Dans un document de réflexion sur l’intolérance religieuse, la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) s’est aventurée en eaux bien troubles.

Elle a parlé des fêtes de Noël en ces termes : « la discrimination à l’égard des minorités religieuses est ancrée dans l’histoire du colonialisme au Canada. Cette histoire se manifeste aujourd’hui par une discrimination religieuse systémique. Un exemple évident est celui des jours fériés au Canada ».

Comme il fallait s’y attendre, ce passage a suscité beaucoup de passion dans les milieux politiques et médiatiques. Nombreux sont ceux qui ont dégainé sur l’organisme fédéral en parlant de conneries, de manque de respect envers l’histoire des peuples fondateurs, de dérive dangereuse de l’idéologie multiculturaliste et de confusion inacceptable entre traditions et religions.

Parmi les détracteurs de la déclaration de la CCDP, certains ont aussi replacé Noël dans ses origines païennes et parlé de sa désacralisation qui en fait désormais une fête bien plus laïque que religieuse.

Maintenant que la poussière est bien retombée, permettez-moi d’inscrire la bisbille dans l’idéologie multiculturaliste qui est au centre de la vision canadienne du vivre ensemble. Un exercice indispensable si on veut donner un peu de crédit à la déclaration de la CCDP.

Soulignons d’ailleurs que cette tempête médiatique faisait surtout rage au Québec où les gens sont très majoritairement réfractaires au multiculturalisme. Une idéologie qui, il faut le rappeler, a toujours travaillé secrètement à réduire les francophones d’ici au rang de simple communauté culturelle sans plus de droits historiques que les Italiens, les Ukrainiens, les Chinois, etc.

Le multiculturalisme à tendance postnationale est un projet de société où tous les groupes ethnolinguistiques et religieux sont historiquement égaux. C’est une représentation du vivre ensemble qui propose aux gens qui arrivent de faire leur propre dessin sur une section vierge du tableau national. Chaque communauté culturelle, linguistique ou religieuse a droit à un pinceau pour tracer son histoire et sa vision à côté de celle des autres.

Quand on se réclame d’un tel idéal, il ne faut pas s’étonner lorsqu’un groupe religieux dispose d’un plus gros pinceau, de plus de couleurs ou de surface sur le tableau, que ceux qui sont chargés de faire respecter les règles d’équité lèvent le drapeau rouge du favoritisme et de la discrimination systémique.

Autrement dit, la déclaration de la Commission canadienne des droits de la personne est en parfaite adéquation avec les règles de l’idéologie multiculturaliste, car n’en déplaise aux apôtres de sa désacralisation, Noël est encore une fête très religieuse pour beaucoup de Canadiens.

Personnellement, j’ai longtemps pensé que cette fronde contre les vacances de Noël sur fond de discrimination religieuse allait débarquer bien plus tôt au Canada. Gageons aussi que la riposte québécoise ne fera pas mourir l’idée, car on ne peut pas se réclamer du postnationalisme et mettre le couvercle sur ces débats, si déchirants soient-ils.

D’ailleurs, l’anglophonie canadienne qui sait qu’elle ne pourra pas échapper à ces remises en question n’a pas autant ragé qu’au Québec. Chez nous, la levée de boucliers était prévisible et justifiable.

Pour cause, très majoritairement, les francophones d’ici militent plutôt pour l’interculturalisme qui est une proposition de vivre ensemble bien différente. Là où le multiculturalisme dit à l’autre qui arrive de construire à côté, l’interculturalisme lui propose d’ajouter une rallonge dans un édifice déjà existant.

Pour revenir à ma métaphore artistique, disons qu’ici, les communautés immigrantes disposent d’un pinceau pour ajouter leurs couleurs à une esquisse qui est déjà commencée. Aussi, pour préserver l’harmonie de cette œuvre devenue collective, ils ajoutent leurs touches en respectant certains contours qui représentent une partie de l’histoire et des valeurs de la société d’accueil.

Par exemple, dans cette vision, les vacances et les célébrations de Noël sont déjà tracées à l’encre indélébile sur le dessin national et les raturer n’est pas une option. Cela dit, sans vouloir effacer le passé, rien n’empêche aussi de réclamer des ajouts, des accommodements ou des ajustements au nom de l’équité et du respect de la diversité culturelle et religieuse dans une société d’immigration en mutation.

Avec cette déclaration de la CCDP sur Noël, nous avons simplement assisté, une fois de plus, à un choc des valeurs entre deux visions inconciliables du Canada. La même discordance est au centre de la bataille pour la laïcité et la protection de la langue française. Comme la déclaration de la CCDP, les lois 21 et 96 de François Legault pourraient bientôt plonger la confédération dans de nouvelles turbulences.

En ces temps où l’indépendantisme renaît de ses cendres sous la férule de Paul St-Pierre Plamondon, la Cour suprême du Canada a entre ses mains deux dossiers au potentiel très explosif. Que se passera-t-il si ses juges tailladent les lois 21 et 96 ? Vont-ils privilégier la Charte canadienne et remettre du combustible dans ce brasier ?

Advenant cette possibilité, les partis indépendantistes risquent d’en être les grands bénéficiaires. Autrement dit, devant les lois 21 et 96, entre les ciseaux juridiques et un nouvel épisode de déchirure dans la fédération, la Cour suprême devra trancher. Si ce gros nuage à l’horizon se matérialise, il causera une forte tempête dans la politique canadienne et québécoise. À suivre.