la métropole, car ce sont des emplois très payants qui ont disparu – ou s’évaporeront sous peu.

Le secteur des TI est cyclique, oui, et l’emploi a aussi reculé dans d’autres grandes villes après le boom pandémique, mais pas partout. À Vancouver, le nombre de postes en techno a fléchi de 12 % dans la dernière année, tandis qu’il a augmenté de 8 % à Toronto. Montréal semble frappé assez durement dans le contexte.

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Je vous balance encore quelques chiffres en rafale, en souhaitant ne pas trop vous gazer.

J’ai obtenu un rapport tout frais du Conference Board du Canada, qui contient des prévisions peu encourageantes. Il faut toujours prendre ces projections avec une pincée de sel, mais elles proviennent dans ce cas-ci d’un organisme bien établi.

L’année 2024, déjà entamée, verra un « ralentissement » de l’économie montréalaise. Le produit intérieur brut (PIB) devrait progresser d’à peine 0,4 %. Autant dire que la croissance sera au point mort.

L’effet des hausses de taux d’intérêt continuera de se faire sentir dans l’emploi, le marché de l’habitation et les dépenses des consommateurs.

La croissance des ventes au détail, par exemple, devrait atteindre 2,2 % cette année, comparativement à des hausses annuelles de 10 % depuis les trois dernières années. Ce qui ne laisse rien présager de bon pour les artères commerciales.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Selon un rapport du Conference Board du Canada, la croissance des ventes au détail devrait atteindre 2,2 % cette année, comparativement à des hausses annuelles de 10 % depuis les trois dernières années.

Au chapitre de l’emploi, le groupe s’attend à ce que le taux de chômage dépasse les 6 % cette année, après avoir atteint un creux de 4,4 % l’an dernier. La croissance démographique devrait pour sa part ralentir, après le gain gigantesque de 150 000 nouveaux résidents (surtout temporaires) enregistré en 2023.

Il y aura un certain rebond à partir de l’an prochain, mais Montréal aura tout de même une croissance plus faible que la moyenne nationale d’ici à 2028, m’a prédit en entrevue Jane McIntyre, économiste au Conference Board.

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Que la métropole accueille 50 000, 100 000 ou 150 000 immigrants, il ne se construit pas assez de logements. Les mises en chantier ont chuté à un niveau dangereusement bas dans la dernière année – 7705 dans l’île de Montréal ! – et les chiffres resteront faméliques pour un bon moment, selon la plupart des prévisions.

Avec ma canne, gracieuseté de ma chute sur un trottoir plus glissant que la patinoire du Centre Bell, j’ai tapé sur l’épaule de plusieurs gros promoteurs ces derniers jours, pour avoir leur lecture de l’état du marché immobilier.

Pour faire très simple : ça va mal.

Plusieurs facteurs affectent Montréal autant que les autres grandes villes. Taux d’intérêt élevés, pénurie de main-d’œuvre, bureaucratie abondante : le refrain commence à être connu. Mais à l’unanimité, ces bâtisseurs dénoncent la trop grande rigidité du « règlement sur une métropole mixte » de l’administration de Valérie Plante, qui vise à encourager l’inclusion de logements sociaux et abordables dans les nouveaux projets de construction.

Je ne referai pas ici l’historique de ce règlement. Ce que je peux dire, c’est qu’il est considéré comme trop punitif et contraignant par la majorité des constructeurs. Les résultats, ou plutôt l’absence de, parlent d’eux-mêmes.

Aussi plate que ça.

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L’administration Plante se trouve à un tournant dans la façon dont elle devra gérer le développement économique de la métropole. Les défis ne manquent pas, avec la crise du logement, l’explosion de l’itinérance, la dévitalisation accélérée du Village et du Quartier latin, la grogne populaire par rapport aux comptes de taxes élevés…

La Ville se retrouve dans une période de flottement, à la suite du départ récent de son directeur général adjoint Philippe Krivicky. Il devait servir de pont entre l’administration et le milieu des affaires, mais il sera resté en poste un an et des poussières2.

Son départ n’est pas anodin. Il laisse entrevoir certaines tensions au sein même de la machine municipale, entre la frange « prodéveloppement » économique, et celle qui l’est moins.

Parlant de frictions, il y en a aussi entre le gouvernement Legault et l’administration Plante. Entre autres au sujet de la hausse des droits de scolarité imposée aux étudiants étrangers des universités McGill et Concordia. Ça a bardé encore jeudi.

Il semble y avoir plus de sable dans l’engrenage de cette relation que sur les trottoirs, en bref.

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Tout n’est pas noir, bien entendu.

Montréal International annoncera bientôt ses résultats pour l’année 2023, et ils seront au troisième rang des meilleurs de son histoire en matière d’attraction d’investissements étrangers. En 2022, ils avaient atteint 3,6 milliards. La métropole reste attractive à bien des égards.

Le président de l’organisme, Stéphane Paquet, s’attend à ce que les investissements « repartent » de plus belle vers la fin de 2024 ou au début de 2025. Il m’a par ailleurs confirmé que les banlieues de l’île de Montréal avaient pris du galon depuis trois ans, en matière d’attraction des projets.

Une tendance de fond, qui pourrait s’exacerber dans les prochaines années au détriment de la ville-centre.

Un drapeau jaune à ne pas prendre à la légère à l’hôtel de ville de Montréal.

1. Lisez « Analyse de Montréal International : le marché de l’emploi en TI en baisse après des années fortes » 2. Lisez « Philippe Krivicky : départ remarqué à l’hôtel de ville »