Vendredi dernier, à 19 h, l’équipe du Montréal Campus a quitté l’UQAM pour aller célébrer le lancement de l’édition papier du journal étudiant. Ce numéro tout frais représentait un mois de labeur – non payé, mais qu’importe : la bande d’étudiants en journalisme était fière du produit fini. Fière de ses reportages, de ses scoops et de ses enquêtes.

Il faut dire que les occasions de fêter sont rares, par les temps qui courent, dans le merveilleux monde du journalisme. Des hebdos ferment leurs portes, TVA et Radio-Canada sabrent des postes par centaines. Dans ce climat précaire, beaucoup d’étudiants craignent de ne pas pouvoir pratiquer leur métier à la sortie de l’université, souligne l’éditorial du Montréal Campus, qui ne perd pas espoir pour autant : « Cette publication, bien humblement, est notre manière de célébrer le journalisme et de continuer à le faire vivre. »

L’équipe du Montréal Campus était loin de s’imaginer qu’à peine sortie des presses, une bonne partie de l’édition papier se retrouverait… à la poubelle.

De retour à l’UQAM, lundi matin, le rédacteur en chef Philémon La Frenière-Prémont a constaté que les présentoirs du campus central étaient entièrement vides. Il était fort peu probable que 400 exemplaires du journal se soient envolés en l’espace d’un week-end. « Normalement, ça dure des semaines dans les présentoirs », raconte-t-il.

L’ensemble des exemplaires aurait plutôt été chapardé par des militants qui prétendent défendre la démocratie étudiante – mais seulement quand ça les arrange, dirait-on.

Plusieurs infos tendent à confirmer le coup des militants, dont des piles d’exemplaires retrouvées dans des bacs de recyclage, ainsi qu’un message anonyme adressé au groupe « UQAM en grève » sur l’application Signal : « Allô, pour celleux avec des oiseaux, ça fait du bon fond de cage ! », lit-on sous la photo d’une poignée d’exemplaires.

Mais quel était le but de ces militants ? Que tenaient-ils tant à cacher en balançant tous ces journaux au recyclage ?

Cette vérité qui dérange, la voici : de nombreuses associations étudiantes de l’UQAM sont noyautées par des franges militantes qui votent chaque session un nombre effarant de jours de grève, alors qu’elles ne représentent finalement que très peu d’étudiants.

C’est, en gros, ce qui se retrouve dans l’enquête de Charles Séguin et Naomie Duckett Zamor, publiée à la une du Montréal Campus1. Ils ont interviewé des étudiants qui craignent carrément d’assister aux assemblées générales de leur association, tant les membres de l’exécutif se montrent bruyamment réfractaires à toute opinion divergente.

Le problème, c’est que ces assos exigent un quorum microscopique en assemblée générale pour voter des grèves, adopter des budgets et prendre position sur les enjeux de l’heure.

Résultat, à peine 1 % des étudiants – les plus crinqués – tranchent pour tout le monde. Et c’est ainsi que les jours de grève étudiante s’accumulent : pour le climat, pour la Palestine, pour le Front commun, pour la salarisation des stages…

Vous me direz que les étudiants n’ont qu’à se pointer aux assemblées générales pour faire valoir leur point de vue. Mais ce n’est pas si simple, vu le climat de ces assemblées. Et malgré les appels en ce sens de la direction de l’UQAM, certaines assos ne semblent pas vouloir que ça change. Pour tout dire, elles semblent parfaitement heureuses de pouvoir gérer des centaines de milliers de dollars de cotisations étudiantes sans trop avoir de comptes à rendre.

Alors, elles ne bougent pas – sauf pour faire disparaître des reportages qui dérangent2.

Tout ça n’est pas nouveau. Le Montréal Campus a abordé la faible représentativité des associations étudiantes alors que j’en étais moi-même la rédactrice en chef, il y a près de 30 ans. Des années plus tard, en 2009, le journal a révélé3 que des assos octroyaient des milliers de dollars à des mouvements militants qui n’avaient rien à voir avec l’UQAM.

À l’époque, l’équipe avait été intimidée par des fiers-à-bras dans ses propres locaux. « Nous voulons que le Montréal Campus cesse de se battre CONTRE le mouvement étudiant et qu’il commence enfin à se battre AVEC le mouvement étudiant », avait écrit un groupe en colère.

Manifestement, les militants de 2009 n’avaient pas entendu parler du principe de l’objectivité journalistique. Ceux de 2023, pas davantage.

« Le fait qu’on écrive ‟conflit Israël-Hamas”, pour eux, c’est un positionnement du Montréal Campus. D’après eux, on aurait dû écrire ‟génocide des Palestiniens” pour être neutres », relate Philémon La Frenière-Prémont.

Ces étudiants-là auraient avantage à suivre un petit cours de journalisme 101. Et une leçon de démocratie, par la même occasion. Ne savent-ils pas que les journaux disparaissent dès qu’un pays sombre dans la dictature ? Ne comprennent-ils pas l’importance d’une presse libre et forte ?

L’ironie n’a pas échappé au rédacteur en chef du Montréal Campus. « Nous sommes le seul journal indépendant de l’UQAM. Nous sommes les seuls à fouiller ce qui se passe entre les murs de l’Université. Eux, ils se disent représentants de la démocratie, mais viennent brimer le droit à l’information des étudiants de l’UQAM. C’est fondamentalement antidémocratique. Comment les gens sont-ils supposés voter et prendre de bonnes décisions s’ils ne peuvent pas savoir ce qui se passe ? »

Note : Philémon La Frenière-Prémont et Naomie Duckett Zamor ont été stagiaires à La Presse l’été dernier.

1. Lisez « Outil démocratique ou machine à grève ? » 2. Lisez « Le Montréal Campus saboté » 3. Lisez « À la solde de personne »